Dans leur livre Faut que ça bouge !, les apôtres de l’activité physique Pierre Lavoie et Jean-François Harvey évoquent une « crise de l’inactivité physique » au Québec et proposent une nouvelle approche du sport et de l’activité physique chez les jeunes. Entrevue.

Le premier chapitre de votre livre est consacré aux résultats d’une récente étude de l’Université de Sherbrooke qui nous apprend que, depuis les années 1980, la capacité cardio-vasculaire des jeunes s’est détériorée au Québec. Ils franchissent 30 % moins de paliers au test de Luc Léger (le fameux test du bip). Les jeunes de 17 ans pèsent en moyenne 7 kg de plus. À quel point ces données vous inquiètent-elles ?

Jean-François Harvey (JFH) : C’est très inquiétant, parce que ces données-là nous montrent que les jeunes sont maintenant majoritairement dans une zone à risque. Les probabilités sont beaucoup plus élevées qu’ils souffrent un jour de maladies cardio-vasculaires, et ce, plus tôt dans leur vie. Un paquet d’études nous indiquent que les jeunes nés après l’an 2000 vont vivre moins vieux et vivre malades plus longtemps. Ça va affecter non seulement les individus, mais ça va aussi représenter un coût énorme pour la société.

Pierre Lavoie (PL) : En fait, cette étude-là met scientifiquement en évidence le fait qu’on ne s’en va pas dans la bonne direction, et que comme société, comme parents, comme gouvernement, on doit poser des gestes.

Notre approche du sport et de l’activité physique chez les jeunes doit selon vous changer. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond en ce moment ?

PL : On spécialise beaucoup trop. Au Québec, on trippe sur le sport-études, sur le monosport. Est-ce que le jeune qui est en sports-études ou qui est spécialisé très tôt reste actif, plus tard ? On sait aujourd’hui que la réponse est non.

Il faut adopter une approche plus inclusive, retarder la spécialisation et arrêter de mesurer et de comparer les enfants. Il faut se donner le temps d’ancrer en eux le goût de bouger pour la vie en augmentant les compétences plutôt que la performance.

Pierre Lavoie

Et on ne formerait pas moins de champions ; les pays qui ont cette approche – la Slovénie, la Finlande, le Danemark – nous font la leçon sur le plan international.

JFH : Notre approche est trop axée sur le sport et la performance, et pas assez sur l’activité physique, tout simplement. Ça exclut une bonne partie des jeunes. Et les jeunes qui semblent se retrouver dans le sport d’élite tombent trop souvent dans un milieu toxique. Il y a beaucoup plus de blessures, d’épuisement sportif, de décrochage... En fin de compte, on perd sur les deux fronts.

PL : Le but, c’est de donner aux jeunes les outils qui leur permettront de demeurer actifs pour le reste de leur vie. Les Scandinaves nous disent que, le meilleur moment pour le faire, c’est avant l’âge de 14 ans. C’est là que ça se passe. Les parents doivent le savoir. »

Vous prônez le développement de la littéracie physique chez les enfants. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ?

JFH : C’est tout le savoir-faire qui est en lien avec le mouvement, et ça commence dès la petite enfance : marcher, grimper, courir, lancer, attraper, botter. Quand on a ces habiletés-là, ça permet de développer des habiletés dites sportives. Et ça fait en sorte qu’on sera capables, durant notre vie, de faire une multitude d’activités. Un jeune qui, dès la petite enfance, est trop souvent devant un écran et jamais dehors ne développe pas ces habiletés-là. Il part avec une grosse carence.

PL : Déjà au primaire, les enseignants d’éducation physique accueillent des jeunes qui ont manqué une fenêtre importante entre 0 et 6 ans. Les CPE travaillent beaucoup la motricité fine, et maintenant, il faut aussi travailler la motricité globale.

Votre livre se veut aussi un guide pour aider les parents et les intervenants à éduquer les jeunes pour qu’ils bougent au quotidien. Qui peut amener le changement de paradigme que vous proposez ? Les parents ?

JFH : Il faut modifier l’approche à de multiples niveaux, mais en effet, les parents servent de modèles.

Si les parents sont moins actifs et passent leur vie devant un écran, comment peuvent-ils demander à leurs enfants d’être actifs et de sortir de leurs écrans ?

Jean-François Harvey

Notre livre parle aussi du rôle des municipalités et des gouvernements. Les enseignants et les éducateurs physiques aussi doivent modifier leur approche, mais aussi l’école.

PL : Il faut arrêter d’imiter le modèle des États-Unis, qui font de l’exclusion, ne s’occupent que des bons, et vivent une catastrophe en santé publique. [...] Créons notre modèle québécois et laissons-le évoluer. Je suis convaincu qu’on aura plus de joueurs dans la Ligue nationale de hockey et plus d’olympiens, mais qu’on aura en plus une santé pour toute la population.

Par souci de clarté et de concision, l’entrevue a été remaniée.

Faut que ça bouge !

Faut que ça bouge !

Éditions de l’homme

272 pages