Inspirée par le questionnaire du magazine Philosophie, La Presse interroge chaque mois une personnalité sur les grandes questions existentielles. Ce dimanche, l’actrice et autrice Catherine Chabot, en vedette dans la série La candidate, répond à nos questions.

Qui suis-je ?

En quête de devenir de plus en plus librement qui je suis ; la démarche d’une vie, tant il faut se déprogrammer de « tout ce qu’on nous a enjoint d’être et qu’on n’est pas », dirait ma psy.

Sommes-nous libres ?

On naît avec un cerveau, régi par des hormones, qui meut un corps à l’intérieur d’une famille, qui, elle, s’enracine dans une société, un pays, un hémisphère bien précis. Le tout additionné aux évènements antérieurs, aux traumatismes intergénérationnels et aux hasards ; on est ainsi pris dans une grande chaîne de causes à effets à l’intérieur de laquelle on a la liberté de choisir, ou non, de se faire un troisième café le matin – ou de tenter de répondre à la question 1.

Que retenez-vous de votre éducation ?

Mon père m’a toujours dit : « Les Chabot, on est des travaillants ! » Venant d’un greffé cardiaque sexagénaire hyperactif qui travaille encore 70 heures par semaine, la barre est haute. Quand j’ai envie de me plaindre de ma fatigue, je pense à lui et je me rassérène. Un peu de vitamine C, un troisième café, et hop ! on est repartie.

Un penseur/philosophe qui vous accompagne depuis un bon bout de temps ?

Alejandro Jodorowsky. À travers la direction d’acteurs, il s’est rendu compte que certains personnages pouvaient avoir un effet sur l’interprète – un effet guérisseur. En marge de son travail de metteur en scène, il a développé la thérapie par la psychomagie. L’idée est de proposer à ses patients des actes théâtraux, proches du rite initiatique, pour guérir dans la vraie vie. J’aime l’idée de créer un cérémonial, un geste symbolique pour cheminer. Jusqu’à récemment, il lisait le tarot et prescrivait des actes psychomagiques dans un café de Paris… Son livre Mu, le maître et les magiciennes continue de m’inspirer.

La chose la plus surprenante que vous avez faite par amour ?

Un enfant.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Chabot

Votre démon ?

L’anxiété de performance. Par manque de confiance, j’ai été ma propre ennemie. Je me suis souvent nui. Ça m’a pris beaucoup de temps avant d’intérioriser la notion « d’être assez ». J’avais mal au cœur avant mes cours de jeu en première année de Conservatoire, pour ne nommer que ça. Depuis l’enfance, je suis une fille de sac magique. Pour outrepasser ce démon, Jodorowsky me proposerait sûrement de traverser la ville, flambant nue, en criant : « Voici qui je suis ! ». À méditer.

Le lieu (ou l’état d’esprit) parfait ?

L’horizon. Quand le regard s’y pose, l’avenir se dégage. Je pourrais passer des heures à regarder la mer, le fleuve, une rivière. Ce que je préfère du voyage, c’est de trouver un point d’eau et de fixer mes yeux sur sa jonction avec le ciel. Tout devient plus clair, ou un peu moins flou.

Ce qui vous fâche dans la vie ?

L’indignation est mon moteur. Elle me pousse à écrire, surtout. Je suis souvent en train de ronger un os. Ces temps-ci, je suis fâchée parce que ma voisine d’en face paie 1075 $ par mois pour un trois et demie dans un demi-sous-sol – coquerelles incluses – dans lequel elle garde ses trois petits-enfants, cinq jours par semaine. Ça, ça me fâche !

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Chabot sur le tapis rouge du film adapté de sa pièce Lignes de fuite

Qu’est-ce qui vous rend le plus fier dans votre carrière ?

Quand de futurs interprètes prennent une scène de l’une de mes pièces pour leurs auditions d’entrée dans les écoles de théâtre. Savoir que leur rêve tient à mes mots, à mes dialogues, m’émeut au plus haut point. Dans le champ amoureux est souvent choisi, l’amour y est une matière philosophique, donc faite sur mesure pour de jeunes acteurs en quête d’absolu.

Une belle mort, selon vous, c’est…

Une mort accidentelle, sans souffrance. Ma hantise la plus profonde serait de devoir en planifier la date et l’heure. Dans la pièce Table rase, dans laquelle je jouais, les personnages accompagnent une amie dans la mort. À chaque représentation, je pleurais toutes les larmes de mon corps… et pas uniquement parce que ça faisait partie de la mise en scène. L’idée de la mort me terrorise, mais surtout, elle m’envahit d’un sentiment aigu de nostalgie, de regrets. Mais comme dit un des personnages : « Ce qui fait le plus souffrir, c’est la conscience de ta vie, mais quand t’es mort, t’es mort. »

Finissez la phrase : si Dieu existe…

… si je me fie à l’actualité ces jours-ci, il m’est impossible d’y croire.