(Washington) Le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis est peu loquace au sujet d’une opération survenue plus tôt cette année lors de laquelle l’usage d’hélicoptères et d’un avion a mené à l’arrestation de 124 personnes à proximité de la frontière canado-américaine.

Le 20 juillet, le service a indiqué dans un communiqué que « l’opération Jagdakommando » s’est attaquée à une « une activité transfrontalière illicite sans précédent » dans le nord des États-Unis.

On y souligne que du personnel des unités aériennes et maritimes a participé à cette « opération de surtension » durant laquelle 124 individus ont été arrêtés entre le 4 avril et le 13 mai 2023.

À elles seules, les unités aériennes ont contribué à l’arrestation de 212 personnes (d’octobre 2022 à juin dernier), soit une augmentation significative des arrestations de migrants dans ce secteur, poursuit le communiqué.

Or, questionné par La Presse canadienne, le service des douanes et de la protection des frontières a refusé de s’avancer davantage sur les détails de l’opération ni sur l’identité des 124 personnes appréhendées.

Il n’a pas non plus accepté de fournir le motif des arrestations de ces personnes, à savoir si elles n’avaient simplement pas de statut légal aux États-Unis.

« Toutes les informations que nous avons l’obligation de fournir concernant cette opération se trouvent dans le communiqué de presse », a répondu un porte-parole du service dans un courriel envoyé près de trois semaines après la requête initiale de La Presse canadienne.

Stigmatisation

L’opération a été lancée 11 jours seulement après que le président américain Joe Biden a rendu visite au premier ministre Justin Trudeau à Ottawa. Depuis, les autorités douanières américaines montrent les dents face aux traversées irrégulières à leur frontière nord.

Lisez notre reportage « Washington adopte des mesures plus musclées »

Les deux dirigeants ont convenu lors de leur rencontre que l’entente sur les tiers pays sûrs serait étendue à toute la frontière terrestre entre les deux pays, fermant du même coup les routes qu’utilisaient les migrants pour demander le statut de réfugié au Canada, dont le chemin Roxham au Québec.

Mais sans plus de transparence des autorités, il est impossible de savoir exactement pourquoi les 124 personnes ont été appréhendées, selon la professeure de droit à l’Université Queen’s de Kingston, en Ontario, Sharry Aiken.

« Il est vraiment problématique d’associer des demandeurs d’asile à cette opération, parce que cela les stigmatise en suggérant qu’ils sont illégaux et illicites, alors qu’en fait, ils ne le sont pas », a souligné Mme Aiken, qui se spécialise dans les questions liées à l’immigration.

Les accords sur les tiers pays sûrs ne sont rien de plus que des procédures bilatérales entre deux pays qui obligent les demandeurs potentiels à demander l’asile dans le premier pays sûr où ils arrivent, a-t-elle ajouté.

« Ce n’est pas une procédure qui fait de quelqu’un qui fait une demande d’asile un contrevenant d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas le cas. Ils ont le droit de faire une demande d’asile », a-t-elle plaidé.

Les groupes de défense des droits des migrants se plaignent depuis plusieurs années de la diminution constante des possibilités d’obtenir l’asile aux États-Unis, alors que le pays est aux prises avec un flux important de personnes qui se présentent sans papiers à la frontière avec le Mexique.

Pendant ce temps, à Washington, les républicains du Congrès se font un malin plaisir à attaquer la politique d’immigration des démocrates – en particulier après quatre années sous la présidence de Donald Trump et sa rhétorique prônant la construction d’un mur à la frontière américano-mexicaine.

Certains républicains du Congrès sont même allés jusqu’à former plus tôt cette année le « Caucus sur la sécurité à la frontière nord », craignant que le Canada ne devienne une route populaire pour les personnes qui tentent d’entrer illégalement aux États-Unis.

Le coprésident du caucus, le représentant républicain Mike Kelly, et la présidente de la Conférence des républicains de la Chambre des représentants, Elise Stefanik, ont applaudi l’opération « Jagdakommando » dans un communiqué.

« La crise frontalière de Joe Biden a dévasté des communautés à travers le pays et transformé chaque ville en une ville frontalière », peut-on lire dans leur déclaration.

« Nous comptons sur l’expertise de nos agents des douanes et de la protection des frontières pour assurer notre sécurité au quotidien et exécuter avec succès et sans crainte leur rôle vital dans la protection de notre sécurité nationale. »

Confusion

Le communiqué du service des douanes qui présente l’opération notait que l’unité aérienne de Plattsburgh est souvent impliquée dans des « opérations de sécurité frontalière » le long de la frontière canado-américaine, ainsi que dans des enquêtes fédérales, étatiques et locales, en plus des missions de recherche et de sauvetage.

Au cours des 12 mois de l’exercice 2022, les opérations aériennes et maritimes ont entraîné 967 arrestations et 134 981 interpellations de sans-papiers, ainsi que la saisie de grandes quantités de drogue, d’armes et d’argent.

L’endroit précis où ces saisies ont eu lieu n’est pas précisé.

« Le problème ici est vraiment la volonté clairement intentionnelle du gouvernement américain de créer de la confusion entre la migration illégale, le trafic de drogue et le commerce des armes », a soutenu la professeure Aiken.

« Ce que nous pouvons vraiment critiquer, c’est le fait que le gouvernement a choisi de publier ce communiqué et la manière dont il l’a fait, c’est-à-dire en cachant certains détails liés aux interpellations. »