Une Américaine de 33 ans qui a fait une fausse couche est accusée par les autorités de l’Ohio d’avoir « profané un cadavre » et risque la prison.

Britanny Watts était enceinte de cinq mois lorsqu’elle a commencé à souffrir d’importants saignements qui l’ont amenée à consulter d’urgence un médecin.

Le praticien l’a avisée qu’elle avait perdu ses eaux prématurément et que le fœtus qu’elle portait n’était pas viable. Il a suggéré qu’elle se rende à l’hôpital dans les plus brefs délais pour induire son expulsion et éviter une infection potentiellement fatale.

L’intervention n’a cependant pas eu lieu, en partie parce que le personnel de l’hôpital s’est longuement interrogé sur la légalité d’une telle intervention.

La crainte qu’elle ne soit considérée par les autorités comme un avortement figurait au cœur des discussions puisque l’interruption de grossesse était alors permise dans l’État jusqu’à ce que le fœtus soit jugé viable, autour de 21 semaines.

Mme Watts est repartie sans être soignée et a finalement expulsé le fœtus naturellement dans une toilette à sa résidence avant de retourner à l’hôpital pour être prise en charge.

Ses réponses confuses sur ce qui était advenu du fœtus ont alerté une infirmière, qui a décidé de contacter la police, lançant un engrenage judiciaire ayant abouti au dépôt de l’accusation de profanation de cadavre.

« Pas de raison juridique valable »

La Dre Grace Howard, une juriste qui enseigne à la San Jose State University, note que ce chef d’accusation a été mis de l’avant à l’origine pour empêcher notamment le vol de cadavres dans les cimetières et n’a pas été conçu pour s’appliquer aux interruptions de grossesse, volontaires ou non.

La procédure en Ohio suggère que nombre de procureurs se sentent habilités à agir plus agressivement depuis que l’arrêt Roe c. Wade protégeant l’accès à l’avortement a été infirmé, au point même de s’attaquer à des cas de fausse couche où la femme enceinte n’avait affiché aucune intention d’interrompre sa grossesse.

« À mon avis, il n’y a pas de raison juridique valable de poursuivre » Britanny Watts, souligne la Dre Howard, qui publiera en 2024 un ouvrage sur la « police des grossesses » aux États-Unis.

Le procureur adjoint au dossier, Lewis Guarnieri, a indiqué à la chaîne CBS que la question n’était pas de savoir « comment l’enfant est mort » ou « quand l’enfant est mort ».

C’est plutôt, a-t-il indiqué, que « le bébé a été placé dans une toilette, était assez gros pour bloquer la toilette et a été laissé dans la toilette ».

La Dre Howard note qu’aucune loi ne précise comment une femme subissant une fausse couche dans sa résidence doit faire d’un fœtus mort.

Le procureur ne semble pas connaître grand-chose aux fausses couches. Beaucoup de femmes qui en sont victimes expulsent le fœtus dans la toilette, ça n’a rien d’exceptionnel.

La Dre Grace Howard

« Une femme de 33 ans sans dossier criminel est diabolisée relativement à quelque chose qui survient tous les jours », a plaidé dans la même veine l’avocate de Britanny Watts lors de l’audience préliminaire.

Approche « idéologique »

L’approche des autorités locales, relève la Dre Howard, est « hautement idéologique » et vise à défendre l’idée que le fœtus est un enfant à part entière devant être protégé, y compris après sa mort.

La vraie question dans le cas de Britanny Watts, note la chercheuse, est de savoir pourquoi l’hôpital où elle s’est rendue pour recevoir de l’aide avant sa fausse couche ne l’a pas traitée correctement alors que sa santé était en danger.

« S’ils l’avaient fait, on n’en serait pas là », souligne la Dre Howard, qui s’alarme de la possibilité qu’un tribunal tranche en faveur de l’État malgré la fragilité juridique de la cause.

L’état de droit est menacé actuellement aux États-Unis et il est difficile dans ces circonstances de prédire ce que les tribunaux vont faire.

La Dre Grace Howard

Depuis que l’arrêt Roe c. Wade, qui protégeait l’accès à l’avortement, a été infirmé, plus d’une dizaine d’États ont dramatiquement réduit le nombre de semaines au-delà duquel l’interruption de grossesse n’est pas autorisée.

Les autorités locales ont souvent inscrit dans la loi des mesures permettant de poursuivre toute personne qui facilite un avortement, plaçant le personnel médical dans une situation difficile.

La population de l’Ohio a appuyé en novembre un amendement visant à inscrire le droit de l’avortement dans la Constitution, prenant le contrepied du gouvernement local qui espérait l’interdire après six semaines de grossesse.