(New York) « Une première est tombée. Il en reste deux. »

Forte de sa nouvelle notoriété, la représentante républicaine de New York, Elise Stefanik, a publié ces phrases lapidaires sur X, samedi, après l’annonce de la démission de la présidente de l’Université de Pennsylvanie, Liz Magill.

Quatre jours plus tôt, elle avait posé à cette juriste réputée, ainsi qu’à deux autres présidentes d’universités américaines prestigieuses, une question qui allait devenir virale sur les réseaux sociaux et provoquer un tollé : « L’appel au génocide des Juifs viole-t-il les règles ou le code de conduite de Penn ? Oui ou non ? »

« C’est une décision qui dépend du contexte », a répondu Liz Magill lors d’une audition tenue par une commission de la Chambre des représentants et consacrée à l’antisémitisme sur les campus américains dans la foulée de l’attaque sans précédent du 7 octobre perpétrée par le Hamas en Israël et de la riposte israélienne dans la bande de Gaza.

PHOTO KEVIN DIETSCH, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La présidente démissionnaire de l’Université de Pennsylvanie, Liz Magill, le 5 décembre dernier

Après s’être excusée de ses réponses évasives, Liz Magill a fini par démissionner de son poste sous la pression d’anciens étudiants, de professeurs et de riches donateurs, entre autres. La présidente de l’Université Harvard, Claudine Gay, et son homologue du Massachusetts Institute of Technology, Sally Kornbluth, font également l’objet d’appels à la démission après avoir offert à la même question d’Elise Stefanik des réponses aussi légalistes et désincarnées que celles de leur collègue.

Réponses qui ont indigné non seulement les républicains, mais également de nombreux démocrates, dont Doug Emhoff, mari de la vice-présidente Kamala Harris, qui est né à Brooklyn dans une famille juive.

Voir les présidentes de certaines de nos universités les plus prestigieuses littéralement incapables de dénoncer l’appel au génocide des Juifs comme antisémite, ce manque de clarté morale est tout simplement inacceptable.

Doug Emhoff, mari de la vice-présidente Kamala Harris

Et la tempête ne s’estompe pas, menaçant d’emporter à son tour Claudine Gay, personnage symbolique à plus d’un titre en tant que première personne de couleur à avoir été nommée à la tête de l’université la plus prestigieuse des États-Unis.

« Je pense que le destin de Magill devrait également être celui de Gay », tranche KC Johnson, professeur d’histoire au Brooklyn College, diplômé de Harvard et participant de longue date aux débats sur la liberté d’expression sur les campus.

« Ces trois présidentes, mais surtout Gay et Magill, ont été prises en flagrant délit d’hypocrisie. L’argument principal qu’elles ont présenté à la commission était celui d’absolutistes de la liberté d’expression, à savoir que les mots méchants et même les appels généraux au génocide ne violent pas les principes de la liberté d’expression. Je pense que c’est en fait exact. Le problème, c’est qu’elles président des institutions qui ont abandonné cette conception de la liberté d’expression depuis longtemps. On peut donc se demander pourquoi elles la défendent uniquement quand ce sont des étudiants juifs qui se plaignent. »

Contrition

À l’instar de Liz Magill, Claudine Gay a fait son mea-culpa.

« Je suis désolée », a-t-elle déclaré en entrevue au Harvard Crimson. « Les mots ont de l’importance. Lorsque les mots amplifient la détresse et la douleur, je ne sais pas comment on peut ressentir autre chose que du regret. »

La présidente de Harvard a ajouté qu’elle « aurait dû avoir la présence d’esprit », lors de son échange avec Elise Stefanik, de « revenir à la vérité qui [la] guide, à savoir que les appels à la violence contre notre communauté juive – les menaces contre nos étudiants juifs – n’ont pas leur place à Harvard et ne resteront jamais sans réponse ».

PHOTO MARK SCHIEFELBEIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La représentante républicaine de New York, Elise Stefanik, le 5 décembre dernier

Reste à voir si ces mots de contrition lui suffiront pour conserver le poste qu’elle occupe depuis le mois de juillet seulement.

Appui du corps professoral

Lundi, plus de 700 professeurs de Harvard se sont portés à sa défense en signant une lettre qui a été remise aux 13 membres de la corporation de Harvard, qui auront le dernier mot sur l’avenir de la présidente de l’université.

« Nous, les professeurs soussignés, vous demandons instamment de défendre l’indépendance de l’université et de résister aux pressions politiques qui vont à l’encontre de l’engagement de Harvard en faveur de la liberté universitaire, y compris les appels à la destitution de la présidente Claudine Gay », peut-on lire dans la lettre.

Le travail essentiel de défense d’une culture de libre examen dans notre communauté diversifiée ne peut se faire si nous laissons sa forme être dictée par des forces extérieures.

Extrait de la lettre d’appui des professeurs de Harvard à la présidente Claudine Gay

Claudine Gay n’essuie pas ses premières critiques. En décembre dernier, des tenants de la droite ont vite conclu que cette fille d’immigrés haïtiens devait sa nomination à la tête de Harvard non pas à son dossier, mais à son sexe et à la couleur de sa peau. Bill Ackman, financier milliardaire et donateur de Harvard, a repris cette critique à son compte après la performance de la présidente de son alma mater devant le Congrès.

« Réduire le nombre de candidats sur la base de critères de race, de sexe ou d’orientation sexuelle n’est pas la bonne approche pour identifier les meilleurs dirigeants pour nos universités les plus prestigieuses, a-t-il écrit sur X. Et ce n’est pas non plus une bonne chose pour ceux qui se voient attribuer le poste de président et qui se retrouvent dans un rôle qu’ils n’auraient probablement pas obtenu s’ils n’avaient pas eu un gros doigt sur la balance. »

Des tenants de la gauche ont vite fait de l’accuser de sexisme et de racisme.