(New York) Fidèle à sa réputation d’homme de compassion, Joe Biden a téléphoné à Mitch McConnell après sa plus récente paralysie momentanée : pour la deuxième fois en cinq semaines, mercredi dernier, le chef des républicains au Sénat, l’un des élus les plus influents de Washington, s’était figé devant des journalistes et emmuré dans un silence troublant pendant des dizaines de secondes.

Évoquant cet appel téléphonique deux jours plus tard, le président démocrate s’est voulu rassurant à propos de l’état de santé de son « ami ». « Il était comme avant au téléphone », a-t-il déclaré à des journalistes, avant d’avancer que la réaction du sénateur de 81 ans n’était pas anormale après la commotion cérébrale « grave » qu’il a subie en mars dernier lors d’une chute dans un hôtel de Washington.

« Je suis donc confiant qu’il reprendra le dessus », a ajouté le premier président octogénaire des États-Unis.

L’ironie veut que Joe Biden ait manifesté à l’endroit de Mitch McConnell une compassion qui a fait défaut à plusieurs républicains, dont la représentante de Géorgie Marjorie Taylor Greene, farouche alliée de Donald Trump. Il s’agit d’une des singularités du règne des octogénaires à Washington, auquel pourrait se joindre l’ancien président au cours d’un deuxième mandat à la Maison-Blanche.

Il faut s’attaquer aux graves problèmes de santé liés au vieillissement ou à l’incompétence en matière de santé mentale des dirigeants de notre pays.

Marjorie Taylor Greene, représentante républicaine de Géorgie sur X mercredi dernier

Elle a accompagné son message d’un clip de l’épisode malaisant où Mitch McConnell s’avère incapable de répondre à la question d’un journaliste lui demandant s’il sollicitera un huitième mandat en 2026.

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Mitch McConnell et Joe Biden en janvier dernier

Selon la représentante de Géorgie, le président Biden et le sénateur McConnell constituent « des exemples de personnes qui ne sont pas aptes à exercer une fonction ».

Mercredi soir dernier, l’animatrice de Fox News Laura Ingraham a offert une explication à la fois franche et brutale de l’attitude impitoyable de certains républicains envers Mitch McConnell. Selon elle, il n’est pas seulement « cruel » de la part des républicains de maintenir le sénateur à la tête de leur groupe au Sénat, étant donné qu’il partage avec le 46e président les « mêmes symptômes évidents d’un grave déclin physique et cognitif ».

« Cela annule également leur capacité à faire de l’état de décrépitude de M. Biden un enjeu en 2024 », a-t-elle ajouté.

Décrépitude. Le mot est le reflet de l’âgisme exacerbé dont Joe Biden est la cible au sein de la droite américaine, dont les adeptes n’hésitent pas davantage à utiliser les mots « sénilité » ou « démence » pour décrire l’état mental du président.

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Le président Joe Biden dimanche

Cette description, faut-il le rappeler, ne correspond pas à celle d’un Kevin McCarthy, chef des républicains à la Chambre des représentants. Après les négociations du printemps dernier sur le plafond de la dette, le représentant de Californie a utilisé les mots « très professionnel, très intelligent » pour décrire le locataire de la Maison-Blanche.

L’âge de Joe Biden n’est pas seulement une obsession chez ses adversaires. Cette question inquiète aussi ses propres partisans.

Un sondage AP/NORC publié la semaine dernière indiquait que 77 % des adultes américains, dont 69 % de démocrates, estiment que le président démocrate est trop vieux pour briguer un deuxième mandat à la Maison-Blanche.

Seule la moitié des répondants a offert la même réponse concernant Donald Trump, qui a pourtant célébré en juin dernier son 77e anniversaire de naissance. De toute évidence, l’ancien président projette une image plus dynamique aux yeux du public que celle de Joe Biden, dont les 80 ans bien comptés font partie des sujets abordés dans le premier livre sur les coulisses de son administration, qui sera mis en vente mardi.

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Donald Trump, le mois dernier

« Son âge avancé était une entrave, le privant de l’énergie nécessaire à une présence publique vigoureuse ou de la capacité à évoquer un nom », écrit l’auteur et journaliste Franklin Foer dans The Last Politician : Inside Joe Biden’s White House and the Struggle for America’s Future.

« Il était frappant de constater qu’il participait à si peu de réunions matinales ou d’évènements publics avant 10 h du matin. Sa personnalité publique reflétait le déclin physique et l’émoussement des facultés mentales par le temps, auxquels aucune pilule ni aucun programme d’exercice ne peut résister. En privé, il admettait parfois qu’il se sentait fatigué », ajoute l’auteur dans un extrait de son livre publié par le journal britannique The Guardian.

Franklin Foer, qui a joui d’un accès sans précédent aux membres de l’entourage de Joe Biden, n’a rien d’un auteur MAGA.

Visé par quatre affaires criminelles, Donald Trump a ses propres problèmes d’image. Selon le sondage AP/NORC, les Américains s’inquiètent davantage de son caractère que de son âge. Quand ils sont invités à décrire le propriétaire de Mar-a-Lago, les mots « corrompu », « criminel », « traître », « menteur » et « malhonnête » reviennent aussi souvent, sinon plus, que les mots « vieux », « dépassé », « sénile », « démence » ou « endormi » pour décrire Joe Biden.

Le président démocrate peut donc se consoler à la pensée que l’âge ne sera pas nécessairement le facteur déterminant dans les choix des électeurs en 2024. Mais tant les stratèges que les électeurs des deux grands partis savent qu’il n’est peut-être qu’à un problème médical d’un désastre politique.

Qui sait ? La compassion manifestée par Joe Biden à son « ami » Mitch McConnell découlait peut-être d’un souhait inconscient ou secret d’inspirer le même sentiment s’il était victime à son tour d’une incapacité passagère, en septembre ou en octobre 2024.

Mais la compassion a ses limites en politique.