C’est dans le décor fabuleux d’une ferme de Sawyerville – un village situé à 40 km à l’est de Sherbrooke – que vit Cynthia Tellier Champagne. Tandis que son conjoint, Benjamin Leclerc, cultive du foin et élève des bœufs nourris à l’herbe, Cynthia fait pousser de la… couleur.

Sa mission ? Fournir du matériel d’art écoresponsable (et un savoir-faire oublié), par l’entremise de son entreprise, le Studio d’art Shuffle. Dans son jardin, poussent des plants de carthame, de garance, de pastel des teinturiers, etc. Ce sont des plantes tinctoriales, qui servent à préparer des teintures, des peintures et des colorants naturels. « J’en cultive depuis deux ans, mais ça fait plus longtemps que je fais la cueillette sauvage de plantes rustiques colorantes », précise Cynthia Tellier Champagne, qui s’est formée à coup de lectures et d’expérimentations.

Quelques plantes tinctoriales
  • Cynthia Tellier Champagne derrière un plant de guimauve, dont on utilise les racines. « Ceux qui veulent faire des encres naturelles peuvent l’utiliser pour épaissir leurs encres », dit-elle.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Cynthia Tellier Champagne derrière un plant de guimauve, dont on utilise les racines. « Ceux qui veulent faire des encres naturelles peuvent l’utiliser pour épaissir leurs encres », dit-elle.

  • Le carthame des teinturiers donne « des magnifiques fleurs orange », décrit Cynthia. Récoltée après la rosée, puis séchée, elle permet d’obtenir une teinte orangée ou rosée.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Le carthame des teinturiers donne « des magnifiques fleurs orange », décrit Cynthia. Récoltée après la rosée, puis séchée, elle permet d’obtenir une teinte orangée ou rosée.

  • Ces plants de pastel des teinturiers « ont l’air de rien », s’amuse Cynthia. « Mais les plantes qui n’ont l’air de rien sont souvent les meilleures. Le pastel des teinturiers donne des bleus assez impressionnants. »

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Ces plants de pastel des teinturiers « ont l’air de rien », s’amuse Cynthia. « Mais les plantes qui n’ont l’air de rien sont souvent les meilleures. Le pastel des teinturiers donne des bleus assez impressionnants. »

  • Le coréopsis des teinturiers « permet de faire une récolte de quantité satisfaisante », fait valoir Cynthia. Ce plant donne « des teintes d’orangé et de jaune ».

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Le coréopsis des teinturiers « permet de faire une récolte de quantité satisfaisante », fait valoir Cynthia. Ce plant donne « des teintes d’orangé et de jaune ».

  • Fleur de millepertuis. « Les gens qui n’ont pas envie de cultiver, mais qui s’intéressent à la couleur, peuvent aller se promener dans les champs et trouver des fleurs de millepertuis, conseille Cynthia. C’est un excellent colorant, avec lequel on peut faire du jaune, du orange, du rouge, du mauve. »

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Fleur de millepertuis. « Les gens qui n’ont pas envie de cultiver, mais qui s’intéressent à la couleur, peuvent aller se promener dans les champs et trouver des fleurs de millepertuis, conseille Cynthia. C’est un excellent colorant, avec lequel on peut faire du jaune, du orange, du rouge, du mauve. »

  • La racine de la garance, « c’est vraiment le rouge par excellence, en végétal, dit Cynthia. C’est une plante tellement colorante que les vaches qui en mangent ont les os teintés en rose. »

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    La racine de la garance, « c’est vraiment le rouge par excellence, en végétal, dit Cynthia. C’est une plante tellement colorante que les vaches qui en mangent ont les os teintés en rose. »

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« Aujourd’hui, il est devenu impossible d’éviter les aspects éthiques de la production artistique », estime Michael Blum, professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM. L’impact de l’utilisation du matériel industriel, « c’est une question que les artistes se posent enfin », précise-t-il.

Montée d’intérêt en art

Dans la forêt qui borde les terres familiales, Cynthia Tellier Champagne récolte de la gomme de cerisier, un liant à peinture qui peut remplacer l’exotique gomme arabique. Elle vient de planter des saules, pour faire des fusains. Dans la grange, ce sont les œufs des poules qu’elle ramasse. « Un œuf, ça sert à tout, s’emballe la jeune femme. Sa coquille sert à fabriquer un pigment. Le blanc d’œuf permet de faire un vernis et le jaune, un tempera à l’œuf [un procédé de peinture]. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Près de la cabane à sucre familiale, le fils de Cynthia Tellier Champagne a trouvé un grand cerisier (à gauche sur la photo), dont sa mère récolte la gomme. « Mon fils m’a dit : “C’est quoi l’arbre qui brille ?’’ », se rappelle Cynthia.

De plus en plus populaire pour teindre laine et tissus, l’utilisation de ressources naturelles et locales (plantes, minéraux, etc.) est émergente dans le milieu de l’art. « Je sens une montée d’intérêt, avec ce qu’on vit à l’échelle de la planète », observe Cynthia Tellier Champagne.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Détentrice d’un baccalauréat en psychologie et d’un certificat en arts visuels de l’Université de Sherbrooke, Cynthia Tellier Champagne ne pensait pas créer du matériel d’art à la campagne, notamment à l’aide de ses poules. « Quand tu écoutes ton cœur, il te ramène dans le bon chemin », philosophe-t-elle.

Professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM, Andrée-Anne Dupuis-Bourret le constate aussi. Elle dirige plusieurs recherches d’étudiantes à la maîtrise « avec des postures écoféministes », qui « utilisent des procédés artisanaux écoresponsables, dont la fabrication d’encre et de papier avec des matières végétales ou recyclées », illustre-t-elle.

Oublier la peinture acrylique industrielle

Artiste, Andrée Bélanger a longtemps utilisé « de la peinture acrylique achetée en grande surface », décrit-elle. Elle a eu un déclic en installant son atelier dans une cabane sans eau courante, dans le Témiscouata. « J’ai été forcée de constater l’impact environnemental de ma pratique », résume Andrée Bélanger. Elle s’est tournée vers l’achat de pigments naturels, avant d’entamer au printemps un projet de fabrication d’encres à partir des végétaux et minéraux de sa région.

PHOTO JEAN MUNRO, FOURNIE PAR ANDRÉE BÉLANGER

Dans l’œil du vison, d’Andrée Bélanger. Aquarelle de pigments naturels sur papier de fibres textiles recyclées, photographie en noir et blanc sur bandes de papier, baguettes de bois de merisier, 76 cm x 76 cm, 2020.

Au Studio d’art Shuffle, dans le sous-sol de sa maison, Cynthia Tellier Champagne transforme aussi ses plantes en peinture. « Dans l’atelier, c’est là que la magie opère », dit-elle avec malice.

Malgré ses airs de fée des bois, c’est la chimie – plus que la magie – qui permet à Cynthia de transformer le colorant extrait des plantes en pigment solide. « On a besoin d’un sel métallique, d’un acide, d’un alcali et d’une base minérale de sépiolite dans le processus », explique-t-elle. Après, il suffit de mélanger le pigment à un liant pour obtenir de la peinture. Bientôt, le Studio d’art Shuffle proposera des pigments québécois, et des peintures fabriquées sur place doivent être vendues en 2022.

Dans l’atelier
  • Achillée millefeuille, millepertuis, carthame des teinturiers et camomille des teinturiers, dans le sens des aiguilles d’une montre en partant de la gauche.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Achillée millefeuille, millepertuis, carthame des teinturiers et camomille des teinturiers, dans le sens des aiguilles d’une montre en partant de la gauche.

  • Filtration du colorant de chou rouge, après un trempage dans l’eau distillée.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Filtration du colorant de chou rouge, après un trempage dans l’eau distillée.

  • Avant le processus de laquage, Cynthia Tellier Champagne teste la couleur de l’encre de chou rouge.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Avant le processus de laquage, Cynthia Tellier Champagne teste la couleur de l’encre de chou rouge.

  • Séchage de la laque de cochenille, avant le broyage du pigment.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Séchage de la laque de cochenille, avant le broyage du pigment.

  • Le Studio d’art Shuffle vend des produits maison, comme cette encre de glands, et d’autres fabriqués ailleurs.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Le Studio d’art Shuffle vend des produits maison, comme cette encre de glands, et d’autres fabriqués ailleurs.

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Métier : fabricante d’aquarelle

Aquarelliste, Isabelle Gauthier a commencé à s’interroger sur la provenance de son aquarelle industrielle. « Est-ce que je sais où ils prennent leurs pigments ? s’est-elle demandé. Quel traitement est donné à la terre pour l’extraire ? Aux gens qui l’extraient ? »

Des questions qui l’ont poussée à commencer à créer ses couleurs, en avril 2020. « La pandémie est arrivée et je me suis dit : “c’est maintenant ou jamais” », souligne-t-elle. Depuis, Isabelle Gauthier a fondé Pixö, une entreprise d’aquarelles faites à la main, qu’elle vend en ligne. Fabricant de peinture, « c’est un métier oublié par l’ère industrielle, mais ô combien important », estime-t-elle. « Le bleu de Van Gogh était son bleu à lui, grâce à son marchand de couleurs, le père Tanguy ! »

PHOTO FOURNIE PAR PIXÖ

« Je suis fière de mon produit, il va partout, en France, en Australie, ici au Québec et dans l’Ouest canadien », dit Isabelle Gauthier, qui fait l’aquarelle Pixö.

Pour la réalisation d’une murale sur des oiseaux du Québec, peinte avec des pigments naturels selon une recette à base de farine, Marie-Christine Le Vey s’est fait conseiller par le Studio d’art Shuffle. « Faire une recette ancestrale, l’appliquer sur une surface, ça permet un peu de visualiser comment étaient les couleurs à une certaine époque, dans une culture donnée », observe Marie-Christine Le Vey. Pour mieux faire circuler ce savoir, l’illustratrice et animatrice graphique a créé un groupe Facebook, Discussions sur les arts visuels écologiques.

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-CHRISTINE LE VEY

« Le Paradis des oiseaux est un panneau mural sur lequel j’ai peint avec des pigments naturels », décrit Marie-Christine Le Vey, de l’entreprise Les gentils. « L’œuvre a été faite à partir de croûtes de cèdre que nous avons transformées en planches, puis collées ensemble. »

Semer des plantes tinctoriales

À la pépinière Paysage gourmand de Rawdon, fondée par son conjoint, Marie-Christine Le Vey expérimente la culture de plantes tinctoriales. Dont le pastel des teinturiers et l’amarante Hopi Red Dye, utilisée comme teinture par les Amérindiens Hopis de l’Arizona.

PHOTO FOURNIE PAR KÉLANIE CHAPDELAINE LAVOIE

« Mon entreprise se spécialise dans la production de semences potagères, médicinales, tinctoriales, plantes hôtes et nectarifères puis dans les fleurs coupées », indique Kélanie Chapdelaine Lavoie, des Jardins féconds de Kélanie.

Envie de tenter le coup ? Aux jardins féconds de Kélanie, à Frontenac, on trouve des semences de plantes tinctoriales et à pigments. « Comme semencière, je fais un travail de sélection et de conservation, résume Kélanie Chapdelaine Lavoie, la propriétaire. Je crois qu’en reproduisant les plantes tinctoriales, je participe à maintenir en vie toute une histoire de traditions colorées. »

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