Si on pouvait en finir avec les normes, déconstruire toutes ces étiquettes, et enrayer enfin les violences sexuelles, le monde ne s’en porterait-il pas mieux ? C’est du moins ce que croit fermement la sexologue Myriam Daguzan Bernier, qui vient de publier Sexe, sexo, sexu !, un livre d’« idées nouvelles pour des sexualités libres et joyeuses ». Huit fantasmes pour y arriver.

1– Parler enfin de sexualité librement

Rencontrée à la librairie Un livre à soi, rue Laurier, Myriam Daguzan Bernier n’hésite pas longtemps quand on l’invite à nous parler de ses « fantasmes pour un monde meilleur » (une variation sur le titre de son dernier chapitre). Il faut dire que son premier livre, Tout nu !, dictionnaire « bienveillant » pour adolescents, a carrément été brûlé à la torche par une candidate républicaine aux États-Unis, Valentina Gomez, plus tôt cette année. Aux yeux de la sexologue, c’est surtout une grande « ignorance » qui est ici en cause. « Il y a encore tellement de choses taboues, déplore-t-elle. Ça empêche les conversations, ça empêche surtout d’avancer. Et ce n’est pas un beau cadeau à faire aux générations futures ! »

2– Enrayer les violences à caractère sexuel

En finir avec la culture du viol, la masculinité toxique, et tous ces préjugés envers les différences, c’est son deuxième vœu. Pour cause : « je vois tellement les impacts énormes que ça a sur ma clientèle », dit l’autrice, qui travaille comme sexologue clinicienne auprès d’une clientèle essentiellement trans et non binaire, à la clinique Accès-Sexologie, dans Parc-Extension. C’est d’ailleurs à eux qu’elle a pensé en premier lieu quand son livre a été brûlé en février. « Je me suis sentie très mal. Je vois leur détresse. On n’est pas si loin des États-Unis… » Plusieurs le disent, d’ailleurs : ils n’y retourneront pas de sitôt.

3– Dégenrer la sexualité

Le saviez-vous ? La nature est loin de fonctionner en mode binaire. Pourquoi s’y contraindre, quand on sait qu’on se prive ce faisant d’un éventail d’expériences potentiellement épanouissantes ? « Or, j’ai l’impression que beaucoup de personnes hétérosexuelles cisgenres vivent beaucoup de blocages », avance Myriam Daguzan Bernier. « Il y a beaucoup de possibilités en sexualité, mais les tenants et aboutissants de la masculinité sont très restrictifs. » Un exemple parlant ? Les plaisirs entourant la stimulation de la prostate, dit-elle. Qu’on se le dise : « Ça n’a aucun rapport avec l’orientation. Éclatez-vous ! Ayez du fun ! »

4– En finir avec la performance

C’est l’un des sujets les plus discutés en clinique : la sacro-sainte performance. « Les gens se mettent tellement de pression, ce n’est pas possible ! » Et on ne parle pas ici de performer dans l’acte, mais plutôt de performer l’acte tout court ! « Les gens se mettent de la pression à avoir du sexe, déplore-t-elle. On n’a peut-être pas le temps, et ce n’est pas grave. Il n’y a pas d’obligation ! Et puis il peut aussi y avoir des pauses. »

5– Enrayer les préliminaires

Entendons-nous : la sexologue ne parle pas ici d’en finir avec les préliminaires (tout le contraire, « parce que c’est le fun ! », glisse-t-elle en riant), mais plutôt d’en finir avec cette idée de la chose en tant qu’étape, comme si l’essentiel était à venir. « C’est un tout ! rappelle-t-elle. Il faut arrêter de tout miser sur la pénétration ! » Une vision bien ancrée qui a la vie dure (sans jeu de mots).

6– Cesser de juger la non-monogamie

Fait à noter : « Les couples non monogames ont les mêmes enjeux que les couples monogames, et il n’y a pas plus d’échecs que chez les couples monogames », dit la sexologue. Plusieurs se font juger, à coup de « ça ne marchera pas », ou « moi, je ne serais pas capable », paraphrase la clinicienne. Or quand on sait qu’il s’agit tout simplement d’un « autre mode relationnel » qui requiert par ailleurs un « haut degré de communication », pourquoi juger ?

7– Plus de gêne face aux ITSS

« N’importe qui peut en contracter, et il y en a particulièrement chez les jeunes et les personnes âgées », déclare la sexologue. Parce que oui, énième tabou, les personnes âgées ont évidemment aussi une vie sexuelle active. « Il n’y a rien de gênant là, ça arrive, ça fait partie de la vie », insiste-t-elle. Or qui dit gêne dit souvent moins de dépistage, ce qui peut avoir de bien réelles et fâcheuses conséquences.

8– Oser explorer !

C’est sur ce dernier fantasme que l’autrice conclut : « Les choses qui vous tentent, dit-elle, que ce soit le BDSM, le kink, le porno, les jouets, ne soyez pas gêné ! » Parce que là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir, comme on dit. « Mais vous n’êtes pas obligé d’explorer non plus, ajoute-t-elle, faites donc ce que vous voulez ! Tant que c’est dans le consentement et le bien-être. » Un appel à la bienveillance exactement dans le ton de son livre.

Son livre 

Sorte de manuel d’éducation à la sexualité pour adultes, Sexe, sexo, sexu, publié chez Trécarré, propose un regard résolument inclusif sur le sexe, abordant quantité de sujets qui débordent largement des activités sous la couette. Au menu : désir, épanouissement, diversité des érotismes, bien sûr, mais aussi colonialisme, intersectionnalité et déconstruction des étiquettes. Myriam Daguzan Bernier s’appuie ici sur de nombreuses études, en évitant tous les angles morts possibles (mais tous ses cas de figure sont fictifs) dans une perspective qu’elle qualifie d’« humaniste ». De nombreux termes sont définis au passage – de patriarcat à proxénétisme en passant par monogamish et polyamour, elle propose même un glossaire BDSM – avec toutes les nuances de rose. Si Tout nu ! s’est imposé comme un ouvrage de référence pour les jeunes, ce petit dernier devrait en faire tout autant pour leurs parents (et les adultes, plus généralement).

Sexe, sexo, sexu

Sexe, sexo, sexu

Trécarré

296 pages

Qui est Myriam Daguzan Bernier ?

  • Sexologue clinicienne, elle vient de publier Sexe, sexo, sexu aux éditions du Trécarré. Elle alimente aussi un blogue éducatif, La tête dans le cul.
  • Elle a publié un premier livre pour adolescents en 2019, Tout nu !, qui s’est valu le Prix jeunesse des Bibliothèques de Montréal en 2020.
  • En février, Valentina Gomez, candidate républicaine au poste de secrétaire d’État au Missouri, a brûlé un exemplaire de son livre au lance-flammes pour « protéger les enfants ».