Arts et Être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Luce*, 60 ans

Luce a passé 40 ans avec un homme, à vivre une sexualité beige, sans étincelle, désir, ni passion. À 60 ans sonnés, elle revit. Pas à peu près. Entretien avec une femme libérée, épanouie, rayonnante de vie. Enfin.

Le nom qu’elle s’est choisi n’est pas anodin. C’est qu’elle nous a écrit en réaction au témoignage d’un certain Luc (récit qui en a touché plusieurs, d’ailleurs), un homme « résigné », en couple avec une femme ménopausée, à la libido morte et enterrée. « J’ai 59 ans et je me demande si je vais encore faire l’amour un jour… », disait-il.

La remarque a fait bondir Luce : « Ce n’est pas vrai qu’on n’emportera pas dans notre tombe des souvenirs sexuels ! », dénonce-t-elle, assise dans un petit café de la Rive-Sud, un matin ensoleillé, à la veille du reconfinement. Et elle en sait quelque chose.

C’est que Luce, avec ses cheveux blonds, coupés courts, son petit décolleté et ses jolis bottillons, même si elle dégage une énergie et une bonne humeur hors du commun, revient de loin.

Elle se raconte un peu malgré elle, entre un fou rire ici, en lâchant un « on va me reconnaître ! » là, avant de plonger finalement de bon cœur, sans trop se faire prier : « Oh, et puis, si ça peut aider quelqu’un ! »

Alors voici : de son propre aveu, adolescente, elle n’était pas « très sexuelle ». Plutôt sportive, elle ne savait pas grand-chose de la sexualité quand elle a perdu sa virginité, à la fin de la 5e secondaire. Avec son amoureux de l’époque (une histoire qui va durer quand même quelques années), c’est « correct », sans plus, dit-elle. En gros : « On n’avait pas l’internet, pas d’images, on était deux straights ensemble. »

À l’université, elle rencontre le futur père de ses enfants, et au lit, ce n’est guère mieux. « Zéro », dit-elle d’emblée.

Je pense qu’il n’aimait pas ça. En tout cas, pas avec moi.

Luce

Même au début ? Même au début : « Moi, je n’ai pas connu ça, des soirées ou des nuits intenses de sexe, je n’ai jamais connu ça avec lui. » Elle se souvient d’avoir entendu ses amies se confier, et elle, de mentir. « Il embrasse bien ? Je disais oui. Mais il ne m’embrassait jamais ! »

Ils passent néanmoins pas loin de 40 années ensemble. Une petite éternité. « Je n’avais pas connu mieux avant. Alors c’était correct. Il voulait des enfants. Une famille. Maudite mentalité… », laisse-t-elle ici tomber, entre deux gorgées de café.

Mais cette sexualité « straight », visiblement, ne la comble pas. « Si je le touchais le soir, il grognait. Ça m’est arrivé de me masturber, à côté de lui, pendant qu’il dormait. » Ce faisant, elle s’est drôlement remise en question : « Je ne suis pas attirante, je ne réveille pas sa sexualité, a-t-elle douté. Je sens mauvais ? Je goûte mauvais ? C’est sûr que les grossesses, ça te défait ton corps… » Jusqu’au jour où monsieur, « sans crier gare », a fini par la quitter. « Je ne t’aime plus. » En fait, vous l’aurez sans doute compris, il la trompait, depuis de nombreuses années, apprendra-t-elle plus tard.

On devine aussi qu’elle a été « détruite ». « J’ai arrêté de manger, enchaîne-t-elle. Pour moi, le couple, la famille, c’était pas une fibre, c’était un câble. » Elle tombe d’ailleurs « profond ».

C’était il y a quelques années à peine, et la blessure est visiblement toujours à vif. Ses yeux rougissent quand elle revient sur le sujet. Par douleur, par rage ou par déception, on ne saura pas trop, et on n’insistera pas davantage. Car le clou de l’histoire n’est pas là.

La revanche

C’est que Luce a rebondi. Et c’est précisément pourquoi elle nous a écrit. Parce que non, la vie ne se termine pas à 60 ans. La preuve : grâce à une thérapie (en psychologie, mais aussi en sexologie), elle s’est reconstruite, a rebâti son estime, a gagné en confiance. Surtout : si elle sentait qu’elle était passée à côté de quelque chose toute sa vie, elle a décidé qu’elle voulait se rattraper désormais. Comment ? En vivant fort, intensément, passionnément. « Je me disais : ce n’est pas vrai que je vais mourir sans connaître ça, le désir, être désirée ! », déclare-t-elle, avant de préciser : « Je ne voulais pas d’amour, juste de la sexualité ! » Et à l’entendre se raconter, pas de doute : elle s’est écoutée.

Et elle a écouté ses thérapeutes. Car à travers ses séances, ils lui ont prescrit diverses choses : travailler sa féminité, s’ouvrir aux réseaux sociaux, et surtout s’inscrire sur des sites de rencontres. Luce a enregistré. Obtempéré. Disons pas à moitié.

Elle pouffe de rire de nouveau. Un an et des poussières plus tard, ils ne la reconnaissent pas. « J’ai pris une grande confiance en moi, mes psys n’en reviennent pas. »

Comment ? Tout simple : « J’ai rencontré des hommes assez rapidement, répond-elle, les yeux tout à coup brillants, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Et ça a toujours été que sexuel ! » Elle se penche et confie tout bas : « Ma confiance dans les hommes a été brisée. Mais je veux m’amuser ! Je suis à un âge où le corps change beaucoup, alors je veux en profiter ! »

En tout, sur quelques mois, elle a fait une dizaine de rencontres. Du message coquin aux folies au lit, en passant par le baiser passionné, elle n’étire jamais trop le temps. Et visiblement, ça lui réussit.

Je ne pensais pas que j’aimais ça comme ça, le sexe ! […] Moi, mon mari ne m’embrassait pas. Mais quand un homme m’embrasse – et je me fais souvent dire que j’ai une belle bouche –, ça m’allume ! Alors je me laisse aller, et je peux faire n’importe quoi…

Luce

Et de nouveau, elle a 20 ans. « Je me sens jeune, ça me donne une énergie, dit-elle, c’est comme une drogue ! »

Depuis quelques mois, elle fréquente en outre deux hommes, plus ou moins en même temps. Une fois par semaine chacun. Et non, elle n’a aucun remords. Pourquoi en aurait-elle ? « Je suis libre ! » L’un deux, figurez-vous, est en couple depuis une vingtaine d’années, avec une femme avec qui il ne se passe plus rien. La voyez-vous venir ? « Et c’est ici que Luc entre en scène ! », déclare Luce, en riant de plus belle.

Ce qu’elle en pense ? « C’est une relation de complaisance », dit-elle, et de telles relations, il y en a à la pelle. Des relations où l’on se dit : “On a des enfants, on ne brisera pas ça.’’ Alors on reste et on se complaît. » Elle connaît. Elle a donné. Quarante années.

Sauf que la vie lui a appris : ça ne suffit pas. « On a tous besoin de sexe. Le sexe, c’est comme manger, s’entraîner, ça fait partie de l’hygiène de vie ! Faut arrêter de ne pas en parler. Et il faut être capable d’en parler ! »

Oui, même avec une femme ménopausée. D’ailleurs, à tous les hommes (dont Luc !) qui croient qu’à 50 ou 60 ans (ou plus !) une femme n’a plus de libido, elle a un dernier mot à leur dire : « Parlons-en, dit-elle en levant les yeux au ciel. Oui, on a des chaleurs, mais c’est le manque de désir, le problème. Pour le reste, il y a des huiles, même mangeables, maintenant. […] Le manque de libido, c’est une excuse. […] On est en 2020 ! » Compris ?

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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