La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : France, 39 ans

France* a eu un parcours « atypique ». Elle a vécu, exploré, s’est casée, a exploré encore, puis s’est fait violer. Et depuis, rien n’est plus pareil…

« Crois-moi, crois-moi pas, je n’ai eu personne depuis. Ce n’est pas facile… », confie la jeune femme, fin trentaine, les yeux rougis et la voix tremblante, au bout d’une grosse heure de confidences chargées.

Elle nous a donné rendez-vous dans un café de Trois-Rivières pour se confier. C’est qu’elle a fait du chemin, mine de rien, et elle est enfin capable d’en parler. « Il y a trois ans, je n’étais pas capable tout court. Dans trois ans, je vais peut-être être encore plus forte ? »

Attablée à l’écart, la trentenaire aux cheveux colorés, travailleuse de la santé de son état, se confie d’abord dans la légèreté. C’est que son histoire a plutôt bien commencé. Pensez : première fois à 16 ans « comme dans les films d’ados de l’époque, il fallait que ça arrive avant le bal », un amoureux à 17 avec qui elle « découvre » enfin le « plaisir », dans une relation qui dure un an.

« Et puis, à 19 ans, j’ai vécu ma première agression », poursuit-elle sans transition. On ne l’a pas vue venir, celle-là. Comment donc ? « Dans un contexte de party, raconte-t-elle, une fin de soirée, le gars s’essaye, je dis non, il ignore les non et met sa main dans ma culotte… »

France est bouleversée, cherche de l’aide à l’école, et entend encore l’intervenante lui demander : « Comment tu étais habillée ? » « J’ai culpabilisé, vraiment. »

J’ai fini par me dire : c’est quelque chose que toutes les filles vivent, c’est à moi de mieux me préparer…

France, 39 ans

Autre époque ? Pas exactement : « Ça ne fait pas si longtemps, rappelle-t-elle, c’est ça qui est dégueulasse… »

Les mois passent et France se concentre sur ses études. Quelques one nights, un petit french dans un bar par-ci, par-là, « ça me suffisait ».

Coup de foudre

L’été qui suit, elle fait une rencontre marquante : un vrai coup de foudre pour un type en couple ouvert. Cela lui prend des années avant de lui dire qu’elle aimerait vivre quelque chose avec lui, ce qu’ils finissent par faire, et elle n’est pas déçue. « Ça a été à un autre niveau, sourit-elle. Il était complètement à l’aise avec son corps, debout devant le miroir, des heures et des heures. » Ils se fréquentent ainsi plusieurs mois, pendant lesquels France voit aussi d’autres hommes. « Ça a été très dur à gérer émotionnellement, dit-elle, avec le recul, trop d’amour ! Je ne savais plus qui prioriser ! »

Et puis mi-vingtaine, elle finit par se dire qu’elle devrait peut-être penser à se caser. « Est-ce que je pourrais essayer quelque chose de steady ? » C’est à ce moment qu’elle rencontre sur un site le père de son enfant. « Vraiment un bon gars », dit-elle. Mais ? « On riait, on était les meilleurs amis, mais on n’avait pas la chimie… »

Pire : monsieur n’aime pas frencher et est « mal à l’aise » avec le sexe oral. « J’ai eu zéro cunnilingus de toute la relation. » Mais France s’accroche parce qu’il est tendre et sérieux. « Je me sentais aimée, mais pas désirée… » Leur histoire dure près de dix ans. Les deux dernières années, « c’est mort ».

Si elle l’a trompé ? Une seule et unique fois : juste avant de le quitter. « Et ça a confirmé que je devais le laisser, souligne-t-elle. Ça m’a fait revivre, j’étais morte de l’intérieur ! »

À la suite de sa séparation, mi-trentaine, France revit. Littéralement : « C’est une très belle période, vraiment. Je me suis remise à m’aimer, je faisais du sport, je me trouvais belle. » Et elle a « beaucoup » d’amants. Elle a même une bucket list de fantasmes à réaliser : club échangiste, expérience fétichiste… « J’ai même eu une personne qui voulait que je lui fasse pipi dans la bouche. » Et puis ? « J’ai dit non longtemps, j’ai fini par essayer, et ça a confirmé pourquoi j’ai dit non longtemps », répond-elle d’un air entendu.

L’agression

Cette phase dure un an, jusqu’à ce que France se dise à nouveau : « Je me calme. » « Je voulais rencontrer plus sérieusement, poursuit-elle, toujours sans transition, et c’est là que j’ai rencontré le gars qui allait m’agresser… »

Où donc ? Une application. C’est à la troisième rencontre, alors qu’il ne s’est encore rien passé, que ça dérape. « Moi, je travaillais beaucoup, j’avais peu de temps, raconte-t-elle, mais ce soir-là, lui, il a décidé que ça se passait. »

Elle se souvient de chaque détail : ils mangent ensemble, puis il la couche sur le divan, l’embrasse et commence à enlever son pantalon. Elle dit non. Il continue. Redit non. Il lui tient les jambes. Puis sort son pénis. Et se « vide ». À ce jour, la scène la hante encore. « J’ai figé », dit-elle la voix cassée, les yeux tout à coup pleins de larmes.

À chaque étape, je me disais : il va arrêter, mais il a continué.

France, 39 ans

Elle a fini par partir, et ils ne se sont jamais revus. Quelques échanges par écrit, dénigrants, par-dessus le marché, et ça s’est arrêté là.

Oui, elle a porté plainte. D’ailleurs, elle attend son procès. France tient aussi à souligner que l’accueil, tant des policiers que des enquêteurs (deux femmes, ce qui est fort apprécié, précise-t-elle), a été « merveilleux ».

Sauf que ça ne s’arrête pas là. Cela fait trois ans, très exactement, et depuis, France n’ose plus approcher les hommes. Une fois, une seule, elle a embrassé une vieille connaissance, et elle a craqué. « J’ai pleuré. Je voyais juste le pénis de mon agresseur », dit-elle, la voix étouffée.

C’est qu’elle a « peur ». Peur de faire peur et d’avoir peur. Peur d’avoir mal et de faire mal. De ne plus sortir de cette spirale. « J’ai des étapes à vivre, il faut que je les vive, mais c’est dur de trouver quelqu’un avec qui les vivre ! […] Je ne sais plus comment rencontrer quelqu’un ! » Il faut dire qu’elle s’est isolée, évite les 5 à 7 (« le monde en boisson, je me sens mal à l’aise ») et est toujours à risque de se mettre à pleurer.

« Ça m’a changée, conclut-elle en s’essuyant les joues. Je n’ai plus confiance qu’un homme va respecter mes limites. Je n’ai plus confiance en moi, d’être capable de m’affirmer. […] En même temps, j’ai cheminé. Peut-être que ça va revenir. Mais différemment. […] Mais ce n’est pas normal d’avoir peur de me faire agresser si je vais souper chez quelqu’un. Il faut que la société progresse. […] Ce n’est pas normal », répète-t-elle.

Son histoire s’arrête ici. Pour l’instant, du moins. France prend une grande respiration, confirme que se raconter « fait du bien » et part en coup de vent griller une cigarette.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.