Les violences continuaient de faire craindre une nouvelle escalade dans le conflit israélo-palestinien mardi. Un soldat israélien a été tué alors que l’armée avait commencé son retrait de Jénine en soirée, après l’importante offensive lancée lundi. Des roquettes ont aussi été lancées de la bande de Gaza vers Israël durant la nuit.

Ce qu’il faut savoir

• L’assaut militaire israélien s’est poursuivi dans la journée de mardi à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée. Les troupes ont entamé un retrait en soirée.

• L’armée a confirmé la mort d’un soldat israélien.

• En après-midi, à Tel-Aviv, huit personnes ont été blessées dans un attentat à la voiture-bélier.

Une douzaine de Palestiniens ont été tués au cours des deux journées de l’opération et des dizaines d’autres ont été blessés.

« Plaque tournante du terrorisme » pour les Israéliens, repaire de « combattants de la résistance » pour les Palestiniens, le camp de Jénine est marqué par la pauvreté et la violence.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« J’ai quatre enfants et je m’inquiète pour leur avenir », a confié Mustafa Sheta, joint au téléphone lundi soir à Jénine, ville voisine du camp du même nom. « Des fois, je me demande même pourquoi j’ai des enfants… »

L’homme de 43 ans est directeur général du Freedom Theatre, fondé en 2006 pour permettre aux enfants et adolescents du camp de réfugiés de canaliser leurs émotions par l’art. Il s’inquiétait lundi des répercussions pour ces jeunes restés dans le camp pendant l’offensive israélienne. « C’est vraiment difficile », a-t-il dit.

PHOTO RONALDO SCHEMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Véhicule blindé israélien tirant des gaz lacrymogènes à Jénine, en Cisjordanie occupée, mardi

Quelque 18 000 personnes vivent dans le camp, familles et descendants de Palestiniens déplacés lors de la création d’Israël en 1948. Ils s’entassent sur un territoire d’environ 0,43 km⁠2.

Infrastructures détruites

Depuis un peu plus d’un an, les heurts entre Palestiniens et soldats israéliens sont devenus plus fréquents à Jénine, au fil des interventions. L’offensive de deux jours se distinguait par contre par son ampleur.

PHOTO SHIR TOREM, ASSOCIATED PRESS

Le premier ministre d’Israël, Benyamin Nétanyahou, près du poste militaire de Salem entre Israël et la Cisjordanie occupée, mardi

« Il y a eu de multiples incursions, mais ça semble être la plus agressive depuis 2002, avec l’utilisation de forces aériennes et de troupes au sol, explique au téléphone Jason Lee, directeur pour le territoire palestinien de Save the Children. Ça crée une destruction importante d’infrastructures civiles, comme des routes et des bâtiments, et ça affecte la distribution de l’eau, de l’électricité, de l’internet. »

Les membres de l’organisme n’ont pas pu se rendre sur place, précise-t-il, le périmètre ayant été bouclé. Des milliers de Palestiniens ont d’ailleurs fui le camp lundi et mardi.

Un camp central

Des attentats ont été commis dans les derniers mois par des Palestiniens originaires du camp. La Brigade de Jénine, groupe armé de la région, est sur la liste noire d’Israël, qui l’accuse de fomenter des attaques terroristes, soutenue par l’Iran.

La semaine dernière, les autorités militaires israéliennes ont indiqué que deux roquettes avaient été lancées de Jénine – un fait rare en Cisjordanie, ces projectiles étant habituellement l’apanage des groupes islamistes de la bande de Gaza.

Les roquettes seraient retombées en territoire palestinien, sans faire de blessés.

« Ils essaient de construire un système pour lancer des roquettes vers Israël et le but [de l’opération israélienne] est d’étouffer ça dans l’œuf et de détruire les infrastructures qui servent à lancer des attaques, les lieux où sont entreposés les armes », résume au téléphone le professeur à la retraite Itamar Rabinovich, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis.

Ripostes

Les promesses de riposte palestinienne ont pris la forme, mardi, d’une attaque à la voiture-bélier à Tel-Aviv. Le conducteur du véhicule, un Palestinien, a été « neutralisé » après être sorti de son automobile avec un « objet tranchant », selon la police israélienne. Dans la nuit, des roquettes ont aussi été lancées de la bande de Gaza vers Israël. On ne rapportait aucun blessé au moment d’écrire ces lignes.

Il s’agit des derniers évènements d’une année ponctuée par différents actes de violence et de vengeance : des attaques de Palestiniens contre des Israéliens, des « expéditions punitives » menées par des colons juifs dans des villages de Cisjordanie occupée, des opérations militaires et des arrestations.

Au moins 140 Palestiniens et 25 Israéliens ont été tués en Cisjordanie en 2023, selon l’Agence France-Presse.

Le climat politique rend la résolution de la situation délicate. Israël est gouverné depuis janvier par une coalition comptant des politiciens d’extrême droite, appelant à la ligne dure contre les Palestiniens. L’entité gouvernementale responsable des Palestiniens, l’Autorité palestinienne, est quant à elle affaiblie, taxée de corruption et mal vue par les partisans de la lutte armée contre Israël.

PHOTO JACK GUEZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Femme blessée évacuée par les services d’urgence, sur les lieux d’une attaque à la voiture-bélier à Tel-Aviv, mardi

Plusieurs appels au calme ont été lancés au cours des derniers jours. « Les meurtres, les atteintes à l’intégrité physique et la destruction de biens doivent cesser », a dit le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk.

Deuxième intifada

Jénine était déjà un endroit chaud lors de la deuxième intifada, ce soulèvement palestinien particulièrement meurtrier entre 2000 et 2005.

Aux infrastructures défaillantes, aux emprisonnements et aux incursions militaires s’ajoutent la pauvreté et un taux de chômage élevé.

Dans d’autres villes palestiniennes, il y a des industries, comme à Hébron, mais ce n’est pas le cas de Jénine.

Jason Lee, directeur pour le territoire palestinien de Save the Children

Une situation qui pousse des jeunes vers la violence, estime M. Sheta. « Quand on n’a plus d’espoir… on devient un peu fous », dit-il.

L’ancien prisonnier refuse d’ailleurs de condamner la violence des « combattants » palestiniens.

« Nous, on fait de la résistance culturelle, mais on respecte toutes les sortes de résistance », lance-t-il. Son théâtre a d’ailleurs déjà causé la polémique, tant auprès des religieux palestiniens que des autorités israéliennes – un des cofondateurs a été accusé de terrorisme par les Israéliens.

Si les évènements des derniers jours rappellent à M. Sheta la deuxième intifada – les drones ayant remplacé les chars, précise-t-il –, M. Rabinovich n’a pas la même lecture : l’opération militaire lundi et mardi était « moyenne », selon lui. « Ce n’est pas de l’ampleur de la deuxième intifada, mais ce n’est pas non plus une opération de routine », explique-t-il.

Il y voit plutôt une façon de réduire les moyens utilisés dans la violence contre les Israéliens.

Avec l’Agence France-Presse