Un livre pour enfants m’a fait pleurer, il y a quelques jours.

Vous allez me trouver sensible (quelle surprise !), mais la lecture de l’album Les galettes de grand-maman m’a vraiment remuée.

Lena, une petite louve, quitte son pays avec sa mère, laissant grand-maman derrière. Elle doit trouver des repères dans sa nouvelle école, où elle se fait un ami, mais où elle subit aussi des moqueries. En cas de tristesse, elle se réfugie dans les souvenirs familiaux et les lointains effluves des galettes de grand-mère. Heureusement, un professeur change le cours des choses en faisant une proposition aux élèves qui se méfient de la nouvelle venue…

« La prochaine fois que vous entendez des histoires de méchants loups, seriez-vous d’accord pour être courageux et poser des questions ? »

Emilie Plank s’est inspirée du parcours de ses grands-parents pour écrire et illustrer ce magnifique album jeunesse publié chez Québec Amérique. Sa grand-mère, Elisabeth, a quitté la Hongrie en 1947. Elle a passé les quatre années suivantes dans des camps de réfugiés. C’est au Québec qu’elle a rencontré Frank, également un immigrant hongrois.

Leur parcours est brièvement raconté dans la dernière page de l’album, splendides photos à l’appui. On y apprend que Frank a travaillé sur les chemins de fer du Canadien National et qu’Elisabeth a ouvert le premier magasin hongrois à Montréal. Elle a même eu son kiosque à Terre des hommes, pendant Expo 67…

Emilie sourit tendrement quand elle parle d’eux. Elle est visiblement fière de leur apport à la collectivité québécoise. Elle ajoute tout de même, au sujet de cette ultime page : « Pour être un réfugié ou un immigrant valide, tu n’as pas besoin d’avoir contribué à de grandes choses, mais c’était important pour moi de montrer qu’on construit notre culture et notre histoire ensemble. Tout le monde. »

Si raconter l’exil à des enfants de 6 à 10 ans me semble un exercice périlleux, Emilie Plank y tenait depuis 2015. C’est notamment le sort des migrants qui traversaient la Méditerranée, dont le petit Alan Kurdi, qui l’a poussée à écrire ce livre.

Bien sûr, les préjugés liés à l’immigration la touchaient particulièrement, étant donné le passé de ses grands-parents, mais ses valeurs familiales – l’inclusion et l’engagement – ont également été des moteurs créatifs importants. (Quand on parle de valeurs familiales, notons qu’elle est la grande sœur de la journaliste Elizabeth Plank, autrice de l’essai à succès Pour l’amour des hommes et militante féministe.)

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Emilie Plank

L’engagement a donc fait naître Emilie Plank l’artiste, mais aussi Emilie Plank l’enseignante. À l’École Buissonnière, dans Outremont, elle veille aujourd’hui sur une classe de sixième année et chapeaute le programme d’apprentissage socioémotionnel.

Ça, c’est une initiative que je trouve fascinante. En somme, il s’agit d’un projet basé sur la psychologie pour enfants et la communication non violente.

« La communication non violente, c’est s’autoréguler, faire des observations claires, nommer ses sentiments et ses besoins, puis faire des demandes, m’explique Emilie Plank. C’est une approche qui favorise la compassion et l’empathie. C’est aussi une prise de responsabilité pour nos sentiments et nos besoins. »

Concrètement : les élèves ont des cartes « sentiments » et des cartes « besoins ». Lorsqu’un conflit survient, les enseignants peuvent les aider à mieux le régler en utilisant un vocabulaire précis grâce aux mots indiqués sur lesdites cartes.

« J’avais le cœur brisé, j’étais déçue et j’avais besoin d’être entendue. »

Ils apprennent à nommer clairement ce qu’ils ont vécu pour faciliter la compréhension de leur interlocuteur. Quel outil précieux !

Ça m’a frappée, d’ailleurs, quand je lisais Les galettes de grand-maman. Lena la petite louve s’y avoue « triste et fâchée » à cause des menteries colportées à son sujet, à l’école. C’est beau de voir une jeune s’affirmer et assumer sa colère. C’est beau aussi que son témoignage soit aussitôt validé par un copain : « Oui, ce qu’ils disaient était faux. »

Emilie Plank est contente que je lui souligne ce passage. « La position du témoin était importante pour moi… On est tous témoins de plusieurs choses dans la société et on peut agir. »

En tant qu’adulte, on gagnerait à avoir des petites cartes, que je me dis. J’en suivrais bien, moi, des cours d’apprentissage socioémotionnel… Ce serait utile pour bâtir l’avenir qu’espèrent les sœurs Plank : un monde dans lequel la culture de l’annulation serait remplacée par la culture de la conversation.

Un monde courageux dans lequel on se montrerait curieux envers les personnes qui ne pensent pas comme nous.

Les galettes de grand-maman

Les galettes de grand-maman

Québec Amérique

48 pages