Oubliez la WWF et ses gros mâles «stéroïdés». La lutte mexicaine, c'est encore mieux. Plus gras, plus kitsch, plus mystique...

Les Mexicains appellent ça la lucha libre.

En gros, c'est un peu comme la lutte. Sauf que là-bas, c'est beaucoup plus qu'un spectacle. C'est une religion qui rassemble tous les âges et toutes les classes de la société. Les arénas sont remplis. Les lutteurs - masqués pour la plupart - sont d'immenses vedettes. Certains, comme le mythique Santo, sont même devenus des stars du cinéma.

 

«C'est le deuxième sport national, après le soccer» résume Omar Alexis Ramos, animateur de l'émission Foco Latino, sur les ondes de la chaîne multiethnique CJNT (canal 14).

Omar Alexis est Mexicain d'origine. Et comme la plupart des Mexicains, il se passionne pour la lucha libre.

À tel point qu'il a décidé d'organiser le «Ciné lounge lucha libre» une soirée vouée à la lutte mexicaine, présentée tous les dimanches à compter de 17h, au bar Nacho Libre.

«À Montréal, beaucoup de gens sont fascinés par cette culture kitsch, souligne Omar Alexis. Il suffit d'aller au festival Fantasia pour s'en rendre compte. Les films de Santo sont toujours très courus. Le problème, c'est qu'il y avait très peu d'endroits pour partager cette passion. J'ai voulu créer un lieu pour qu'on puisse échanger, entre fans, profanes et initiés.»

Le Ciné lounge Lucha libre mexicaine sera un peu comme une «introduction», ajoute l'animateur. On présentera des vidéos de lutteurs mexicains actuels, des films du légendaire Santo et même des matches d'impro lucha, version mexicaine de notre LNI.

«Au lieu d'être du hockey verbal, ce sera de la lutte verbale, dans un ring», souligne Omar Alexis, en précisant que ces joutes intellectuelles se feront en français, en anglais et en espagnol... et bien sûr avec des comédiens masqués.

Et de la vraie lutte, il y en aura? Un peu. Mais attention, pas avec n'importe qui. Quelques démonstrations seront offertes par un certain Marco Vasquez, qui a déjà été lutteur professionnel au Mexique, sous le nom de Billy Tron.

Contrairement à Omar Alexis, Marco n'aborde pas la lutte au second degré. Pour lui, c'est une affaire très sérieuse. Quand il était jeune, deux de ses oncles étaient dans des ligues professionnelles. L'un comme joueur, l'autre comme arbitre. Ils lui ont appris les rudiments, mais aussi la noblesse du métier.

Techniquement, explique Marco, il y a peu de différences entre la lutte mexicaine et la lutte nord-américaine. Les matches de lucha libre durent trois rounds, au lieu d'un seul. Les prises de style gréco-romain sont plus fréquentes. Les méchants (rudos) ne gagnent jamais. Et les lutteurs sont généralement plus gras que dans la WWF, résultat combiné d'une mauvaise alimentation et d'une culture du corps un peu moins obsessive. «Disons qu'ils sont plus près du sumo que des Chippendales!» précise Omar Alexis.

Philosophiquement, par contre, il y a une différence fondamentale. La culture du masque a amené, dans la lucha libre, une dimension mystique qu'on ne trouve dans aucun autre sport. Personne ne connaît les visages des lutteurs. Et ce secret ne fait qu'accentuer leur image de superhéros auprès d'une population qui ne demande qu'à rêver.

«L'aspect sacré est très fort, estime Marco. Et c'est pour ça que cette lutte est la meilleure du monde.»

Lutter dans le plaisir

Omar Alexis Ramos ne sait pas si ses soirées hebdomadaires de lucha libre dureront plus de trois rounds. Mais en ce qui le concerne, ce n'est qu'une première étape vers d'autres projets du même genre.

Déjà, l'animateur de Foco Latino est en train de préparer une exposition interactive sur la lucha libre, qui devrait être présentée à l'Espacio Mexico d'ici quelques mois. Il songe aussi à faire venir des vrais luchadores mexicains pour des matches de démonstration.

«Pour moi, 2009 sera l'année de la lutte, conclut Omar Alexis. Il y a un parallèle à faire avec la situation économique. Il va falloir lutter plus fort. Mais on peut lutter dans le plaisir!»

Ciné Lounge Lucha libre mexicaine, tous les dimanches à partir de 17h au Nacho Libre, 913, rue Beaubien Est.

De Santo à El Barrio...

La lucha libre est apparue au Mexique en 1934. Mais sa popularité n'a explosé qu'au milieu des années 40, avec l'apparition du lutteur-vedette, Santo.

Santo est l'icône absolue de la lutte mexicaine. En près d'un demi-siècle de carrière, sa réputation a dépassé les frontières du ring pour s'inscrire dans la culture populaire au sens large. On l'a mis en scène dans des bandes dessinées et il a joué dans une cinquantaine de films d'action, équivalents mexicains de nos bons vieux Batman. À sa mort, en 1984, l'homme a eu droit à des funérailles nationales.

Aujourd'hui la lucha libre est devenue un véritable phénomène culturel, qui se décline en deux ligues professionnelles majeures (La AAA et le Consejo mundial de Lucha Libre) et une ligue indépendante. Ses lutteurs sont des vedettes à part entière (Mistico, Hector Garza, Ultimo Guerrero) et les matches continuent d'attirer des foules nombreuses en mal de défoulement.

«C'est un exutoire pour la population mexicaine, dit Omar Alexis Ramos, animateur de Foco Latino, à CJNT. Sans lucha libre, il y aurait encore plus de tension dans les grandes villes.»

Mais le rayonnement de la lutte va plus loin.

Depuis quelques années, les milieux militants ont récupéré ce sport (?) pour défendre les bonnes causes. C'est le cas de «Super Barrio» (Super quartier) un «lutteur social» qui fait ses campagnes de sensibilisation contre la pauvreté vêtu d'un slip, d'une cape et d'un masque. C'est aussi le cas de «Super ecologista», dont le nom se passe d'explication. Dans un autre registre, le lutteur Fray Tormenta redistribue une part de ses recettes à des orphelinats mexicains.

Même phénomène du côté culturel, où la lucha libre est devenue une grande source d'inspiration. «La lutte ne s'adresse plus seulement aux gens des classes populaires, explique Omar Alexis. Elle fascine aussi les intellectuels. Elle a ouvert la porte à des peintres, des sculpteurs, des photographes, des musiciens et même à des gens de théâtre, qui ont fondé une importante ligue d'impro lucha.»

«C'est peut-être ça, la plus grande différence avec la lutte américaine. La lutte mexicaine est beaucoup moins mercantile. C'est devenu un art.»