La joueuse de tennis Françoise Abanda a jeté un pavé dans la mare en se plaignant du racisme dont elle s'estime victime, notamment au fil de son ascension. Le milieu du sport québécois est-il raciste? Des athlètes s'expriment.

Patrice Bernier, ancien capitaine de l'Impact

L'ancien capitaine de l'Impact l'avoue, il ne connaissait pas vraiment l'histoire de Françoise Abanda. «Je ne connais pas son parcours. On connaît Eugenie Bouchard parce qu'elle est montée haut dans les échelons, alors qu'elle est en devenir.»

Mais s'il avait un conseil à lui donner, ce serait de se servir de cette perception de discrimination comme d'une motivation. «Le racisme n'est pas mort parce qu'il y aura toujours une certaine forme de jalousie qui s'exprime de la mauvaise façon, expose Bernier. En tant qu'athlète, tu peux toujours répondre par tes performances et ne pas te laisser distraire par ça. Je sais que ce n'est pas évident parce que je l'ai déjà vécu étant plus jeune. Quand je jouais au hockey, un entraîneur m'a bien encadré en m'expliquant que l'on voulait me déstabiliser parce que j'étais un bon joueur.»

De retour à Montréal après une carrière de 10 ans en Europe, Bernier a été immensément populaire auprès des partisans, des médias et des commanditaires. La couleur de sa peau n'a pas été un facteur dont le public a tenu compte. «Les gens me connaissaient comme Patrice Bernier, l'athlète et capitaine. Je ne sens pas qu'on me regarde comme quelqu'un d'origine haïtienne ou comme Noir. C'est peut-être là où j'ai gagné, en performant sur le terrain et en démontrant ma personnalité.»

- Pascal Milano

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Photo Olivier Jean, archives La Presse

Patrice Bernier

Kimberly Hyacinthe, sprinteuse

La sprinteuse, qui évolue dans un sport multiethnique et dont les deux parents sont nés en Haïti, ne croit pas avoir été victime de racisme. En tant qu'athlète, elle parlerait davantage de discrimination, au niveau des commanditaires. «Maria Sharapova avait davantage de commanditaires que Serena Williams, pourtant plus accomplie, fait-elle remarquer. Cela commence à changer, il y a plus de personnes de couleur dans les publicités sportives, mais il y a place à l'amélioration.» Ce qui la dérange davantage? L'attention beaucoup plus grande accordée aux hommes qu'aux femmes, en athlétisme. S'entraînant à Toronto, elle espère toujours participer aux prochains Jeux olympiques.

- Danielle Bonneau

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Photo Mark Schiefelbein, AP

Kimberly Hyacinthe

Kristel Ngarlem, haltérophile

L'haltérophile de 22 ans, qui défendra son titre aux Championnats nationaux chez les 75 kg, ce week-end, ne sent pas qu'elle est traitée différemment à cause de la couleur de sa peau. «Cela dépend vraiment du sport, indique-t-elle. Dans le mien, à l'international, plus de 50 % des athlètes sont de couleur. Je ne sens pas que je détonne.» Alors que sa mère est née à Sorel, son père vient du Tchad, en Afrique. Elle attire l'attention davantage parce qu'elle est une femme dans une discipline moins conventionnelle, croit-elle. Sur le plan promotionnel, elle constate un désir de sortir de l'ordinaire et se fait approcher en raison de la couleur de sa peau. «Cela m'ouvre des portes différentes.»

- Danielle Bonneau

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Photo Ivanoh Demers, archives La Presse

Kristel Ngarlem

Eric Martel-Bahoéli, ex-boxeur professionnel (de 2008 à 2018) et ex-hockeyeur

«Mon idée est assez claire là-dessus: je crois [que Françoise Abanda] vient de se tirer dans le pied. Il ne faut pas que tu joues à la victime. Les gens, moi y compris, n'aiment pas ce genre d'attitude. Elle ferait bien mieux de se démarquer par ses aptitudes et en s'impliquant de façon positive dans la communauté. Moi, je suis très impliqué auprès des jeunes, autant auprès de Blancs que de Noirs. Il faut faire de bonnes choses pour faire cesser les préjugés.

«Abanda a moins d'attention médiatique? Ça n'a pas rapport avec la couleur de sa peau. Eugenie Bouchard a un historique, elle a gagné des matchs importants dans le passé et elle paraît bien. Abanda aussi paraît bien, mais elle doit faire ses preuves. Peut-être qu'elle devra travailler un peu plus fort, mais quand elle va avoir la reconnaissance, elle va être vraie. Gagne-les, tes matchs, gagne-les, tes tournois, et les gens vont te donner l'attention que tu mérites.

«Au hockey, quand j'étais jeune, je me suis fait pas mal écoeurer, mais si j'avais été vraiment dominant, j'aurais eu ma place parmi les meilleurs. En boxe, c'est un sport multiculturel, je n'ai jamais eu de problèmes. Au tennis, ça s'en vient plus multiculturel. Plusieurs, comme Serena Williams, ont ouvert des portes. Qu'elle soit la Serena du Québec! Je ne pense pas qu'au Québec, en 2018, tu te fasses mettre des bâtons dans les roues pour ta couleur, au contraire.»

- Sophie Allard

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Photo Erick Labbé, Archives Le Soleil

Éric Martel-Bahoéli

Claude Vilgrain, ex-joueur de la LNH

«J'ai grandi à Charlesbourg et si je ne jouais pas dans l'équipe de mon frère, j'étais toujours le petit Noir du club. Je me faisais souvent traiter de "blackie" ou de "noireau" sur la glace. Je ne sais pas combien de fois pendant la poignée de main après le match la moitié des joueurs de l'équipe adverse refusait de me serrer la main. [...]

«Je vais toujours me rappeler mon premier match contre le Junior de Montréal. J'étais tout excité en bondissant sur la glace pour le début du match. Les estrades étaient remplies de la moitié des fans de Montréal. Ils ont commencé à crier: "Boula! Boula! Boula!", "Go back in Africa!", "Taxi! Taxi!". Je n'avais pas compris c'était quoi l'idée avec "taxi". J'ai réalisé par la suite que de nombreux Haïtiens étaient chauffeurs de taxi à Montréal. J'ai joué mon pire match à vie. Après cette partie, je me suis dit que je n'allais plus jamais me laisser affecter par les gens. Chaque fois que j'étais dans une telle situation, j'avais mes meilleurs matchs.»

- Extrait d'un article de Mathias Brunet du 19 mars 2018

Photo fournie par Claude Vilgrain

Claude Vilgrain et P.K. Subban