Le scénario de la Triple Couronne est digne d'un conte de fées tissé de 1000 rebondissements. Un poulain négligé et un jockey populaire en sont les acteurs principaux, mais les seconds rôles sont particulièrement colorés, à commencer par le duo de cow-boys révélé lors du Derby du Kentucky.

«J'ai parti une bagarre et je me suis vite trouvé en minorité. «Chip» (Woolley) est venu à mon aide et on a fini par gagner la bagarre...»

 

L'amitié entre Mark Allen et Chip Woolley ne s'est jamais démentie, même quand Allen a été impliqué dans un scandale de corruption et de fraude, en Alaska, en 2003. Son père Bill Allen, le principal accusé, a obtenu l'immunité pour son fils, en échange d'un témoignage contre le sénateur Ted Stevens, le plus important politicien mis en cause.

Au bout du compte, Mark Allen a plutôt profité du scandale puisqu'il a touché une somme importante dans la liquidation de la compagnie familiale, une somme qu'il a investie dans quelques poulains prometteurs.

Familiers des hippodromes du Nouveau-Mexique, Allen et Woolley rêvaient de conquérir les grandes pistes américaines. Ils se sont mis à la recherche d'un bon poulain. Woolley a déniché Mine That Bird au Canada. À deux ans, il a remporté plusieurs courses importantes et obtenu un titre de cheval de l'année l'an dernier. Allen et son associé Leonard Blach ont payé 400 000$ pour le rejeton de Birdstone, le vainqueur du Belmont Stakes en 2004, même si c'est un hongre et qu'il ne pourra leur rapporter un sou en droits de reproduction après sa carrière.

Vite inscrit dans la Breeders Cup Juvenile, en octobre 2008, Mine That Bird a terminé dernier, rien pour rêver de la Triple Couronne. Qu'importe, Woolley et Allen ont décidé d'inscrire le poulain dans le Derby du Kentucky. Ses résultats de l'année précédente le qualifiaient parmi les chevaux admissibles, mais personne ne considérait Mine That Bird parmi les favoris.

Dans une remorque

L'arrivée du pur-sang au Derby du Kentucky, dans une remorque accrochée à la camionnette de Woolley, a suscité encore des railleries, mais la présence du réputé Calvin Borel en selle a donné à l'équipage un soupçon de crédibilité.

Très populaire depuis sa victoire dans le Derby du Kentucky de 2007, Borel est un athlète humble qui a connu une carrière difficile avant de parvenir au sommet. Son parcours, des hippodromes minables à la Maison-Blanche - où il a été invité au dîner de gala offert à la reine Élisabeth en 2007 - lui a valu l'estime de tous dans l'industrie.

Habitué à longer la clôture, d'où son surnom Borail, Borel s'est amené bon dernier à l'entrée de la dernière ligne droite à Churchill Downs. «Mais je sentais que mon cheval avait beaucoup d'énergie et que nous pouvions bien faire si nous trouvions une petite ouverture...» En fait d'ouverture, le duo a eu droit à un véritable boulevard. Dépassant tous ses rivaux l'un après l'autre, Mine That Bird a pris le premier rang et s'est imposé par 63/4 longueurs, une victoire sans équivoque.

Après la course, les connaisseurs, estomaqués, ont fait la fine bouche. Des entraîneurs réputés se sont étonnés qu'un négligé vienne ainsi battre les favoris. D'autres ont noté que des chevaux de calibre n'étaient pas inscrits au Derby.

L'un d'eux était Rachel Alexandra, une pouliche que Borel avait menée à une impressionnante victoire par 20 longueurs, la veille du Derby, dans le Kentucky Oaks. Avec cinq victoires à ses cinq dernières courses, Rachel Alexandra avait déjà une formidable réputation et ses propriétaires en ont profité pour la vendre à un groupe mené par Jess Jackson, un richissime producteur de vin californien. Une transaction de plusieurs millions.

Alors que les anciens propriétaires de la pouliche n'avaient aucune intention de participer à la Triple Couronne, Jackson et ses associés ont décidé de l'engager dans le Preakness, deuxième épreuve de la Triple Couronne disputée le 16 mai. «Si une pouliche galope aussi vite que des poulains, elle mérite de courir contre eux «, a dit l'entraîneur Steve Asmussen pour expliquer la décision.

Le choix de Borel

Calvin Borel a délaissé sans hésiter le vainqueur du Derby en faveur de Rachel Alexandra et la pouliche l'a récompensé de sa confiance en menant la course de bout en bout et en résistant à la charge finale de Mine That Bird, guidé pour l'occasion par Mike Smith. Aucune pouliche n'avait remporté cette course en 85 ans.

La table était donc mise pour un affrontement de rêve dans la dernière manche de la Triple Couronne. Qui, de la pouliche aux airs de diva - elle a posé cette semaine pour un reportage photo dans Vogue -, ou du poulain hongre en quête de gloire, s'imposerait dans le Belmont Stakes?

En décidant il y a qulques jours de ne pas inscrire Rachel Alexandra dans la plus longue et éreintante des trois courses, Jackson et Asmussen ont déçu bien des amateurs et privé le Belmont Stakes d'un ultime et spectaculaire rebondissement.

Qu'importe, Borel retrouvera Mine That Bird et tentera de devenir le premier jockey à réussir la passe de trois sur des chevaux différents. Woolley et Allen seront à l'hippodrome Belmont Park avec l'espoir de clouer le bec une fois pour toutes aux «aristocrates» du milieu.

Neuf autres poulains seront sur la ligne de départ. Chacun avec une histoire à découvrir, à un mille et demi de la gloire.

Ce soir un peu avant 18h30, à TSN et à ABC.