Un t-shirt déformé après deux lavages, un tricot qui bouloche, un jeans à l’entrejambe prématurément usé : nos garde-robes abritent leur lot de déceptions et de vêtements qu’on aurait souhaité ne jamais avoir achetés. Cette usure prématurée aurait-elle pu être anticipée ? Une enseignante en design et production de la mode a accompagné La Presse dans les magasins.

Notre démarche

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Annie Daigle enseigne le design et la production de la mode à l’École de mode du cégep Marie-Victorin à Montréal.

« Je magasine toujours avec mes mains », lance d’entrée de jeu Annie Daigle, devenue enseignante à l’École de mode du cégep Marie-Victorin après avoir travaillé pour des designers québécoises et possédé une entreprise de confection de vêtements en sous-traitance pour plusieurs marques locales.

« Les principales menaces qui pèsent sur la durée de vie des vêtements sont la défaillance du tissu, la défaillance des composantes, la défaillance de la construction, les dommages accidentels et le changement de couleur », ont résumé des chercheurs de l’Université de Nottingham Trent lors d’une conférence prononcée en 2015.

Consultez le texte de la conférence (en anglais)

Tenter de prédire ces défaillances est un exercice hautement périlleux et très difficile. Ce l’est encore plus pour le consommateur qui, outre la composition du tissu et le pays de fabrication, dispose de peu d’information sur la confection et n’a aucune façon de faire des tests sur le comportement du tissu dans le temps. Même pour un œil aiguisé comme celui d’Annie Daigle, il restera toujours des variables inconnues qui ne la placent pas à l’abri de mauvaises surprises. Pour preuve, le haut court, fabriqué au Québec, qu’elle portait cette journée-là est devenu asymétrique à cause du lavage moins de deux ans après l’achat.

  • Au centre-ville de Montréal, nous avons visité La Baie, un grand magasin qui regroupe de nombreuses marques de gammes différentes, et La Vitrine québécoise.

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    Au centre-ville de Montréal, nous avons visité La Baie, un grand magasin qui regroupe de nombreuses marques de gammes différentes, et La Vitrine québécoise.

  • Nous nous sommes aussi rendus chez H&M, l’une des icônes de la mode rapide.

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    Nous nous sommes aussi rendus chez H&M, l’une des icônes de la mode rapide.

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Porter attention à la fibre et à la confection permet néanmoins d’avoir des indicateurs sur la qualité d’un vêtement. Pour mener cet exercice, nous avons visité La Baie, rue Sainte-Catherine Ouest à Montréal, qui regroupe de nombreuses marques de gammes différentes et un espace consacré à la mode québécoise ainsi qu’une boutique H&M, géant de la mode rapide. Cet exercice n’est pas une analyse exhaustive de l’ensemble des produits, mais plutôt un survol des meilleures et des mauvaises pratiques.

L’importance des coutures

Systématiquement pour chaque vêtement, Annie Daigle retourne le tissu. En matière de confection, les coutures sont primordiales. Surjet à quatre fils, à cinq fils, couture française, les distinctions peuvent être complexes pour les néophytes.

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En étirant le tissu de cette chemise, on constate que les coutures sont lâches. Elles sont donc plus à risque de se briser au fil du temps.

La meilleure chose à faire pour déterminer si une couture va durer, c’est de l’étirer et de la triturer un peu. Parfois, dans des vêtements de moins haute qualité, quand les tissus sont diaphanes, le tissage est lâche et en étirant la couture, on va voir de petits trous.

Annie Daigle enseignante en design et en production de la mode à l’École de mode du cégep Marie-Victorin

On peut aussi s’assurer que la couture n’est pas trop serrée pour l’extensibilité du tissu, ce qui pourrait la faire casser ; un constat qu’Annie Daigle a posé sur plusieurs vêtements observés ce jour-là. « Une couture qui n’est pas extensible alors que le tissu l’est, c’est quelque chose que je trouve aberrant. »

À éviter aussi les coutures qui s’arrêtent abruptement, sans s’accrocher à rien, comme nous l’avons vu sur le col d’un t-shirt de la marque H&M.

  • Ce surjet, réalisé en guise de finition sur l’extérieur d’une camisole, est sujet aux accrochages, tout comme le tissu éminemment fragile.

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    Ce surjet, réalisé en guise de finition sur l’extérieur d’une camisole, est sujet aux accrochages, tout comme le tissu éminemment fragile.

  • Déjà, en magasin, un des fils se détache de la couture intérieure.

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    Déjà, en magasin, un des fils se détache de la couture intérieure.

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C’est dans le même magasin que nous avons rencontré la « plus cheap des finitions ». « C’est une couture intérieure qui est à l’extérieur, remarque Annie Daigle sur une camisole en polyester à 17,99 $. C’est un point qui va casser. Le tissu autour est super extensible, mais pas le point. » La fine bretelle cousue sur un seul côté laisse elle aussi présager une courte espérance de vie à ce vêtement estival.

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La couture française permet d’assembler deux pièces de tissu et de finir les bords sans surfiler. Elles sont dissimulées.

En revanche, la couture française d’un cardigan en broderie Ralph Lauren est de bon augure. « Une couture française, tu ne verras pas ça dans la fast fashion. Ce sont deux coutures plutôt qu’un surjet où on va voir les fils. C’est définitivement plus durable. » Mais il y a aussi des surjets dans cette pièce et selon Annie Daigle, ce n’est pas forcément un vêtement qui durera longtemps. « Je ne prendrais pas ce guess-là à cause du tissu qui est super mince. Il y a beaucoup de parties ajourées qui vont avoir tendance à se prendre partout. » Prix de cette pièce : 275 $.

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Ce short a une fente de quelques centimètres sur le côté de la jambe qui est renforcée par une couture.

Pour les pantalons et les shorts, portez attention à la présence de coutures de renforcement dans le coin des poches et de surpiqûres sur les coutures des jeans.

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Le polyester est généralement plus durable que le coton et moins sujet à la décoloration, au rétrécissement et au froissement. Mais c’est une fibre synthétique, dérivée du pétrole, moins respirante et sujette au boulochage.

La fibre : bien lire les étiquettes

Le choix de la matière a une grande influence sur la longévité d’un vêtement. Les matières les plus fréquemment utilisées sont le coton et le polyester, mais une centaine de fibres différentes (naturelles, artificielles ou synthétiques) sont répertoriées et utilisées dans l’industrie. Un fabricant est tenu d’indiquer sur l’étiquette d’un vêtement les fibres principales qui le composent. Règle générale, Annie Daigle privilégie le coton, bien que le polyester ait tendance à être plus résistant et moins sujet à la décoloration et au rétrécissement.

Le polyester va durer, mais a tendance à boulocher beaucoup plus que les autres, partout où il va y avoir du frottement. Ça s’enlève et ça s’entretient quand même bien. Mais plus il y en a, plus on va devoir en enlever.

Annie Daigle enseignante en design et en production de la mode à l’École de mode du cégep Marie-Victorin

Aussi, le polyester étant à base de pétrole, il libère lors du lavage des microplastiques qui se retrouvent en grandes quantités dans nos océans.

Pour lui donner l’apparence de la laine ou du coton, le polyester est coupé et les fibres courtes sont plus sujettes au boulochage. Comment reconnaître une fibre courte ? Elle est mate, alors qu’une fibre longue est douce et brillante.

La rayonne et la viscose, plus que le Tencel, ont tendance à la fibrillation, une forme d’usure qui s’apparente au boulochage, indique Annie Daigle, ce qui leur donne une texture duveteuse.

Quant à la fibre de lin, elle est généralement longue et résistante. Mais le lin est propice au froissement. En le serrant dans son poing pendant 10 secondes, on peut avoir une idée de ce à quoi l’étoffe ressemblera après qu’on est resté assis, par exemple. C’est ce qu’on appelle la résilience des tissus. « C’est une bonne façon de décider si on va avoir le goût de le porter ou non. »

De nos jours, les fibres sont souvent mélangées à l’intérieur d’un même tissu, mais un vêtement peut aussi être fait de deux tissus différents n’ayant pas la même composition. C’est à éviter, selon notre experte, puisque ces deux tissus pourraient réagir différemment au lavage.

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Ce haut présente deux tissus de composition différente : les manches sont 100 % coton alors que le corps est un mélange de coton et d’élasthanne.

Le fléau de l’élasthanne

« Pourquoi de l’élasthanne là-dedans ? s’interroge Annie Daigle, en regardant l’étiquette d’un veston H&M. Il n’accomplit absolument rien dans ce vêtement-là, le tissu n’est pas extensible. »

De nos jours, l’élasthanne – aussi appelé Lycra et Spandex – est utilisé partout. Ce ne sont plus seulement les vêtements de sport qui en contiennent, mais aussi les t-shirts, robes et jeans. Même et surtout en faible quantité, cette fibre synthétique, qui vient à casser, réduit la résistance du tissu à l’usure, à l’abrasion et au lavage.

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Déjà sur cette chemise imprimée, des fils blancs apparaissent là où le tissu a été légèrement étiré.

Attention à l’impression

Un tissu blanc imprimé sur l’endroit risque un jour ou l’autre de reprendre ses droits. Lorsqu’étirés, les fils sont déplacés, faisant apparaître des fils blancs.

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L’inclusion de coins de col dans cette chemise H&M a étonné notre experte.

Le prix, un gage de qualité ?

« Les coins ne s’effilochent pas, il n’y a pas de plis au niveau de l’encolure. Il y a des coins de col. Les boutons ont l’air solides. Elle aurait besoin d’être pressée, mais je n’ai pas de point négatif sur cette chemise [mises à part les coutures qui sont un peu lâches à quelques endroits]. » Cette chemise, c’en est une pour hommes vendue chez H&M au prix de 24,99 $.

Au cours de cette expérience, nous avons vu des vêtements haut de gamme de moindre qualité, dont une combinaison en denim très mince de la marque parisienne ba&sh (450 $) qui avait déjà un accroc, et des chemises et t-shirts à bas prix dont la conception semblait tout à fait correcte. Bien que le prix puisse être un indice de la qualité du produit, il n’est pas fiable dans tous les cas. « Sur le plan de la confection, ce n’est vraiment pas un indicateur, surtout que la main-d’œuvre ne coûte pas le même prix d’un pays à l’autre », note Annie Daigle.

En raison de la machinerie spécialisée dont disposent les grandes manufactures de vêtements, la production de t-shirts, chemises et jeans est souvent standardisée, remarque-t-elle, ce qui atténue les différences entre les marques sur le plan de la confection. « C’est plus automatisé, donc ça fait des coutures de meilleure qualité. Il y a moins place à l’erreur humaine. »

Selon un sondage américain de Cotton Incorporated Lifestyle Monitor (2018), 58 % des consommateurs pensaient qu’un vêtement plus cher était de meilleure qualité qu’un vêtement moins cher. Or, plusieurs études ont démontré qu’on n’obtient pas toujours ce pour quoi on paie et qu’à l’inverse, des vêtements à bas prix peuvent avoir une résistance au lavage surprenante.

  • Deux t-shirts de la même marque portant le même numéro de produit : l’un fabriqué en Chine, l’autre au Cambodge. Ils ont été assemblés différemment et la qualité du tissu diffère légèrement.

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    Deux t-shirts de la même marque portant le même numéro de produit : l’un fabriqué en Chine, l’autre au Cambodge. Ils ont été assemblés différemment et la qualité du tissu diffère légèrement.

  • Lorsque l’étiquette est cousue dans le dos, cela peut créer une tension et les risques sont plus grands que des trous se forment dans le tissu.

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    Lorsque l’étiquette est cousue dans le dos, cela peut créer une tension et les risques sont plus grands que des trous se forment dans le tissu.

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Le cas des t-shirts

Les t-shirts sont un exemple intéressant. Annie Daigle a évalué des t-shirts des marques Ralph Lauren (59 $), Hudson North (marque maison de La Baie, 45 $) et H&M (14,99 $). Les deux chandails Ralph Lauren portaient le même numéro de produit et la même étiquette de prix, mais avaient été assemblés différemment, l’un au Cambodge, l’autre en Chine. Le coton aussi ne semblait pas identique, l’un paraissant de meilleure qualité. Le tissu mince et l’élasthanne contenus dans les t-shirts Ralph Lauren l’ont amené à privilégier celui de la marque Hudson North, 100 % coton, bien que l’étiquette, cousue directement dans le haut du dos, augmente le risque d’apparition de trous à cause de la tension. Et celui d’H&M ? « J’ai l’impression que ce t-shirt serait tout aussi durable que tous les autres qu’on a vus, à part qu’il y a de l’élasthanne. »

La relation entre le prix et la durabilité est aujourd’hui beaucoup plus ténue que dans les années 1980 et 1990, lors de l’émergence de la mode rapide. Par leur volume de production, plusieurs géants de ce segment ont désormais accès à des fournisseurs qui ne travaillaient auparavant qu’avec des marques positionnées sur le milieu et le haut de gamme, observe Maximilien Schrub, responsable de la méthodologie chez Fairly Made, une entreprise française dont la mission est d’améliorer l’impact de l’industrie textile. « On se rend compte qu’un fournisseur peut alimenter une marque de fast fashion comme H&M ou Zara autant qu’une marque de milieu ou haut de gamme. »

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Bien qu’il se fabrique au Québec des vêtements de grande qualité, la confection locale n’est pas une garantie de qualité.

Et la fabrication locale ?

Elle n’est pas toujours gage de qualité, se désole Annie Daigle, néanmoins une fervente défenseure de cette industrie locale. Après avoir examiné une dizaine de produits de marques différentes, elle a décelé sur certains vêtements des éléments qui pourraient faire en sorte qu’ils se détériorent plus rapidement : coutures dont la tension est inadéquate, chemise avec de jolies broderies sans renfort derrière, donc plus sujettes aux accrochages, ourlet de jupe arrondi trop large dont le tissu risque de tordre après un lavage.

« On n’a pas autant de machinerie spécialisée, on n’a pas le pouvoir d’achat de grandes entreprises et la main-d’œuvre ici coûte tellement plus cher que pour avoir des prix compétitifs, il faut nécessairement couper quelque part », explique Annie Daigle. Il est quand même possible de trouver des vêtements québécois de grande qualité. Nous avons vu des pièces bien conçues. Soulignons aussi que certains designers offrent des services de réparation et que plusieurs se font un plaisir de remplacer un produit défectueux.

Encore faut-il qu’il ait été entretenu dans les règles de l’art. Et c’est l’une des grandes inconnues dans l’évaluation de la durée de vie d’un vêtement : le consommateur en prendra-t-il soin adéquatement ? « C’est un facteur extrêmement important, note Maximilien Schrub. Un même produit, si on le lave chaque fois qu’on le porte ou une fois toutes les deux portées, ça a une vraie influence sur sa durée de vie. » L’impact réel de la réduction de la fréquence du lavage est difficile à quantifier. Le mieux est de laver un vêtement le moins possible, seulement lorsque nécessaire.

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Les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur prévoient qu’un bien doit pouvoir servir à l’usage auquel il est destiné pendant une durée raisonnable.

Réglementer la longévité : une idée complexe

Alors que des voix s’élèvent pour rendre l’industrie de la mode responsable de sa forte empreinte environnementale, la question de la durabilité des vêtements est quasi absente des discussions sur l’obsolescence. Même si accroître la longévité d’un vêtement est un levier important pour réduire son impact écologique, réglementer en ce sens ne se fait pas en criant « ciseaux ».

Combien de fois en moyenne portez-vous vos bas de nylon avant qu’ils s’abîment ? Selon un rapport d’enquête de l’organisme français Halte à l’obsolescence programmée (HOP), dans 72 % des cas, les collants ne durent pas plus de six utilisations. « Des millions de consommateurs sont victimes en silence de leur obsolescence accélérée », dénonce l’organisme dans ce rapport de 2018.

Consultez le rapport de HOP

Cette obsolescence est-elle programmée ? Même si, selon HOP, les fabricants peuvent jouer sur les additifs chimiques pour rendre un collant plus ou moins robuste, il est difficile de démontrer que leur fin de vie est planifiée. « Les définitions de l’obsolescence sont plus adaptées à un contexte d’objets dont on peut démontrer l’intention délibérée de réduire la durée de vie », expose Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre. Alors que dans l’industrie de la mode, c’est souvent la quête de bas coûts qui entraîne une qualité diminuée.

Ainsi, le projet de loi 29, présenté le 1er juin à l’Assemblée nationale pour lutter contre l’obsolescence programmée de certains biens neufs, inclut plusieurs appareils électroménagers et électroniques, mais pas les vêtements.

Le porte-parole de l’Office de la protection du consommateur (OPC), Charles Tanguay, rappelle qu’ils sont actuellement couverts par les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur qui prévoient qu’un bien doit être exempt de vice caché, conforme aux représentations qui ont été faites à son sujet et pouvoir servir à l’usage auquel il est destiné pendant une « durée raisonnable ».

Dans les faits, peu de consommateurs évoquent la garantie légale pour des produits vestimentaires. Moins de 2 % des interventions de l’OPC en matière de garantie légale concernent la catégorie des vêtements, bijoux et accessoires. Les quelques causes entendues par la Division des petites créances de la Cour du Québec ces dernières années concernent des chaussures. Qui a envie d’aller devant les tribunaux pour réclamer le remboursement ou le remplacement d’un chandail payé 15 $, 30 $, voire 60 $ ?

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre

Peut-être que ça ne se ressent pas aussi clairement que pour les appareils électroniques et électroménagers, qui représentent des gros coûts au moment de l’achat, mais étalée sur une année, l’acquisition de vêtements peut représenter d’importantes dépenses pour les ménages. D’avoir un vêtement qui au bout de quelques lavages est énormément détérioré, en soi, c’est aussi problématique.

Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre

Sans compter l’impact sur l’environnement.

Si une entreprise peut arriver à augmenter la qualité de ses produits en améliorant leurs caractéristiques techniques et son cahier de charges, la durabilité physique d’un vêtement reste difficile à évaluer. « Ce sont des tests qui sont très longs à mener et une entreprise ne peut pas faire ça pour l’ensemble de sa collection. Pour certaines marques, on parle de centaines de produits », indique Maximilien Schrub, docteur en génie des procédés qui a consacré sa thèse à l’élaboration d’une méthodologie pour prédire la durée de vie des vêtements. Il s’est intéressé principalement au boulochage, puisque c’est, selon une étude qu’il a menée, une cause importante d’usure et de mise au rebut prématurée des produits tricotés.

Aujourd’hui, il travaille chez Fairly Made, une entreprise française qui propose un service d’accompagnement aux marques qui souhaitent réduire l’empreinte environnementale de leurs produits.

PHOTO FOURNIE PAR FAIRLY MADE

Maximilien Schrub, docteur en génie des procédés et responsable de la méthodologie chez Fairly Made

L’industrie répond aussi à un besoin, à un marché, et si ce marché n’évolue pas, l’industrie aura très peu de chances d’évoluer.

Maximilien Schrub, docteur en génie des procédés et responsable de la méthodologie chez Fairly Made

Pour une relation durable

Fashion Revolution, un mouvement qui milite pour une industrie plus transparente et plus respectueuse des travailleurs et de l’environnement, réclame une intervention législative des gouvernements pour mettre fin à la surproduction et au gaspillage vestimentaires. « L’industrie de la mode ne se contente pas de fabriquer des vêtements, elle fabrique aussi le désir que nous avons pour eux, affirme Elise Epp, coordinatrice nationale de Fashion Revolution Canada. Par conséquent, les marques doivent être responsables non seulement de l’impact de la production de vêtements, mais aussi des déchets de vêtements causés par la surproduction. »

PHOTO VADYM PLYSIUK, GETTY IMAGES

Un vêtement dont les fibres ont bouloché. Pour les enlever, un rasoir de bouloche peut être nécessaire.

Selon elle, réglementer la durée de vie des vêtements ne permettrait toutefois pas nécessairement d’aller à la racine du problème.

Nous pouvons faire durer les vêtements plus longtemps, mais cela n’a pas d’importance si les gens ne les portent que trois fois de toute façon.

Elise Epp, coordinatrice nationale de Fashion Revolution Canada

La durabilité émotionnelle ou psychologique est donc aussi au cœur de l’allongement de la vie de nos vêtements. Les pièces pour lesquelles on ressent de l’attachement sont aussi celles que nous aurons le plus envie de réparer ou de porter même si elles sont un peu boulochées.

« La durée de vie est à la rencontre entre une filière industrielle qui doit changer certaines pratiques, changer son approche sur la production de vêtements, et les consommateurs qui doivent se déshabituer de cette abondance de vêtements, de ce renouvellement extrêmement rapide et important », observe Maximilien Schrub.

Bientôt un éco-score en France

D’ici 2024, les vêtements neufs vendus en France pourraient devoir porter une étiquette précisant leur impact environnemental. Pour aider les consommateurs à faire des choix plus éclairés, un éco-score textile sera calculé en tenant compte d’indicateurs environnementaux, comme la consommation d’eau et les rejets de microplastiques, mais aussi de la durée de vie du vêtement. « Si le produit valide certains seuils qui seront décrits et identifiés, on estimera qu’on peut lui attribuer un certain bonus par rapport à ces impacts environnementaux parce qu’on estime qu’il durera plus longtemps », indique Maximilien Schrub. Une réglementation du même type pourrait aussi être adoptée prochainement par la Commission européenne.

En savoir plus
  • 292 000 tonnes
    Quantité de textile jeté en 2021 au Québec, soit près de 34 kg par habitant
    source : Bilan 2021 de la gestion des matières résiduelles au Québec, RECYC-QUÉBEC