Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier.

Le commerce existe depuis près de 100 ans et il fait partie intégrante de l’histoire de la Main. Un célèbre résidant du quartier, Leonard Cohen, venait même y acheter ses pantoufles… « La business est toujours restée dans la famille », indique Steve Schreter, dont le nom de famille est bien connu des gens qui affectionnent le boulevard Saint-Laurent et s’y baladent souvent.

Comme le Schwartz, Schreter est l’une des rares institutions de la Main qui tiennent bon et qui rappellent la forte présence juive d’autrefois. Dans le domaine du vêtement, on peut dire que c’est un exploit de tenir un magasin indépendant depuis 1928. « Nous sommes un grand petit magasin », aime à dire Steve Schreter.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Schreter existe depuis 1928.

Le cousin germain du père de Steve, Joseph Schreter, a ouvert le magasin après avoir immigré de la Roumanie. « Sans parler anglais ni français, et sans un sou dans les poches. Mon père Irving est arrivé en 1948 après la Seconde Guerre, relate son fils. Il était le deuxième de huit enfants. Les quatre plus jeunes et ses parents sont morts dans les camps de concentration. »

Quatre générations de Schreter

À l’origine, le magasin, qui s’est longtemps appelé J. Schreter’s, a ouvert sur Saint-Dominique pour déménager au coin du boulevard Saint-Laurent et de la rue De Montigny (aujourd’hui boulevard De Maisonneuve). Après un grave incendie en 1955, il a migré vers le nord de la Main à son emplacement actuel devant le parc du Portugal, angle Marie-Anne. C’est environ à cette époque qu’Irving et d’autres Schreter ont succédé à Joseph.

Seul Irving a eu des enfants qui allaient à leur tour reprendre les commandes du magasin : Steve et Joey Schreter.

Mon frère a joué un rôle très important. Aujourd’hui, c’est juste moi, mais les employés ont entre 25 et 40 ans de service.

Steve Schreter

Irving Schreter est décédé en 2019 après 68 ans de mariage avec Paula. « Ma mère est toujours vivante. Elle a 88 ans et 15 arrière-petits-enfants », souligne Steve.

ARCHIVES LA PRESSE, PHOTO MARTIN CHAMBERLAND

Nous avons trouvé dans nos archives cette photo de Steve Schreter qui date de 2002.

Du wholesale au retail

Schreter a su traverser tous les remous qui ont marqué l’industrie du textile. À ses débuts, on y vendait des vêtements en gros à des petits commerçants et à ce qu’on appelait des colporteurs ou « marchands-prêteurs ». « Nous avions un énorme stock et nos fournisseurs étaient montréalais », raconte Steve.

C’était une époque où les marques passaient inaperçues et où la mode n’était pas éphémère. « Les vêtements, c’était des pantalons, des chemises et des chaussures… that’s it. C’était une commodity. L’important, c’était d’avoir le meilleur rapport qualité-prix. »

Le passage vers la vente au détail est venu graduellement dans les années 1980 avec l’arrivée des centres commerciaux et des cartes de crédit. « On a fait des annonces à la radio », raconte Steve. Sur le site web de Schreter, on peut d’ailleurs écouter des jingles publicitaires qui ont fait la renommée du magasin :

Écoutez les jingles de Schreter

Des anecdotes

À l’époque, un annonceur qui était ami avec le célèbre ancien gérant des Dodgers de Los Angeles Tommy Lasorda a permis à Schreter d’avoir une visite – et des bons mots en ondes – de celui qui avait commencé sa carrière comme lanceur des Royaux de Montréal. « Un beau souvenir. »

Autre journée mémorable : quand le père et les frères Schreter ont fait venir un camion sur la Main en 1986 pour une photo. « Leonard Cohen est passé devant nous en nous demandant : « Can I join you guys ? » »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Steve, Irving et Joey Schreter avec Leonard Cohen

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Steve Schreter et Leonard Cohen en 2009

L’autre photo de Leonard Cohen – qui habitait tout près rue Vallières –, qu’on peut voir près de la caisse du Schreter date de 2009. Leonard Cohen venait de célébrer ses 75 ans, tout comme s’apprêtait à le faire la mère de Steve. « J’ai donné la photo à ma mère, et il lui a écrit un mot. »

PHOTO FOURNIE PAR SCHRETER

Régulièrement, des clients entrent dans le magasin en demandant si c’est vrai que Cohen y a déjà mis les pieds. Encore plus depuis qu’une journaliste du New York Times a raconté dans un article après la mort du grand poète que ce dernier se baladait dans le quartier avec des pantoufles Foamtreads achetées chez Schreter.

Lire l’article du New York Times
  • Quelques souvenirs du passé

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    Quelques souvenirs du passé

  • Le choix de chaussures sport est vaste.

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    Le choix de chaussures sport est vaste.

  • Schreter tient de belles marques.

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    Schreter tient de belles marques.

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Le service avant tout

Steve Schreter a « grandi » dans le magasin à l’époque où de nombreux Grecs et Portugais d’origine demeuraient dans le quartier. « La Main a changé beaucoup. » Mais Schreter se tire d’affaire depuis 1928 parce que le magasin a toujours été en phase avec son époque.

Mon père a toujours accepté les changements. C’est impossible de rester en affaires en s’entêtant avec de vieilles idées.

Steve Schreter

Dès le début de l’ère numérique, Schreter a eu un site web. Aujourd’hui, le magasin affiche ses nouveautés sur Instagram et tient des marques enviables : des espadrilles New Balance et On, des jeans Du/Er et Levi’s, des scandales Birkenstock, la marque montréalaise Kuwalla Tee, etc.

« La seule chose qui demeure old-fashioned est le service », souligne Steve, qui vante sa garde rapprochée de trois employés, dont Manny Moura, qui travaille chez Schreter depuis 39 ans. « Ma fille et mon fils ont aussi travaillé ici », souligne le Montréalais d’origine portugaise.

Luis Bola y travaille pour sa part depuis qu’il est étudiant. « J’ai commencé à temps partiel et j’y suis toujours. C’est comme une famille. »

PHOTO FOURNIE PAR LE MAGASIN SCHRETER

Steve Schreter entouré de sa garde rapprochée : Luis Bola, Ida Ponte et Manny Moura.

La suite

Steve Schreter et sa femme (depuis 48 ans) vivent à Dollard-des-Ormeaux. Ils ont trois fils et huit petits-enfants. Steve aura 70 ans le 23 août. « Je ne suis pas prêt pour la retraite, confie-t-il. Je vais peut-être changer d’idée le matin où je vais sortir de chez moi et que je ne serai pas heureux de venir ici. J’aime travailler. Le magasin est toujours resté dans la famille. Qu’est-ce qui va arriver après moi ? Je ne sais pas. Pour le moment, je suis ici. »

Ici, c’est au 4358, boulevard Saint-Laurent.