La réponse de Biden divise les démocrates

(New York) « Actuellement, le président Biden est l’homme le plus populaire en Israël. Il a suscité plus de bienveillance de la part du peuple israélien que n’importe quel autre président de mémoire. »

Le diplomate américain Richard Haass, qui a servi sous trois présidents républicains et un démocrate, a prononcé ces mots la semaine dernière en saluant la réponse de Joe Biden à la boucherie du 7 octobre perpétrée par le Hamas en Israël. Il exprimait le consensus actuel parmi les décideurs de la politique étrangère et la vaste majorité des élus à Washington.

Écoutez l’entrevue accordée par Richard Haass au balado Stay Tuned with Preet (en anglais)

Mais cette réponse menace de déchirer le Parti démocrate et de fragiliser encore davantage un président déjà vulnérable sur d’autres fronts. Les manifestations de cette division sont nombreuses, et ses conséquences électorales pourraient être lourdes. En effet, en gagnant les faveurs du peuple israélien, l’occupant de la Maison-Blanche est peut-être en train de perdre celles de certains électeurs américains nécessaires à sa réélection en 2024, dont les jeunes.

Chute des appuis démocrates

Un sondage Gallup publié jeudi dernier a cerné le problème. Dans l’espace d’un seul mois, Joe Biden a vu son taux d’approbation passer de 86 % à 75 % chez les démocrates. Gallup, qui a mené son étude du 2 au 23 octobre, précise que « les résultats quotidiens suggèrent fortement que l’approbation de M. Biden par les démocrates a fortement chuté à la suite des attaques du Hamas du 7 octobre et de la promesse de M. Biden de soutenir pleinement Israël ».

Ces résultats confirment le tournant que l’institut d’opinion publique a révélé plus tôt cette année concernant la façon dont les démocrates voient le conflit israélo-palestinien. En mars dernier, Gallup a publié une étude indiquant que, pour la première fois, la sympathie des électeurs du parti de John Kennedy et de Barack Obama allait davantage vers les Palestiniens que vers les Israéliens, à 49 % contre 38 %. La maison de sondage a noté que ce tournant était dû en grande partie aux générations Y (les milléniaux) et Z, les générations précédentes continuant à afficher une plus grande sympathie pour les Israéliens.

Consultez l’analyse du sondage Gallup Democrats’ Sympathies in Middle East Shift to Palestinians (en anglais)

Mardi dernier, plus de 375 anciens membres du personnel des campagnes présidentielles de Bernie Sanders ont fait référence à ce sondage dans une lettre appelant le sénateur du Vermont, héros progressiste de nombreux jeunes, à réclamer un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas.

C’est en grande partie grâce à votre action que la sympathie des électeurs démocrates a opéré un changement historique majeur cette année en faveur des droits des Palestiniens.

Extrait de la lettre ouverte adressée au sénateur démocrate Bernie Sanders

« Aujourd’hui, nous vous demandons d’utiliser votre pouvoir ainsi que le respect dont vous jouissez à travers les États-Unis et le monde pour vous élever clairement et audacieusement contre la guerre, contre l’occupation et pour la dignité de la vie humaine. »

Lisez la lettre ouverte des anciens membres du personnel des campagnes présidentielles de Bernie Sanders (en anglais)

Dans les jours qui ont suivi, le sénateur s’est contenté de demander une « pause humanitaire », tout comme sa collègue du Massachusetts Elizabeth Warren, autre figure de proue du mouvement progressiste aux États-Unis. La représentante démocrate du Missouri, Cori Bush, a exprimé l’impatience de certains élus et électeurs démocrates des jeunes générations face à la proposition défendue par les aînés de leur parti. « Une pause humanitaire, qu’est-ce que c’est ? Nous avons besoin d’un cessez-le-feu. Nous devons cesser de larguer des bombes sur les hôpitaux, les écoles et les communautés », a dit au New York Times la représentante, qui a présenté une résolution à la Chambre des représentants appelant « à une désescalade et à un cessez-le-feu immédiat en Israël et en Palestine occupée ». Dix-huit représentants démocrates avaient soutenu cette résolution jeudi dernier. Ils sont tous issus de communautés de couleur, dont l’appui a également été déterminant dans l’élection de Joe Biden en 2020.

Vote des jeunes

Mais c’est peut-être la désaffection des jeunes qui pourrait lui être la plus coûteuse. En 2020, près de 60 % des électeurs âgés de 18 à 29 ans ont voté pour le candidat présidentiel du Parti démocrate, lui procurant un avantage de 24 points de pourcentage sur Donald Trump, selon le Pew Research Center. Aucun autre groupe d’âge n’a favorisé davantage le futur vainqueur. En 2024, ces jeunes pourraient bien rester à la maison ou voter pour un candidat indépendant pour protester contre l’appui sans réserve de Joe Biden à un pays dirigé par un gouvernement composé en partie de racistes virulents et d’extrémistes religieux.

En attendant, les campus universitaires sont le théâtre de manifestations quasi quotidiennes où la cause palestinienne est souvent vue comme un prolongement des mouvements de justice raciale et sociale qui ont secoué les États-Unis après la mort de George Floyd en 2020.

Cette contestation a connu des dérapages. Lors d’une manifestation à l’Université Cornell, par exemple, un professeur s’est dit « exalté » par « cette remise en cause du monopole de la violence » après les massacres du Hamas. La nouvelle présidente de l’Université Harvard a dû s’engager de son côté à lutter contre la résurgence d’antisémitisme sur son campus, où des dizaines d’organisations étudiantes ont appuyé une lettre tenant « le régime israélien pour entièrement responsable de toutes les violences qui se déroulent ».

Malgré les dérapages, Joe Biden semble être conscient des risques politiques auxquels sa réponse au 7 octobre l’expose. Après avoir promis son appui entier à Israël, il s’est mis à insister sur la nécessité de protéger les civils de la bande de Gaza et de débloquer l’aide humanitaire dans l’enclave palestinienne. Mais le bilan des morts continue à augmenter de façon affolante à Gaza et rien n’assure que la guerre qu’y mène Israël ne deviendra pas « le Viêtnam de Biden », pour reprendre l’expression de Max Berger, président et cofondateur du groupe juif progressiste IfNotNow.