La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Éléonore*, 40 ans.

En voyant une maman avec son enfant, on ne pense pas d’emblée à sa sexualité, sa libido, ses envies et ses possibles carences. Et pourtant… Confidences d’une maman « soloparentale ».

L’expression n’est pas d’elle, mais lui vient d’un groupe formé sur les réseaux sociaux. Et elle lui correspond parfaitement. Parce qu’Éléonore, 40 ans, qui nous reçoit un matin d’automne dans son vaste appartement éclairé du nord de la ville, tandis que sa puce est à la garderie, est vraiment solo. Pas de garde partagée. Pas de père dans le portrait. Mère à temps plus que plein. D’où l’enjeu de l’intimité, comprend-on.

Avant d’y venir, il faut savoir que la jeune mère, blonde aux yeux clairs, a eu une vie sentimentale bien remplie et, disons, plutôt mouvementée. Commencée sur le tard (« très tard », dit-elle en riant, sans jamais oser nous préciser l’âge, « je voulais tellement en finir avec cette maudite première fois-là ! »), dans le contexte d’une aventure tout sauf « agréable » — de très courte durée avec un amant trop bien membré —, elle finit par pleinement découvrir les « plaisirs de la sexualité » avec sa « première vraie longue relation ». Quelque part au tournant de la vingtaine, devine-t-on.

« Il n’était pas gêné, super généreux », se raconte-t-elle, d’une voix douce, posée et toujours réfléchie. C’est qu’elle aime jaser sexualité. Et ça paraît. « On a tout exploré. L’anal, les sex shops, on n’avait pas de tabous, et c’était très respectueux. » Elle pouffe de rire et enchaîne, en nous servant un café : « C’est tellement drôle de raconter tout ça à quelqu’un qu’on ne connaît pas ! »

Avec le temps, et les années, Éléonore a toutefois moins envie de lui. « Je pensais que je n’avais plus envie de faire l’amour. Mais j’ai eu envie de quelqu’un d’autre. Obsédée par quelqu’un d’autre… », nous dit-elle en souriant, d’un air entendu, en faisant référence à un collègue de travail, beaucoup plus jeune et visiblement très épris. Elle met donc un terme à sa relation, et s’amuse avec ce jeune homme quelques mois. « Ça a comblé un manque… »

Suivent quelques aventures sans lendemain, puis Éléonore se plonge dans une nouvelle relation de longue durée, laquelle dure cette fois cinq ans. Ici, c’est l’inverse : monsieur est tout sauf généreux.

C’était très frustrant. Moi, j’avais énormément de désir […], mais lui, moins de libido que moi.

Éléonore, 40 ans

Elle se souvient l’avoir carrément supplié. Ou s’être masturbée à ses côtés pendant qu’il ronflait. Et ne compte plus le nombre de fois où monsieur a joui, la laissant ensuite seule, et sur sa faim, « en plan ». « Ça m’a fait comprendre les pulsions sexuelles des hommes. Ils sont pognés avec ça. C’est très dur. » « Ce n’est pas facile d’être la personne qui a toujours envie », ajoute-t-elle.

Amour et douleur à l’étranger

Début trentaine, Éléonore en finit avec cette relation officiellement « malsaine », et part faire un stage à l’étranger. C’est là, « dans des contrées lointaines », dit-elle en riant, demeurant volontairement floue, qu’elle rencontre le futur père de son enfant. Son visage s’illumine tout à coup. « Une belle rencontre. Un début d’amour extraordinaire. Sexuellement, ç’a été mon meilleur amant, de loin… », insiste-t-elle, en se rappelant leur « chimie », cette « attirance », et surtout leur compatibilité en matière de libido. « Je le trouvais tellement beau… »

Sauf que voilà : au-delà de ça, la relation, elle, est tout sauf harmonieuse. « C’est dur à dire : pourquoi ? Des cultures différentes, peut-être ? Peut-être que nos personnalités n’étaient pas compatibles ? » Leur histoire dure six ans (« on/off » et « à distance »). Pourquoi avoir fait un enfant ? « Quand ça va bien, on a envie d’y croire… » Sauf qu’après quelques semaines de grossesse, Éléonore doit se rendre à l’évidence : ça ne va pas. « Et ç’a très mal été, mais on s’aimait énormément… »

On vous épargne les détails de la séparation, les voyages aller-retour entre le Québec et l’étranger, mais toujours est-il qu’Éléonore s’est retrouvée seule, du jour au lendemain, à quelques mois de grossesse à peine. Et ç’a été « terrible ».

Disons que j’ai passé beaucoup de temps à regarder le plafond. Abondamment. Depuis que je suis petite que je rêve d’une famille. Ayoye. Je vais vraiment vivre ma grossesse toute seule ?

Éléonore, 40 ans

Heureusement qu’elle est bien entourée. Ses copines l’accompagnent dans son cheminement (jusqu’à l’accouchement). Mais elle ne le cache pas. « J’aime beaucoup l’énergie masculine. Ça m’a manqué. […] J’aurais eu envie que quelqu’un prenne soin de moi… »

Sa fille a 6 mois quand Éléonore fait une première rencontre. Inattendue, elle le sait trop bien. « Je suis toute seule avec un jeune enfant, j’ai très peu de chances de rencontrer quelqu’un… », laisse-t-elle tomber. Or, en camping avec des amis, elle tombe sur un homme qui, lui, veut la revoir, justement. Elle s’en souvient encore. La première « date », premier baiser, après des mois de maternité à temps complet. « Et ça a vraiment libéré plein d’envies. Plein d’hormones. OK, je ne suis pas juste une maman ! J’ai encore envie de ça : frencher, tout ça, comme si j’avais un barrage qui s’ouvrait… »

N’empêche qu’elle sait qu’elle n’est pas prête à se mettre à nu. « Présenter mon nouveau corps ? J’avais plein de petites réserves : ça me faisait mal mettre un tampon, et j’avais des seins ! », dit-elle en riant, en cognant sur la table. Dur comme de la roche, devine-t-on.

L’histoire est sans lendemain, mais éveille néanmoins Éléonore.

J’ai retrouvé mes envies de femmes ! […] Et je ne m’en peux plus tellement j’ai envie de faire l’amour !

Éléonore, 40 ans

C’est finalement des mois plus tard, et avec un ami de longue date, père de famille et avec qui Éléonore se sent beaucoup plus à l’aise (« il connaît ça, un corps de femme qui a eu des enfants »), qu’elle redécouvre enfin, pleinement, sa sexualité. Cette fois sans complexes. Pour cause : certes, son corps a changé, elle est moins lubrifiée, ses seins coulent, mais tout ça, monsieur connaît. Et Éléonore revit. « Ça faisait un an et demi que je n’avais pas fait l’amour ! », rayonne-t-elle.

Le bébé les interrompt la nuit, ça ne lui fait pas un pli. Ils font même parfois l’amour avec la petite à leurs côtés (« comme tant de gens sur la planète ») et toujours, « il était à l’aise », raconte-t-elle en souriant, s’émerveillant au passage devant la capacité de son cerveau à passer du mode « maman » à « femme », et inversement, au gré des réveils et des orgasmes.

Sauf que l’histoire n’a pas duré non plus, parce qu’Éléonore n’était pas amoureuse. Depuis, elle a eu une énième aventure, avec un homme plus âgé cette fois, et polyamoureux de surcroît. Aussi épanouissante fût-elle (« on a vraiment une bonne chimie sexuelle […] et je suis redevenue à l’aise dans mon corps comme avant ! »), la situation ne lui convient pas. Éléonore aspire à davantage. Elle veut un amoureux. Un compagnon. Un homme pour qui sa fille serait « un plus, et non un fardeau ». En attendant : « J’ai des envies. Des désirs. Je suis tellement en carence de compagnie. […] Il y en a des femmes qui sont comblées par leur enfant. […] Moi, la réalité, c’est que présentement, dans ma vie, ça me manque, la sexualité. »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat.