La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Philippe*, début cinquantaine.

Philippe a eu une vie amoureuse en dents de scie, ponctuée de deux relations toxiques, carrément « monstrueuses ». Parce que oui, la violence conjugale s’accorde aussi au féminin. Entretien.

« C’est tabou de le dire, confirme-t-il, et le monde a de la misère à te croire. Le monde te juge. Je comprends : 95 %, peut-être plus, de la violence vient des gars. Mais ça existe... »

En témoignent sa cicatrice au visage et son passé d’histoires souvent malsaines, aux dénouements déchirants.

L’homme, un costaud quinquagénaire au regard tendre, nous a donné rendez-vous dans un restaurant en banlieue de Montréal pour se raconter. Et malgré un léger stress perceptible au premier abord, une timidité manifeste, il se plonge finalement dans son récit à pieds joints. « J’ai eu une drôle de vie amoureuse. Ben des malchances », commence-t-il, en sirotant son latte. Même si tout a commencé sinon bien, du moins sans rien de particulier à signaler.

Première relation sexuelle ? Vers 18 ans, avec son « premier amour », une fille « vraiment bien », issue toutefois d’une famille « d’un autre temps ». L’histoire, quoique sexuellement « plate », dure tout de même quatre ans.

Premier « monstre »

Début vingtaine, Philippe entre sur le marché du travail — un milieu essentiellement féminin, où il trouvera la plupart de ses amoureuses au fil des années, faut-il le préciser — avant de rencontrer, un an plus tard, la future mère de ses enfants, et son premier « monstre ». « Sur le coup, elle avait l’air ben correcte », glisse-t-il, en parlant avec les mains, une habitude qui ne le lâchera pas de l’entretien. Et il en est d’ailleurs tombé amoureux « trop vite », même si ça n’a jamais cliqué au lit (« je n’avais pas beaucoup d’expérience ni confiance en moi, c’est l’histoire de ma vie… »), et que rapidement, elle s’est montrée dénigrante. « Elle me traitait de loser, d’épais, devant tout le monde. Criss de tapette. Elle a toujours discrédité ce que je faisais… », dit-il, en parlant ici de la « violence verbale » dont il était victime. Loin de sa famille, sans proches ni amis, Philippe a encaissé. Des années de temps. Jusqu’au jour où il a découvert qu’elle le trompait. Avec une poignée d’hommes, par-dessus le marché. Moins de dix ans et deux enfants plus tard, ils se sont donc séparés.

On vous épargne les détails pénibles (problèmes de santé mentale du côté de madame, débats en cour, etc.), mais toujours est-il que Philippe a fini par avoir la garde exclusive de ses enfants. Cela ne l’empêche pas, quelques mois plus tard, et malgré un orgueil meurtri, de rencontrer une « vraiment bonne fille », comme il dit. Au lit : « Généreuse. On était sur la même longueur d’onde. Je suis un peu pareil. » Une relation significative pour Philippe, même si elle est de courte durée. Pour cause : « J’ai compris que ça existait, une fille easy going, pas manipulatrice, qui dit les vraies choses, pour qui l’affection est importante, et le sexe aussi. »

Au début de la trentaine, de nouveau célibataire et armé de bonnes gardiennes, Philippe décide de s’« amuser ». « Je n’avais pas eu de vie de jeunesse tant que ça », justifie-t-il, et disons qu’il s’est rattrapé. Pour son plus grand bien.

J’ai gagné en confiance. Ça m’a montré que ce que mon ex-femme disait, ça n’était pas vrai…

Philippe

Non, il n’était pas un « pas bon », et oui, il plaisait.

Cela dit, il n’a jamais fait de peine à personne, prend-il la peine de préciser. Il a toujours été clair dans ses intentions. « Toujours dans le respect, assure-t-il. Et c’était très important pour moi : que tout le monde ait du fun. Parce qu’une des seules choses dans la vie qui sont gratuites, et vraiment, vraiment le fun, c’est ça ! »

La vie suit son cours et, quelque part à la mi-trentaine, Philippe rencontre alors la personne « la plus significative » de sa vie. Une belle histoire qui dure sept ans, même si non, ça n’était pas la plus épanouissante sexuellement (mais ils avaient des valeurs communes), laquelle finit malheureusement tragiquement : avec la mort accidentelle d’un enfant. « J’ai vécu des affaires tough, mais ça… », laisse tomber Philippe tout bas. On ne s’éternise pas sur le sujet, mais on comprend que le couple n’a pas survécu à cela.

« Je n’allais pas bien. Vraiment pas bien. J’essayais de me mettre la tête hors de l’eau », confie notre homme, péniblement. Il poursuit son récit, racontant quelques flammes, ici ou là, sur un « fond de tristesse » permanent, avant d’en venir, au début de la quarantaine, au clou de la discussion.

Deuxième « monstre »

Nous y voilà : de nouveau, au premier abord, rien n’y paraît. « Elle était super belle. Super, super belle. Elle avait tout, dit-il. Et là, je me suis posé la question : mais qu’est-ce qu’elle me trouve ? Moi, je suis bien ordinaire. Les collègues la cruisaient. Elle flashait ! »

Leurs premiers temps ensemble sont d’ailleurs « vraiment le fun ». Le sexe ? « Vraiment super, répète-t-il. Elle n’avait peur de rien… »

Sauf que petit à petit, madame est devenue jalouse, possessive, imaginant des menaces partout. « Les crises sont devenues de plus en plus intenses. » Pensez : claquage de portes, lancer d’objets, etc. « Et elle achetait la paix avec le sexe. Elle ne s’excusait pas, mais on avait une baise d’enfer. […] Plus les crises étaient intenses, et plus intense était le sexe. »

Philippe s’est senti « mal, vraiment mal », enchaîne-t-il, « pris dans un cercle vicieux », jusqu’au jour où madame l’a giflé, si fort que certains collègues ont remarqué : « Tu as des doigts étampés dans la face… »

« J’ai essayé de me sortir de ça, mais elle tombait ensuite dans un état de grande gentillesse. Elle m’achetait des cadeaux : une montre à 300 $ ! »

Jusqu’à la crise ultime : un violent coup de poing qui lui a fracturé le visage et lui a carrément cassé une dent. Sans parler des assiettes cassées, du couteau, de l’agrafeuse et des autres objets pointus lancés au passage.

« C’est la médecin, une femme, qui m’a recommandé de porter plainte », se souvient Philippe, en racontant son séjour aux urgences. Il s’en souvient encore. « Ç’a été épouvantable. Les policiers ont ri de moi : “Tu es un homme, pourquoi tu ne t’es pas défendu, voyons donc ! Ça ne se peut pas !” […] Je plains les femmes qui se font battre… » Certains amis l’ont d’ailleurs traité de « mou », tandis que d’autres ont laissé entendre que « peut-être », il le méritait…

Voilà où il en est aujourd’hui. Un choc post-traumatique, un arrêt de travail et des années de thérapie plus tard (sans parler d’un déménagement et d’un nouveau boulot dans une nouvelle ville, tout prochainement), Philippe revient de loin. En témoigne sa présence devant nous. Mais il n’a pas perdu espoir. « Quand il t’arrive quelque chose, tu as deux choix : tu apprends, ou tu t’apitoies. Moi, j’ai choisi d’apprendre. »

Il a beaucoup travaillé sur lui, fait une introspection familiale (son père était aussi un « mou », dit-il, peut-être rejoue-t-il certains « patterns ») et voici sa conclusion : de l’importance de respecter ses limites, et se respecter tout court. « Je ne suis pas un pétard, je suis un gars bien normal, mais je vaux quelque chose. Je ne vaux pas ça… », dit-il.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

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