Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis le tout premier défilé de la Fierté à Montréal, en juin 1979, alors qu’une cinquantaine de personnes y avaient pris part. Celui auquel nous avons eu droit dimanche est sans contredit l’un des plus imposants que j’ai vus au cours des 20 dernières années.

Est-ce à cause du cafouillage de l’an dernier ? Toujours est-il qu’on a eu l’impression que la nouvelle équipe de Fierté Montréal en place depuis deux ans a voulu mettre le paquet. Les nombreuses délégations étaient riches en participants, et ceux-ci avaient le cœur à la fête.

J’ai été particulièrement touché de voir que ce défilé, long de deux heures et demie, s’est ouvert avec un groupe représentant diverses communautés autochtones. Il a été suivi par des aînés LGBTQ+. Ceux qui étaient là avant nous, ceux qui ont fait la lutte avant nous… Voilà un formidable symbole qui devrait devenir une règle absolue dans les défilés futurs.

L’autre chose qui m’a frappé, ce sont les participants provenant des communautés culturelles. Ils étaient nettement plus nombreux que les années antérieures. Je me souviens d’une époque où un groupe culturel était représenté par trois ou quatre braves gais ou lesbiennes. Ce nouveau phénomène démontre le pas de géant que certains immigrants (et leur famille) font en venant vivre au Québec.

Ceux qui étaient présents dimanche ont sans doute remarqué la grande quantité d’enfants qui défilaient avec leurs parents. À certains moments, on se serait cru à une manif pour le maintien des tarifs de garderies. Il y avait de la poussette là, mon ami ! L’homoparentalité a connu un incroyable essor au cours des dernières années. Les effets de ce changement de société apparaissent avec éclat. C’était beau à voir.

Cela dit, même s’il était fort sympathique, ce défilé avait de quoi dérouter par moments. C’est fou, la variété de revendications qui étaient affichées. On ne savait plus où donner de la tête. Droits des travailleurs, lutte contre la pauvreté, légalisation des drogues, accès aux soins de santé… Il y en avait pour tous les goûts !

Il y a plusieurs façons d’analyser ça. On peut se dire que ce défilé est devenu un fourre-tout qui a perdu de vue les luttes initiales de la communauté LGBTQ+. Ou on peut voir cela comme un signe évident d’avancement. J’adhère à la seconde avenue.

Plusieurs batailles qui ont été menées dans les années 1960, 1970 et 1980 ont moins besoin d’attention. Il est temps d’inclure les LGBTQ+ dans les combats que tous les autres citoyens doivent aussi mener.

N’allez cependant pas croire que les causes et les organismes reliés aux LGBTQ+ étaient absents. Oh que non ! Ils étaient tous là : Fondation Émergence, GRIS, Jeunesse j’écoute et plusieurs autres étaient présents. Ils étaient toutefois dilués dans d’autres groupes dont on peut s’interroger sur la présence.

J’avoue que j’ai été dubitatif lors du passage du groupe Danse irlandaise Costello de Vaudreuil-Soulanges et de l’Association des coiffeuses et des coiffeurs latinos du Québec. Il va falloir que les concepteurs du défilé contrôlent davantage les inscriptions. À ce rythme-là, les Filles d’Isabelle de Cowansville vont avoir leur char allégorique avec Rita Baga l’année prochaine.

Parlant d’inscriptions, les partis politiques étaient bien représentés. J’ai pu apercevoir Pascal Bérubé, Gabriel Nadeau-Dubois et Jagmeet Singh (très apprécié par la foule). Mais que dire de l’énorme quantité de marques commerciales ? Supermarchés, cosmétiques, compagnies aériennes, vêtements, compagnies d’assurance, industrie du jeu, elles abondaient.

Pour ce qui est des banques, elles étaient toutes là. L’argent n’a peut-être pas d’odeur, mais il sait reconnaître les couleurs de l’arc-en-ciel quand il le faut.

La présence d’une délégation en particulier a suscité chez moi quelques interrogations : celle des Forces armées canadiennes. Loin de moi l’idée de remettre en question leur participation. Il faut que tous les milieux, surtout ceux qui peuvent être perçus comme fermés, puissent s’afficher.

Mais je serais curieux d’entendre les opposants à la présence des policiers au sein du défilé à ce sujet. Pourquoi les soldats ne sont-ils pas des symboles de répression pour eux, alors que les policiers le sont ? Il semble bien que ce concept soit à géométrie variable.

Un peu de jugement artistique maintenant, car un défilé, tout en étant un outil de revendications, est aussi un gros show. Il a commencé en lion avec le premier tiers du cortège. Mention spéciale au groupe de la Ville de Montréal ! La mairesse Valérie Plante, toute de rose vêtue, et les centaines de participants ont mis le feu aux poudres.

Mais de longs segments auraient eu intérêt à être « filiatraultisés ». Ça manquait de nerf, de mordant. En préparant le line-up, est-ce que les concepteurs savent quelles délégations disposent d’un support musical (DJ, percussions, etc.) et celles qui n’en ont pas ? Il y avait des moments où c’était franchement tranquille.

Dimanche, avant de me rendre sur le boulevard René-Lévesque, je suis allé voir dans les journaux de juin 1979 ce qu’on avait écrit sur le premier défilé organisé par la Brigade rose. L’évènement est passé sous le radar des journalistes. Ceux-ci étaient davantage intéressés par une histoire de diplomate canadien filmé à son insu par le KGB alors qu’il participait à une « orgie homosexuelle ».

En regardant autour de moi dimanche, assis sur un bout de trottoir parmi des parents, des enfants, des grands-parents et des jeunes, il m’a semblé que cette période était tellement lointaine. Et que j’étais très chanceux de vivre au Québec.

À tous ceux qui m’écrivent, lorsque j’aborde les enjeux des LGBTQ+, des choses du genre : « Pourquoi parler de fierté quand on est gai ? Pourquoi les gais seraient fiers et pas nous ? » À ceux-là, je leur dis de venir au défilé l’année prochaine. Ils verront que cette fierté leur appartient aussi.

Et que plus les humains évoluent, plus leurs causes se ressemblent.