La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.
Aujourd’hui :
 Catherine*, 29 ans.

Catherine a un mari. Elle a aussi un chum. Et tout ce beau monde habite ensemble, dans l’harmonie. Portrait d’un « trouple » comme on en voit peu.

La jeune femme nous a écrit au début de l’été pour raconter son vécu, effectivement hors du commun. « Nous avons très peu de modèles ou de personnes que nous connaissons avec un mode de vie comme le nôtre », disait-elle. Distance oblige (ils sont du Bas-Saint-Laurent), l’entretien se fait un soir de semaine, par visioconférence, dans une ambiance décontractée. De temps à autre, peu sûre des faits, Catherine interroge tantôt l’un (appelons-le X), tantôt l’autre (disons : Y), deux souriants barbus qui viendront gentiment nous saluer à la caméra.

« On s’est ouvert à nos amis, notre famille, la plupart de nos collègues, commence Catherine, fin vingtaine, tout sourire avec ses longs cheveux et ses pétillants yeux bleus. Mais je ne glisse pas ça nécessairement dans une conversation anodine. » Pour cause. « J’ai peur du jugement… »

N’empêche qu’elle se confie ici en toute transparence (ou presque), et entre plusieurs fous rires.

Elle a rencontré son mari (X, donc), l’homme qui partage (littéralement) sa vie, début vingtaine, après quelques relations de courte durée. « J’ai toujours eu de la misère avec la monogamie, dit-elle d’emblée. Je n’ai jamais trompé, mais facilement, j’avais des relations émotionnelles. […] J’ai trompé émotionnellement, peut-être… » On devine qu’elle ne comprend pas trop, à l’époque, ce sentiment d’attachement « émotionnel » pour plusieurs personnes en même temps, lequel se précisera avec le temps.

Dès qu’elle a rencontré X, elle a été très claire : « Je m’engage, mais je veux vivre ma bisexualité. » Sa bisexualité ? « Je me posais des questions, répond-elle, et je voulais aller au bout de ça. J’avais envie de m’engager longtemps avec X, mais aussi de répondre à mes questionnements. »

Alors ils en sont arrivés à une entente, la première d’une série : « Si ça adonnait, j’avais le droit de coucher avec une femme. » Idem pour X.

C’est à Montréal, où Catherine vient étudier un an, laissant son amoureux dans leur Bas-Saint-Laurent, qu’elle vit finalement quelques expériences avec des filles. Et puis ? « Super le fun. » Sauf qu’à nouveau, elle développe ici des sentiments. Sans se comprendre exactement.

Je ne savais pas que c’était une option, aimer plus qu’une personne. Je ne comprenais pas ce qui se passait !

Catherine

Ces histoires finissent là, puis Catherine revient, et à son tour, X part étudier en ville. Pendant ce temps, elle se rapproche tout naturellement d’Y, le meilleur ami de X. « Lui, ça allait moins bien dans ses relations amoureuses […], alors on parlait beaucoup, on avait de grandes discussions. » Mais non, elle ne couche pas avec lui. « On avait des limites : je pouvais juste coucher avec des filles », rappelle-t-elle. Tout comme X, d’ailleurs, pas du tout intéressé par les hommes, faut-il le préciser. « Mais j’avais une très belle relation avec Y. Des fois, la limite entre l’amour et l’amitié, ce n’est pas clair… »

Et puis cela dépassait surtout son entendement. « On ne savait pas que c’était possible d’être en amour ! » Elle l’était déjà (avec X), comment pourrait-elle l’être avec Y ?

Et puis ? Et puis « il s’est passé des choses », X a « traversé » des limites, devine-t-on, et a fini par la laisser en « traverser » à son tour. En gros, oui, il l’a laissée coucher avec Y. Vous suivez ? « Mais tout cela s’est fait dans la transparence ! » Et c’est là que Catherine a fini par se rendre à l’évidence : « Je l’aime [Y], je suis en amour ! » Imaginez sa confusion : « Mais [X] ! Je l’aime toujours autant ! Ça a créé beaucoup d’émotions. […] Je ne savais pas que c’était une option ! »

Et puis ça ne s’invente pas : Y s’est blessé, puis est venu s’installer chez eux. « Il devait rester deux semaines, mais il n’est jamais reparti », pouffe-t-elle. C’était il y a trois ans.

Fin de l’histoire ? Plutôt le début. Il a tout de même fallu que Catherine demande la permission : « Est-ce que je peux sortir avec Y aussi ? » S’il a d’abord refusé, X a fini par acquiescer. De son côté, Y aussi a pris le temps d’y penser. « Ce n’est pas à prendre à la légère, mais il s’est rendu compte qu’il était bien. Alors on a décidé qu’on allait être en trouple. »

Depuis, ils ont acheté une maison (à trois), songent fonder une famille (« X ne veut pas, Y veut », donc ce sera avec Y) et vivent un quotidien « vraiment ordinaire, comme tout le monde », à quelques nuances près. Ils partagent les tâches domestiques, regardent des séries ensemble (ou pas : « eux ils écoutent des films que moi je n’écoute pas ! »), bref, c’est « vraiment pas plate ».

Ils ont une belle amitié. […] Ça fait leur bonheur, pas juste le mien !

Catherine

Mais au lit ? En fait, il n’y a pas grand-chose à dire, à part qu’ils ont deux chambres, et que Catherine alterne entre les deux. « On essaye de faire ça le plus équitable possible. Mais oui, ça marche bien ! » Catherine se montre ici assez pudique (on comprend qu’elle n’est pas du genre à « frencher » en public), mais confirme : « J’ai du bon sexe avec les deux ! » L’un plus que l’autre ? ose-t-on. « J’irai pas là », pouffe-t-elle. Tout au plus saura-t-on que l’un est plus « ouvert », l’autre plus « vanille », mais que les deux la comblent également.

D’ailleurs, ils n’en parlent pas non plus entre eux. « Ça dépasse leurs limites, ils ne veulent pas savoir. » Mais si vous voulez tout savoir, non, ils n’ont jamais fait ça à trois. « Pas du tout, pouffe-t-elle, et je ne pense vraiment pas que ça arrivera un jour […]. La sexualité, on fait ça dans nos chambres, pas les uns devant les autres. »

Et de la jalousie, il y en a ? « Ce serait dur de dire : “Il n’y a aucune jalousie, tout est parfait.” Mais honnêtement, ça n’arrive pas souvent. Ça va vraiment bien. » Quand crise il y a, comme « n’importe quel couple », ils se parlent, puis trouvent des solutions.

Curieusement, X est toujours « ouvert » (oui, il va voir ailleurs), mais pas Y, plutôt « monogame ». Du coup, Catherine est aussi « monogame » à sa manière. Dans son trouple, quoi.

« Je me fais souvent dire que je suis chanceuse. Mais je suis surtout chanceuse d’avoir X dans ma vie. Et Y dans ma vie. Ce sont deux gars incroyables. Je suis chanceuse, individuellement, de les avoir les deux ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.