Face au dérèglement climatique, certains prennent le taureau par les cornes et arrêtent de prendre l’avion ou réduisent d’un coup leur consommation. De tels changements peuvent contribuer à renverser la vapeur, mais génèrent parfois des réactions négatives. Comment s’y prendre pour changer ses habitudes sans heurter son entourage ou avoir l’impression de se punir soi-même ?

Michèle Boudrias l’admet d’emblée : elle ne serait pas la personne qu’elle est aujourd’hui si elle n’avait pas voyagé en Asie à partir du milieu des années 1970. « La découverte du monde, ça m’a ouvert les yeux sur un grand nombre de choses, sur des valeurs comme l’entraide, que j’ai décidé d’intégrer. »

Après un séjour marquant au Sri Lanka en 1976, celle qui a longtemps travaillé dans le monde de l’éducation a visité l’Inde plusieurs fois, et fait des voyages en Europe, particulièrement en Italie, ainsi qu’au Mexique, en Jamaïque, en Haïti, au Maroc, etc.

Il y a quatre ans, après la naissance de ses petits-enfants, celle qui vient d’avoir 70 ans a toutefois décidé d’arrêter de prendre l’avion. « Le désespoir de voir qu’un enfant te parle des changements climatiques et te dit que la planète va exploser » l’a convaincue.

Une décision assumée… qui reste émotive. « C’est atroce de ne pas voyager, lance-t-elle avant de ravaler un sanglot. C’est vrai que j’ai l’impression de me priver. » Mais elle tient bon : « Je suis rendue au stade où je veux diminuer [mon empreinte] partout où je suis capable », ajoute celle qui limite aussi sa consommation en fréquentant des épiceries en vrac et en achetant surtout des biens de seconde main.

Mais pas question pour elle d’imposer ses choix aux autres : « Je ne veux pas confronter les gens que j’aime, ce serait invivable… Je préfère inviter mes proches à participer à une manifestation plutôt que de leur parler d’arrêter de voyager. »

Éviter l’acharnement

La psychologue Inês Lopes, qui est aussi experte-conseil en éducation pour l’environnement et les enjeux sociaux, salue l’approche de Mme Boudrias. On peut informer ses proches, même tenter de les convaincre d’adopter de nouveaux comportements, mais il faut accepter qu’on n’a pas le contrôle sur leurs opinions et leurs actions, dit-elle. L’acharnement risque de mener à de l’épuisement, de la frustration, de l’isolement et même des conflits.

PHOTO DANIEL LANTEIGNE, FOURNIE PAR INÊS LOPES

Inês Lopes, psychologue

Tordre un bras, ça peut provoquer des chicanes dans un souper de Noël, mais ça n’apportera rien de bien utile.

Inês Lopes, psychologue

Les réalités de chacun ne sont pas les mêmes, rappelle aussi la psychologue. Arrêter de prendre l’avion à 70 ans, après avoir longtemps voyagé, c’est difficile, mais peut-être pas autant que pour un jeune adulte ou quelqu’un qui vient de s’installer dans un nouveau pays. « Est-ce qu’on a le droit de demander à un immigrant de ne plus jamais aller voir sa famille ? », demande la Dre Lopes.

Le conjoint de Michèle Boudrias a un peu de mal à faire le deuil de leurs voyages à l’étranger, même si elle jure qu’elle ne l’empêchera jamais de partir seul de son côté. Ensemble, ils ont quand même récemment exploré la Côte-Nord « avec peu de temps, mais un regard neuf sur les habitants et les paysages », raconte-t-elle.

Pour Michèle Boudrias, en fait, la clé pour éviter d’avoir l’impression de se punir est là : dans la découverte de ce qui se trouve plus près, à pied, à vélo ou en train, ou même la rencontre des gens venus de partout dans le monde qui habitent ici.

Elle suggère d’ailleurs à ses proches qui aiment partir aux quatre coins du monde de modifier eux aussi leurs perceptions. « Louer une maison en famille en Gaspésie plutôt que dans le sud de la France, c’est aussi un voyage », dit-elle, même si elle sait bien que ses conseils suscitent parfois des haussements de sourcils.

Se donner une chance

S’il peut parfois sembler pénible, le renoncement « par conviction » est aussi source de bonheur, affirme Inês Lopes. « Agir en cohérence avec ses valeurs, c’est positif », résume-t-elle. N’empêche, personne n’a à être parfait, et tous peuvent réévaluer leurs choix si les sacrifices et les regrets semblent trop importants. « Une personne peut décider de voyager à l’occasion et mettre ses énergies à changer les systèmes économiques, les lois, […] c’est valable aussi », observe-t-elle.

Michèle Boudrias a-t-elle des regrets ? Peut-être de n’avoir jamais visité les pays du nord de l’Europe. Pas question toutefois de succomber à cette envie : elle serait trop malheureuse de trahir ses engagements. Il lui reste, peut-être, un (mince) espoir. « Mon grand-père disait : ‟J’irai en Europe le jour où il y aura un pont”, raconte la septuagénaire. Moi, je dirais : ‟J’irai en Scandinavie le jour où on aura un avion électrique !” »