La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : William*, 29 ans.

William a été victime de viol. Une première fois dans l’enfance, une seconde à l’âge adulte. Et même s’il en garde des souvenirs traumatiques, il a tenu ici à se raconter. « Pour inciter d’autres hommes à parler… »

Mise en garde : non, cette histoire n’est pas gaie. Mais elle n’est pas que désolante non plus. Parce que William, rencontré dernièrement dans un coquet resto de la Rive-Sud, ne se voit pas comme une « victime ». Au contraire, « je suis un survivant », tient-il à nuancer, tatouage de rose enflammée à l’appui (et à l’avant-bras, un symbole lancé notamment par Lady Gaga).

Le visage émacié, derrière sa barbe touffue et ses petites lunettes, William plonge sans préambule dans le vif du sujet. « Ça remonte à quand j’avais 7 ans. » Avec ? « Un ami de la famille, un prêtre. Il est mort aujourd’hui… »

À entendre son fort accent (français), on devine que l’affaire s’est passée là-bas. Il opine de la tête, puis s’arrête net. « Va falloir que je boive. Je ne suis pas alcoolique, précise-t-il, mais ça détend. Ça désinhibe… »

Un « trauma »

Une pinte d’IPA devant lui plus tard, William poursuit : « C’est un trauma… » Il se souvient d’ailleurs « de tout », et dans les moindres détails. C’est-à-dire : la couleur des rideaux, la lumière, l’odeur de l’appartement, où il passe en tout deux semaines. Deux semaines de trop. « Ça sentait le vieux… » Et puis ces paroles : « c’est un jeu », « un secret entre nous… »

Ensuite ? « Après, c’est vraiment très flou. Un trou noir. Je me rappelle juste être dans l’auto, avec mon père, sur le retour. » Il revoit le paysage défiler sous ses yeux. « Mon père me sent absent, et me demande ce qu’il y a… » On ne saura pas exactement ce que William lui confie (« tout ! »), ni comment. C’est que son souvenir le plus vif est ailleurs : dans le « soupir » de son père. « Un soupir de désespoir total, le pire soupir du monde, dit-il. Et c’est là que ma souffrance a commencé. Là, c’est la chute… »

Après ? Re-trou noir.

J’ai zappé mon adolescence. Je ne me rappelle rien. Que dalle.

William

William se souvient vaguement des enquêteurs, de la souffrance « vraiment intense » de sa mère, puis que l’affaire a fini par être classée « sans suite », « faute de preuves… »

Il passe rapidement sur une aventure en pensionnat (vers 12 ans), où il a une relation sexuelle avec un « collègue de chambre », « consentante », assure-t-il, pour arriver à ses 17 ans, où ses souvenirs sont cette fois plus précis. C’est qu’à cette époque, il est aux prises avec un véritable « combat ». Objectif ? « Gueuler. J’ai été dans des associations, des groupes de soutien, j’ai été porte-parole pour gueuler. J’avais besoin de sortir de cette horreur, de ma souffrance, qui, en passant, n’est jamais disparue… »

Il réalise alors un court métrage sur le sujet. « Dans ma tête, ça va me sortir de ma souffrance. Mais c’est pire. Je me noie encore plus dedans… »

Et puis ? « Et puis c’est comme si j’avais vécu mon adolescence, dit-il en souriant enfin. Ç’a été un peu la débauche. Quasiment de la nymphomanie… »

C’était il y a 10 ans. « Tu veux que je te raconte ? On n’est pas sortis de l’auberge ! Il y a eu au moins de 200 à 250 femmes en quatre ans. Des femmes, des hommes. Les hommes, j’ai eu de la misère à l’accepter au début, mais j’ai fini par me dire : ce sera soit un homme ou une femme, l’amour de ma vie. Et c’est comme ça. » Parce que oui, à travers toutes ces aventures (son « baisodrome », comme il se plaît à dire), William cherche ici le fameux « amour de [sa] vie ».

À noter : la plupart de ses amants/maîtresses ont de 20 à 30 ans de plus que lui. Mais il n’y a jamais rien de « malsain », et tout est toujours « consentant », précise-t-il.

C’est bizarre, mais ça m’a aidé à accepter mon viol. En reproduisant des schémas avec d’autres hommes plus âgés, ça m’a aidé à passer par-dessus.

William

D’ailleurs, il a pardonné. « Complètement. » « Au bout du compte, je n’ai plus eu de haine. Juste de la peine pour lui… »

Et si vous vous posez la question, non, son attirance pour les hommes n’a rien à voir avec son agression. « Pas rapport », confirme William, pour qui cette question n’a vraiment aucun sens. Il nous en a glissé un mot plus tôt : « Cela a à voir avec ma conception de l’amour : l’amour n’a pas de sexe ni de religion. »

Au début de la vingtaine, William part ensuite en voyage. Sur Tinder, il rencontre une femme. « On s’entendait vraiment bien, on avait une super chimie. Je passais tout mon temps chez elle. » C’est avec elle qu’il débarque au Québec, il y a un peu plus de cinq ans.

Le « deuxième viol »

Un soir de boisson, comme on dit, alors qu’ils s’apprêtent à faire l’amour, et William à enfiler un préservatif (pardonnez les détails techniques, mais c’est crucial), il y a légère bisbille. Ce n’est pas nécessaire, dit-elle ; si, « je veux me protéger », qu’il répond (à moitié « défoncé »). « Et elle l’a enlevé et est montée sur moi, raconte William. J’ai senti la même chose qu’avec le prêtre : on m’a violé encore une fois. […] J’ai vraiment ressenti la même chose. Le même feeling. » Surtout : « la même rechute… »

La suite est floue. Re-trou noir. William poursuit son chemin (ses études). Ce n’est que tout dernièrement qu’il s’est décidé à porter plainte, mais on lui a répondu que ça n’aboutirait sûrement pas. Dans un centre d’aide pour personnes victimes de violence, on lui a même dit que non, « les hommes ne se font pas violer… »

C’est d’ailleurs pourquoi il a tenu à se raconter : « C’est complètement délirant. Ça me scandalise. J’ai fait des recherches. Est-ce qu’il y a un centre pour aider les hommes au Québec ? Zéro ! »

Il ne cache pas être tombé ici dans un creux « ultime ». Mais s’est ressaisi. Parce que son histoire finit bien, quand même. C’est qu’entre-temps, il a fini par la rencontrer, la fameuse « femme de sa vie ». Ils se sont mariés, et ont même eu un enfant. Elle, aussi, a été victime de viol (conjugal). « Il y a une théorie qui dit que les personnes violées s’attirent… »

Sexuellement ? « On s’est apprivoisés, répond-il prudemment. Et là, ça va bien. On est hyper libres. On parle, on échange énormément. […] C’est le pied ! »

C’est aussi ce qu’il aimerait qu’on retienne de son histoire : « Il y a toujours de la lumière, croit-il. Oui, je suis heureux. Le plus important, c’est l’amour… »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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