Le Hamas a pris Israël par surprise samedi matin en menant une attaque inédite depuis des décennies. Quelles sont les implications de cette évolution dans le conflit israélo-palestinien ? Nous en avons discuté avec trois experts.

Qu’est-ce qui distingue cette attaque du Hamas des précédentes escalades dans le conflit israélo-palestinien ?

Le niveau de préparation d’un tel assaut est très supérieur à ceux des dernières décennies, selon le sociologue Rachad Antonius, professeur à l’Université du Québec à Montréal.

Les attaques de roquettes du Hamas sont généralement de bien moindre envergure, fait remarquer le chercheur.

Or, cette fois, des centaines de militants ont pénétré en territoire israélien par la terre, la mer et les airs, s’étonne-t-il. « Ils ont pris non seulement des otages, mais aussi du matériel israélien, des bulldozers, des voitures et de la nourriture qu’ils ont ramenés du côté des territoires occupés. » Un tel coup d’éclat demande une préparation de longue date, analyse-t-il.

Est-il étonnant que les services secrets israéliens n’aient pas anticipé l’attaque ?

C’est plus que surprenant, c’est même « ahurissant », remarque Ferry de Kerckhove, de l’Université d’Ottawa. « Comment ça se fait que le service de renseignement le plus exceptionnel au monde se soit fait flouer par le Hamas ? », se demande-t-il.

En effet, la surveillance israélienne en territoire palestinien occupé se retrouve à de multiples niveaux, analyse le reporter international Peter Beaumont dans le journal britannique The Guardian. Notamment, des individus vulnérables sont visés par les services de renseignement, de même que les militants palestiniens emprisonnés en Israël. Sans compter l’utilisation de technologies de pointe.

Lisez le texte de Peter Beaumont dans The Guardian (en anglais)

« On peut voir ça comme un échec des services de renseignement israéliens, mais aussi comme un succès des services de renseignement de l’autre côté », observe Rex Brynen, politologue de l’Université McGill. « Le Hamas a réussi à cacher ses préparatifs. Et ça dénote peut-être une certaine complaisance qui se serait installée du côté israélien envers Gaza. »

Quelles sont les conséquences pour le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et la suite du conflit ?

La réforme du système judiciaire par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou divise le pays depuis des mois. Ce contexte pourrait avoir eu un impact sur le manque de préparation du gouvernement face à l’attaque du Hamas, estime Rex Brynen.

Lisez le reportage « La Presse en Israël : un pays fracturé »

« Pour Nétanyahou, [l’attaque du Hamas] peut être une occasion politique, où il va gagner du soutien en se montrant dur. Mais il pourrait aussi être blâmé pour son échec à anticiper l’attaque. Il est dans une position où ça peut autant lui nuire que le soutenir », ajoute le politologue.

Tous les experts s’entendent pour dire que la réponse du gouvernement israélien, propulsé par l’extrême droite, sera d’une grande violence. « Cette fois-ci, je pense que Nétanyahou va y aller à fond, mais sera-t-il capable de liquider complètement le Hamas ? Ce n’est pas évident, reconnaît M. de Kerckhove. Mais il va y avoir un massacre assez atroce de tout ce qui peut être lié au Hamas », prévoit-il.

Cet assaut pourrait aussi avoir un effet unificateur au sein de la population en Israël, ajoute-t-il.

« La réponse israélienne va être très sévère et violente, renchérit M. Brynen. Et à l’évidence, il va y avoir énormément de souffrance humaine. »

Quels seront les impacts de cette attaque sur les négociations en cours entre Israël et l’Arabie saoudite ?

Cette attaque survient en pleine période de négociations historiques entre Israël et l’Arabie saoudite, sous l’égide du président américain Joe Biden. Or, à la fin du mois de septembre, l’Iran avait prévenu qu’un tel rapprochement constituerait une trahison de la cause palestinienne.

Qu’adviendra-t-il de ces pourparlers ? Difficile de s’avancer, mais aucun des experts interrogés par La Presse ne pense que l’Arabie saoudite pourra continuer de négocier si Israël riposte violemment envers les Palestiniens.

« En privé, les Saoudiens vont dire à Israël qu’il peut être aussi dur qu’il le souhaite. Mais publiquement, ça va mettre le processus de négociation sur pause pendant un certain temps », prévoit Rex Brynen.

Les négociations pourraient aussi avoir galvanisé la base militante palestinienne, ajoute Rachad Antonius. « Ils sentent que la communauté internationale a complètement abandonné la Palestine, y compris les pays arabes, qui estiment maintenant que l’Iran est plus dangereux qu’Israël », explique-t-il.

Quels autres éléments ont alimenté le conflit ?

Depuis plus d’un an, les tensions montent entre Israël et les Palestiniens, entre autres en Cisjordanie occupée. En juillet, notamment, une offensive israélienne militaire de deux jours à Jénine – considéré comme un bastion de factions palestiniennes armées et « une plaque tournante du terrorisme », selon Israël – a pris une ampleur inégalée.

Lisez l’article « Cisjordanie occupée : Jénine, un camp au cœur de la violence »

« Là-bas, des centaines de maisons palestiniennes sont détruites chaque semaine. Ce n’est plus à l’occasion, c’est devenu quotidien, raconte M. Antonius. Et la bande de Gaza est sous blocus depuis près de 20 ans. C’est difficile d’y vivre, d’y survivre. »

Malgré les risques, de nombreux Palestiniens préfèrent la violence au statu quo, renchérit M. Antonius. « Ils savent très bien que le rapport de forces n’est pas en leur faveur », remarque-t-il.

Or, il n’y a pas eu de pourparlers de paix depuis des années. « Je pense que le désintérêt politique à résoudre le conflit a aidé le Hamas, ajoute M. Brynen, parce que les Palestiniens sentent que cette occupation dure depuis plusieurs générations, et qu’il n’y a pas d’espoir pour l’avenir. »