La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Roxane*, 53 ans

Cela fait seulement trois ans. Trois petites années que son couple, vieux de 30 ans, est officiellement libertin. Et Roxane n’est plus du tout la même depuis. Récit d’une « renaissance ».

C’est le mot qu’elle emploie pour parler de ce changement de vie : « Je me suis sentie renaître. » Tout un revirement, quand on connaît son cheminement. Un parcours qu’elle ne se fait pas prier pour raconter, avec plusieurs allers-retours entre son passé « refoulé », comme elle dit, et son présent teinté d’ouverture, et surtout de liberté.

« J’ai été élevée très religieusement », lance aussi, et d’entrée de jeu, la quinquagénaire aux longs cheveux blonds de sa voix douce et posée, rencontrée dernièrement dans un bistro du DIX30. « J’allais à l’église jusqu’à 16 ans. La masturbation, c’était mal. » Ça vous donne une idée d’où elle vient.

Je culpabilisais quand je me touchais.

Roxane

Elle vit tout de même ses premières expériences sexuelles autour du même âge (« très court ! », résume-t-elle en souriant), rencontre une poignée de garçons, avant de rencontrer son mari (d’abord à 16 ans, puis à 18 ans, deux ans plus tard et pour de bon). « Et on ne s’est jamais lâchés », dit-elle, pas peu fière.

Au lit ? « Lui, il avait beaucoup d’expérience, se souvient-elle. Et c’est lui qui a fait mon épanouissement sexuel. »

D’emblée, il aborde avec elle la question de l’échangisme (subtilement et sans jamais mettre de pression, précise-t-elle). Mais pour Roxane, il n’en est pas question. « Je ne voulais même pas en entendre parler. Avec le recul, je crois que je n’étais pas bien dans mon corps. Je me trouvais grosse ! »

Leurs relations sont « correctes » à ses yeux. Mais pour monsieur, « vraiment pas assez ». « Mais moi, je n’étais pas sexuelle, relate-t-elle. Non, ce n’est pas vrai : mais c’était refoulé. »

Puis arrivent les enfants, fin vingtaine. « Et c’est tombé mort. » Si ç’a été un enjeu ? « Mais c’est sûr ! répond Roxane sans hésiter. Ce que je pense, c’est que la monogamie entraîne des frustrations. Une seule personne n’est pas capable de combler tous tes besoins. Je comprends ça aujourd’hui ! » Il faut dire qu’elle revient de loin : « Je l’ai fait souffrir énormément : il n’avait pas le droit de se masturber ! »

Outre la maternité, Roxane a, à peu près à la même époque, divers soucis de santé qui l’envoient régulièrement à l’hôpital. « Je souffrais. Je n’avais vraiment pas la tête à “ça” », précise-t-elle. Conséquence : ils ne font plus l’amour que quelques fois par année. « Mais pour moi, c’était ben correct. »

Moins je le fais, moins j’en ai envie. Plus je le fais, plus j’en ai envie…

Roxane

Et le couple, dans tout ça ? « Il n’était pas fâché, mais il avait des frustrations. Alors il s’est éloigné, et il est devenu froid. Mais c’est normal ! » De son côté, Roxane, en mal d’« affection », vivait ses propres frustrations. De cela découle ceci : « On avait des frustrations des deux côtés. »

Jusqu’à tout récemment, en fait. Jusqu’à ce que Roxane plonge dans une profonde dépression, idées noires incluses. C’était il y a trois ans. « Je n’avais plus de vie. Juste le travail. J’ai l’impression que je suis morte. Et puis je suis re-née. »

Nous y voilà. Il faut dire que depuis, tout a déboulé. « Et quand je suis sortie de ma dépression, je me suis dit une chose : j’allais dire oui à la vie. »

Vous la voyez venir ? « J’allais arrêter d’avoir peur, poursuit-elle, dire oui, essayer. J’allais arrêter de me mettre des barrières. » Et c’est là que tout naturellement, elle a osé, et carrément relancé son mari sur cette idée d’échangisme. Pourquoi là, après toutes ces années de refus ? « Moi, j’avais la libido dans le tapis. Lui ? Zéro... »

De fil en aiguille, elle se renseigne sur les clubs échangistes, les règles et autres codes à respecter. Doute un peu (« est-ce que ça allait briser mon couple ? »), puis plonge (« juste pour voir »). « Mais finalement, ça n’a pas été juste ça », dit-elle, les yeux pétillants, en racontant sa toute première soirée (« je suis entrée en transe ! J’ai perdu la carte ! »). Et surtout son dénouement : « Après, j’avais l’impression de voler ! Comme si je m’étais reconnectée à la vie ! »

La démarche a l’immense mérite de l’avoir rapprochée de son mari. Pas à moitié. « Ça nous a réunis. En 33 ans, on n’avait jamais parlé de tout. Ç’a été le début : on s’est ouverts complètement. On a communiqué, communiqué, communiqué. On n’a plus de jardin secret ! » Et leur intimité en a aussi bénéficié. « Ç’a été très intense. Comme ça n’avait pas été depuis longtemps. »

Ç’a été très, très, très bénéfique pour nous. Je ne retournerais jamais en arrière.

Roxane

Parce qu’on l’a dit, elle n’est plus la même depuis. Et pas que sexuellement, « spirituellement » aussi. « J’ai évolué spirituellement énormément grâce au libertinage. Parce que ça nous amène à travailler sur nous-mêmes. Quand tu vois ton mari faire l’amour à une autre femme, illustre-t-elle, ça te travaille. Les premières fois, il faut prendre du recul. Des fois, ça nous ramène dans le passé très loin, dans des blessures d’enfance. Ça nous amène à travailler ça, pas le choix ! Alors veux, veux pas, ça nous amène dans le développement personnel ! »

D’ailleurs, depuis, elle est en « mission ». « Il faut abolir les tabous autour de la sexualité, lance-t-elle. Et autour des différents modèles de couple, autres que la monogamie. Tout le monde a le droit d’être libre. [...] Pourquoi on se priverait de ça ? »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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