Le balcon de la maison surplombe un petit terrain de soccer aménagé lorsque les filles de Serge Boivin étaient plus jeunes. Une partie des champs s’étend au-delà. « J’ai 550 acres en culture. On fait du foin, un peu de blé pour faire de la paille, et du maïs ensilage. On produit pour nourrir notre bétail », dit le propriétaire de la ferme laitière Juar de Coaticook.

Cela fait plus de 20 ans qu’il a racheté la ferme autrefois gérée par ses parents. Il est la cinquième génération de Boivin à diriger l’endroit où l’on retrouve aujourd’hui près de 330 têtes.

« J’ai un groupe d’employés qui m’aident, mais je fais un peu tous les travaux. Je m’occupe de la gestion et de la coordination. J’éteins les feux et je rassure les gens, énumère-t-il. Ce n’est pas le type de ferme où il y a 40 vaches et où l’on s’occupe de tout de A à Z. La ferme a grossi et l’ouvrage a évolué. »

L’évolution des tâches a d’autant plus changé, dans les derniers mois, qu’il préparait assidûment son tout premier Ironman, celui de dimanche à Mont-Tremblant. Il n’est pas rare de croiser des ingénieurs, des médecins ou des gestionnaires en finance dans ce type d’événements, mais les exploitants agricoles ne sont pas légion.

« J’en connais qui font de la course à pied, mais du triathlon, je n’en ai pas dans mes contacts, reconnaît-il. Mon objectif est de réussir cette épreuve malgré mon métier d’agriculteur qui est exigeant par rapport à mon horaire atypique. »

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Bien entouré, Serge Boivin a pu s'entraîner malgré les contraintes professionnelles.

Alors qu’il s’entraînait de 6 à 8 heures par semaine au cours de l’hiver, Serge Boivin a monté la cadence jusqu’à 15 heures dans les deux derniers mois. Forcément, les ajustements sont nécessaires. Par exemple, ce n’est plus lui qui se charge de la traite matinale qui exige d’être debout à 4 h 30.

« Quand on revient d’un entraînement, la capacité physique est moins là. On est fatigué et on a besoin de plus de repos », ajoute-t-il. 

Mais je savais dans quoi j’allais m’embarquer et j’avais prévu le coup en embauchant un peu plus de main-d’œuvre. Il fallait que je délègue, sinon je n’allais pas passer à travers cet entraînement-là.

Serge Boivin

Un entraînement pour un Ironman nécessite de longues heures, souvent en solitaire, mais aussi le soutien de tout un clan. Avant de s’inscrire, il a demandé la bénédiction de sa conjointe, Annie, mais aussi de son frère Réjean, le « bras droit » à la ferme. Les deux ont compris le défi que se lançait l’homme de 52 ans. Cet été, ses nièces Kaila et Kamilie viennent également donner un coup de main à la ferme.

« Il fallait qu’ils soient au courant de tous les tenants et aboutissants. Tout le monde a adhéré, mais c’est sûr que ça demande l’énergie d’un peu tout le monde. Je suis conscient que j’en demande beaucoup, même si ça marche très bien. »

Serge Boivin reconnaît que son entraînement a son côté un petit peu « égoïste » avec de longues séances, surtout la fin de semaine. Le programme est chargé avec un entraînement, voire deux par jour. Il ne s’accorde qu’une journée de repos dans la semaine. « C’est pour ça que je ne ferai pas un Ironman chaque année », prévient-il.

Justement, quand et comment cette idée, toujours un peu folle, a-t-elle germé ? À la base, il y a le constat tant partagé dans notre société : celui du temps qui passe trop vite et ses effets sur la santé.

Avec les années, l’achat de la ferme, les enfants, j’avais un petit peu arrêté le sport. Je recommençais un petit bout, puis je stoppais de nouveau. J’avais pris du poids avec le temps et je me suis dit : “Là, Serge, faut que tu te reprennes en main.” Je me cherchais de quoi.

Serge Boivin

En 2016, il a opté pour le triathlon, qu’il a découvert par l’entremise d’un conférencier et entraîneur. Un an plus tard, il disputait le demi-Ironman de Mont-Tremblant, qu’il a terminé en 5 h 50 min. Il n’y a pas eu d’épreuve en 2018, mais une aventure qui nous fait penser que le quinquagénaire carbure aux défis. Avec sa conjointe, il a gravi le Kilimandjaro.

« J’ai été surpris par l’ampleur du défi parce que j’étais en forme et entraîné, mais j’ai dû chercher des trucs nouveaux en dedans de moi. Par exemple, j’ai fait de l’anxiété, ce que je n’avais jamais fait avant, alors que tout était au beau fixe pour ma conjointe. »

« Une belle fenêtre »

Après le demi-Ironman et l’ascension du Kilimandjaro, Serge Boivin a estimé que l’année 2019 se prêtait merveilleusement au défi d’un Ironman. « C’était une belle fenêtre. Au niveau de la ferme, je voyais que c’était tranquille en termes d’investissement. »

Il n’a qu’à quitter sa cour pour faire ses entraînements sur les belles routes de l’Estrie en direction de East Hereford, Compton ou Magog. Lorsque les températures se sont faites plus clémentes, il a aussi choisi le lac Lyster, un peu plus au sud, pour pratiquer la natation en eau libre. Le grand adepte de course à pied qu’il était a d’ailleurs maintenant une affection particulière pour la nage.

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Serge Boivin n'a qu'à quitter sa cour pour faire ses entraînements sur les belles routes de l'Estrie.

Sur le plan de la discipline, il n’a pas fait une croix sur sa traditionnelle poutine du vendredi soir. Il s’est, par contre, lancé le défi de couper l’alcool depuis son inscription en décembre. « La bière est pourtant bonne après une journée de foins. »

En boira-t-il une dimanche soir ? Son objectif est de finir l’épreuve. Sa grande satisfaction serait d’y parvenir en 12 h 30 min.

« Il y a tout un mystère sur la façon dont le corps va réagir. Je sais que ce ne sera pas facile, surtout lors de la couse à pied. Il va falloir que je gère les efforts et mon alimentation. »