Sa nouvelle image de marque devait relancer ses ventes. Plus inclusive, moins affriolante, Victoria’s Secret continue pourtant de perdre des revenus. En ligne, des consommateurs appellent même au retour des anges et des défilés extravagants. Vendre du rêve serait-il finalement plus payant ?

Go woke, go broke ?

PHOTO NINA WESTERVELT, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Les anges de Victoria’s Secret lors du défilé de la marque en 2018. Malgré ses efforts pour se montrer plus inclusif au cours des dernières années, le détaillant de lingerie continue de perdre des revenus.

« I’m bringing sexy back », disait Justin Timberlake. C’est plus ou moins dans ces mots que les cadres de Victoria’s Secret ont laissé entrevoir l’avenir de la marque lors d’une récente présentation devant des investisseurs. Malgré ses efforts pour se montrer plus inclusif au cours des dernières années, le détaillant de lingerie continue de perdre des revenus. L’entreprise projette un chiffre d’affaires de 6,3 milliards de dollars en 2023, une baisse importante par rapport aux 7,5 milliards de dollars enregistrés en 2019 et aux 8,1 milliards de 2018. D’après un article de Business of Fashion qui a fait le tour des réseaux sociaux, Victoria’s Secret veut retrouver son sex-appeal. À quoi cela ressemblera-t-il ? La marque est restée vague. Mais des médias et des commentateurs de droite ont déjà récupéré la nouvelle, y voyant la démonstration irréfutable que les entreprises qui adoptent des valeurs progressistes finissent par en souffrir (go woke, go broke).

Est-ce qu’on devrait avoir des mannequins transsexuelles ? Non. Non, je ne pense pas que nous devrions. Pourquoi ? Parce que le défilé est une fantaisie.

Ed Razek, directeur du marketing de Limited Brands, qui exploite Victoria’s Secret, dans une entrevue à Vogue, en 2019

PHOTO TOBY MELVILLE, ARCHIVES REUTERS

Une boutique de la marque Victoria’s Secret à Londres, en Angleterre

1999

Premier défilé de Victoria’s Secret

1360

Nombre de boutiques de la marque Victoria’s Secret dans 70 pays, selon l’entreprise. En Amérique du Nord : 837 en 2022 ; c’était 1177 en 2016, selon Statista.

12 millions

Nombre de téléspectateurs lors du défilé télévisé de Victoria’s Secret en 2001, une année record. Ils n’étaient plus que 3,3 millions en 2018.

Vendre du rêve

PHOTO TIMOTHY A. CLARY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Finale du défilé Victoria’s Secret de 2011

C’est ce que la marque a fait pendant des décennies et avec succès. Dans l’une de ses premières campagnes publicitaires, les modèles émergeaient d’un nuage minimalement vêtues d’un soutien-gorge balconnet et d’une paire d’ailes blanches. « Victoria’s Secret incarnait la version idéalisée de la beauté féminine », souligne Chantal Fernandez, journaliste indépendante et coauteure d’un livre sur Victoria’s Secret à paraître l’an prochain. Ce n’est pas tout. L’image glamour de la marque séduisait aussi les consommateurs. Lors de son défilé annuel – qui a pris fin en 2019 –, la marque s’offrait les plus grandes stars de la pop, de Taylor Swift à The Weeknd. Regardé par des millions de personnes, l’évènement suscitait l’excitation… et les paris ! Quelle mannequin aurait l’honneur de porter le soutien-gorge incrusté de diamants à 10 millions de dollars ? Qui recevrait ses premières ailes, ultime consécration dans l’univers de Victoria’s Secret ? « Tout le monde connaissait la marque, surtout aux États-Unis. Elle était présente dans tous les centres commerciaux », souligne Mme Fernandez.

Un changement s’impose

PHOTO LANDON NORDEMAN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Au milieu des années 2010, l’image de Victoria’s Secret ne colle plus avec les valeurs de l’époque.

Au sommet de sa popularité, Victoria’s Secret n’a pas vu le vent tourner. Au milieu des années 2010, son image ne colle plus avec les valeurs de l’époque. Et les revenus de l’entreprise commencent à baisser. Les consommateurs critiquent les critères de beauté inatteignables dont la marque ferait la promotion avec ses anges – le surnom donné à ses égéries – à la minceur extrême, mais aux courbes généreuses. Ils réclament des modèles qui leur ressemblent, ce que d’autres détaillants de lingerie, comme Aerie et Thirdlove, ont compris bien avant. À l’ère post #metoo, les tenues affriolantes de modèles à l’apparence juvénile paraissent soudainement déplacées, d’autant plus que l’entreprise est dirigée majoritairement par des hommes. Plus tard, la relation entre Les Wexner, l’homme d’affaires à la tête de l’empire Victoria’s Secret, et Jeffrey Epstein, reconnu coupable de trafic de mineurs, fera l’objet d’enquêtes journalistiques. La marque n’a plus le choix. Pour relancer ses ventes et sauver sa réputation, elle doit entamer un changement d’image radical.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @VICTORIASSECRET

La stratégie de marketing de l’entreprise a été perçue par beaucoup comme étant hypocrite, un geste désespéré pour sauver la marque.

Stéphany Boisvert, professeure à l’École des médias de l’UQAM et membre du Réseau québécois en études féministes

Sauver les meubles

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @VICTORIASSECRET

Sur les réseaux sociaux de Victoria’s Secret, les tailles de guêpe ont laissé place aux poignées d’amour, les modèles faits dans le même moule à une diversité de tailles et de formes.

Plus inclusives, plus sobres aussi : mises côte à côte, les campagnes publicitaires de Victoria’s Secret des dernières années n’ont plus grand-chose à voir avec ses débuts. Sur ses réseaux sociaux, les tailles de guêpe ont laissé place aux poignées d’amour, les modèles faits dans le même moule à une diversité de tailles et de formes. Parmi ses efforts d’inclusion, le détaillant de lingerie a embauché une première mannequin transgenre et nommé la joueuse de soccer LGBTQ+ Megan Rapinoe à titre d’égérie de la marque. Plus récemment, Victoria’s Secret a lancé une collection de sous-vêtements adaptée aux personnes en situation de handicap.

Il est possible que la marque se soit surcorrigée. L’entreprise doit ramener une partie du plaisir et du glamour associés à son âge d’or, mais en trouvant un moyen de le faire d’une manière qui autonomise les femmes.

Chantal Fernandez, auteure et journaliste indépendante

Ramener les anges ?

PHOTO LEON NEAL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Victoria’s Secret devrait-elle ramener les anges et les défilés extravagants ?

Il est difficile de savoir dans quelle mesure le changement d’image de la marque a contribué à la perte de ses revenus. Après tout, les dépenses de consommation sont à la baisse aux États-Unis, souligne Chantal Fernandez. La question se pose toutefois de plus en plus : Victoria’s Secret devrait-elle ramener les anges et les défilés extravagants ? En ligne, des milliers d’internautes se montrent nostalgiques des beaux jours de la marque, critiquant sa nouvelle direction. Même s’il prend beaucoup de place sur les réseaux sociaux, le genre de discours s’opposant à l’inclusivité et la diversité représente rarement la majorité, nuance Stéfany Boisvert. Cela dit, il est possible que le passé de Victoria’s Secret continue d’exercer un pouvoir d’attraction, voire de fascination, auprès des consommatrices, sans qu’elles ne prônent le retour des modèles faméliques. « Nous vivons dans une époque profondément contradictoire par rapport à la culture de la beauté », souligne la professeure.

  • PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @VICTORIASSECRET

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