J'aime beaucoup le film québécois Un été sans point ni coup sûr.

L'action se déroule pendant l'été 1969, le premier des Expos à Montréal. Le monde est en train de changer. Martin aussi. Le garçon de 12 ans découvre coup sur coup le baseball et la complexité de la vie.

Une scène est particulièrement réussie. Les parents de Martin organisent un party à la maison. Les enfants sortent le téléviseur dans la cour. Le père de Martin les apostrophe.

« Heille, qu'est-ce que vous faites là, vous autres ?

- C'est la première fois que des hommes marchent sur la Lune de toute l'histoire de la télévision ! »

Jolie lapalissade. La nuit tombée, les invités se réunissent autour du petit écran pour assister en direct à l'alunissage d'Apollo 11. 

Mes parents ont grandi à cette époque. Des moments de communion comme celui-là, ils en ont vécu une dizaine. Des finales de la Coupe Stanley. L'ouverture du métro. Expo 67. Le premier match des Expos. La Série du siècle. Les congrès politiques. Les Jeux olympiques de Montréal.

J'ai grandi dans les années 90. Ma cohorte a aussi connu sa part d'évènements rassembleurs. La Coupe Stanley de 1993. Les Expos en 1994. Les gros spectacles de la Saint-Jean. Le référendum (peu importe le camp). Le passage à l'an 2000. Les finales d'émissions cultes, comme La petite vie ou Star Académie.

Mes adolescents grandissent dans les années 2010. Mardi soir, pendant qu'ils tripaient hockey comme tout le monde en ville, ça m'a frappé. Quelles sont les grandes communions de leur génération ? Depuis cinq ans, mettons ?

J'ai facilement trouvé ce qui nous divise. La politique. La religion. Le voile. Les pipelines.

Mais ce qui nous a unis ? C'est plus difficile.

Il y a eu des drames. Des deuils. Des veillées pour des victimes d'attentats. La mort de quelques géants qu'ils n'ont pas connus. Les manifs ? Elles se sont raréfiées depuis le printemps étudiant.

Faites l'exercice. C'est quand, la dernière fois que vous vous êtes regroupés avec des amis pour vivre un évènement d'envergure nationale ?

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Mardi soir, pendant le match Canadien-Lightning, il s'est produit quelque chose.

Pas un gros feu de joie. Ni même un feu d'artifice. Disons, une étincelle. Une petite communion virtuelle. Des milliers de tweets, de snaps et de textos échangés entre nous pour souligner la victoire étonnante du Tricolore contre la meilleure équipe de la LNH.

Hier, la bonne humeur se répandait comme le pollen. Les enfants ressortaient leurs T-shirts de Carey Price. Les automobilistes dépoussiéraient leurs fanions. Les amis lançaient des invitations pour la partie de ce soir, contre les Capitals de Washington.

Dans quelques heures, toute la ville battra d'un seul pouls.

Le sport possède encore ce pouvoir rassembleur qui fait aujourd'hui défaut à la politique ou aux mouvements sociaux. Et même dans le sport, du moins à Montréal, les occasions sont plus rares qu'avant. Les Alouettes, l'Impact et le Canadien ont tous raté les séries en 2018. Les derniers Jeux olympiques, télédiffusés tôt le matin ou tard le soir, ne se prêtaient pas aux grands-messes.

Or, ces rassemblements autour de nos équipes locales sont bénéfiques pour ceux qui y participent. Le professeur Daniel Wann, de l'Université d'État de Murray, a étudié les comportements des partisans d'équipes professionnelles. Il a publié le résultat de ses recherches dans un essai, Sports Fans - The Psychology and Social Impact of Fandom.

Ses travaux démontrent une corrélation entre un fort sentiment d'appartenance à un club et le bien-être d'une personne. Concrètement, ça peut se traduire par un niveau plus faible d'isolement ou d'aliénation. Ou encore par une estime de soi plus élevée. Les fans impliqués vivent aussi davantage d'expériences émotives positives et sont plus satisfaits de leur vie sociale.

Le sport met aussi en relation des gens qui ont peu en commun. Depuis dix ans, dans les arénas de Montréal, j'ai croisé des parents ou des enfants d'origine chinoise, béninoise, grecque, italienne, haïtienne, singapourienne, laotienne, brésilienne, marocaine, roumaine, latino-américaine. En cette ère d'algorithmes qui favorise plutôt l'homogénéité, c'est une richesse.

Nos parcours de vie sont différents. Nos références culturelles se croisent rarement. Nos idées politiques peuvent diverger. Mais lorsqu'il est question de l'avantage numérique du Canadien, de la composition du quatrième trio ou du temps de jeu de Jonathan Drouin, on se comprend. Ce soir, nous serons tous devant notre téléviseur pour regarder en direct le Canadien tenter de résister aux Capitals.

Pour citer Loco Locass dans sa chanson Le but 

C'est plus qu'un sport

C'est une métaphore de notre sort

C'est ça qui nous ressemble

C'est ça qui nous rassemble

Anglo, franco, peu importe ta couleur de peau

En cette période de divisions, nous avons besoin de moments de communion.

Nous avons besoin des séries.