(New York) Un représentant du Colorado a reçu quatre menaces de mort et un avis d’éviction du propriétaire de son bureau de circonscription, résultats de son refus d’appuyer la candidature de Jim Jordan, agitateur ultraconservateur, au poste de président de la Chambre des représentants.

Un représentant de Géorgie a demandé au shérif de son comté de déployer des policiers à l’école de sa fille et à sa propre résidence après avoir reçu des menaces pour son vote sur Jordan.

Un de ses collègues du Nebraska a révélé que sa femme dormait désormais avec un pistolet chargé après avoir reçu des appels et des textos anonymes de plus en plus menaçants.

Le journaliste de CNN Jake Tapper a fait entendre l’enregistrement d’un appel d’un homme anonyme à la femme d’un représentant dont l’identité n’a pas été dévoilée.

« Pourquoi ton mari est-il un tel porc ? Pourquoi va-t-il à la télévision pour se faire passer pour un trou de cul ? Parce qu’il est un connard de l’État profond ? Alors, voilà ce qu’on va faire. On va te suivre partout. On va te coller au cul. Sans arrêt. C’est Jim Jordan ou quelqu’un de plus conservateur, ou tu vas être agressée comme tu ne peux pas l’imaginer. Et encore une fois, sans violence. »

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Le représentant républicain Jim Jordan, vendredi dernier

Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des menaces reçues par la vingtaine de représentants républicains qui ont créé la surprise la semaine dernière en refusant de céder à l’intimidation des adhérents au mouvement MAGA, qui rêvaient de voir l’un des leurs à la tête d’une des deux chambres du Congrès américain.

Climat de peur

La question est aujourd’hui de savoir si cette révolte des « modérés » ou des « centristes » aura des suites au sein du groupe républicain de la Chambre, qui devra choisir mardi un nouveau candidat pour le poste de « speaker ». Précision : en plus d’être deuxième dans l’ordre de succession présidentielle, le « speaker » est celui qui dicte l’ordre du jour législatif de la Chambre et dirige les négociations avec le Sénat et la Maison-Blanche sur les dossiers majeurs. La fonction est loin d’être cérémoniale ou symbolique.

Autre précision : Jim Jordan a condamné les menaces et l’intimidation dont ses collègues républicains ont fait l’objet la semaine dernière. Mais il ne peut nier son appartenance à ce mouvement dont le sigle correspond au slogan de la première campagne présidentielle de Donald Trump (Make America Great Again).

Sur le plan des menaces et de l’intimidation, l’ancien président a donné le ton et ses disciples ont emboîté le pas. L’ancien représentant républicain du Michigan Peter Meijer a raconté la peur paralysante d’un de ses collègues après l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole. Ce dernier lui a confié qu’il avait décidé de voter contre la certification des résultats de l’élection présidentielle de 2020 pour une seule et unique raison : protéger sa famille.

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L’ancien représentant républicain du Michigan, Peter Meijer, en 2020

Lors d’une interview accordée au magazine The Atlantic, Meijer a résumé la réflexion de son collègue : « S’ils sont prêts à s’en prendre à nous à l’intérieur du Capitole, que feront-ils lorsque nous serons chez nous avec nos enfants ? »

Le sénateur républicain de l’Utah Mitt Romney a exprimé récemment cette même peur en expliquant sa décision de dépenser 5000 $ par jour pour protéger sa famille après son deuxième vote pour destituer Trump.

Ce climat de peur et d’intimidation n’a rien d’organique. Il est alimenté par d’influentes personnalités MAGA qui s’expriment sur les réseaux sociaux ou dans les médias traditionnels. Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump, fait partie de cet écosystème. Son message aux nombreux auditeurs de War Room, son émission balado, était clair, mercredi matin : ciblez les représentants républicains qui refusent de voter pour Jim Jordan.

« Appelez-les et faites-leur savoir ce que vous pensez, a dit Bannon. Envoyez-leur des courriels, appelez leur bureau, tout ça, foutez le feu à la baraque. C’est ça. Prenez-vous-en à eux. »

Vote secret

Malgré les menaces et l’intimidation, le nombre de représentants opposés à l’élection de Jim Jordan au poste de président de la Chambre est passé de 20 à 25 du premier au troisième tour du scrutin. Mais l’opposition à Jordan était encore plus grande, si l’on tient compte du résultat du vote secret tenu par la suite par les républicains pour déterminer si leur collègue de l’Ohio devait abandonner la course.

Pas moins de 112 représentants ont répondu par l’affirmative, contre 86. Combien d’entre eux avaient voté pour le candidat préféré de Donald Trump par peur lors des tours de scrutin en séance plénière ?

Les mots « modérés » ou « centristes » définissent mal les représentants qui se sont opposés à visage découvert à la promotion de Jim Jordan. Certains d’entre eux sont des élus très conservateurs, mais qui se distinguent de leurs collègues MAGA par leur respect des règles, des institutions et de leurs responsabilités de parlementaires.

Cette attitude explique d’ailleurs pourquoi ils se sont écrasés par le passé devant leurs collègues les plus extrémistes, qui sont pourtant moins nombreux qu’eux. Elle pourrait de nouveau les inciter à rentrer dans le rang pour mettre fin à cette paralysie sans précédent de la Chambre qui survient au moment où Joe Biden appelle le Congrès à approuver une enveloppe budgétaire de 105 milliards de dollars pour attaquer quatre dossiers majeurs : l’Ukraine, Israël, la Chine et la frontière sud.

Mais cette attitude pourrait aussi pousser ces républicains à adopter une solution qui serait le plus grand pied de nez aux trumpistes : un accord avec les démocrates pour élire un président de la Chambre responsable et crédible.

Il leur faudrait évidemment dire non une autre fois aux menaces et à l’intimidation.