Un second juge conservateur de la Cour suprême américaine se retrouve sur la sellette parce qu’il a bénéficié des largesses d’un riche milliardaire sans les déclarer ou se récuser subséquemment lors de causes auxquelles l’homme était lié.

ProPublica a révélé plus tôt cette semaine que le juge Samuel Alito s’était rendu en Alaska en 2008 à bord du jet privé de Paul Singer, qui gère un important fonds d’investissement, pour participer à une partie de pêche.

Le site d’enquête a calculé que noliser un appareil de ce type aurait coûté près de 100 000 $ au magistrat.

Aucune mention n’a été faite de la situation dans la déclaration financière annuelle du juge, qui a voté en faveur du fonds de M. Singer quelques années plus tard dans une cause l’opposant à l’État argentin.

Plutôt que de répondre aux questions de ProPublica, le magistrat a décidé de manière inusitée de publier une lettre ouverte dans la section éditoriale du Wall Street Journal où il accuse le média de déformer les faits.

Samuel Alito a souligné qu’il n’était pas tenu de déclarer le voyage en avion parce qu’il s’agit d’une marque « d’hospitalité personnelle » pouvant être exclue des déclarations financières annuelles.

Le juge a assuré par ailleurs qu’il n’était pas conscient que certaines causes traitées par le tribunal en sa présence étaient liées à M. Singer.

Plusieurs spécialistes en éthique ont rejeté ses affirmations, indiquant qu’il fait une mauvaise interprétation des lois régissant le comportement des magistrats fédéraux et leurs obligations en matière de transparence.

« Accès extraordinaire »

ProPublica avait déjà soulevé des questions sur l’encadrement éthique des juges du plus haut tribunal du pays il y a quelques mois en publiant une série de révélations sur les liens entre le juge Clarence Thomas et un autre milliardaire, Harlan Crow.

Lui aussi a affirmé n’avoir rien à se reprocher même s’il reconnaît avoir accepté plusieurs voyages payés au fil des ans par le riche donateur républicain, décrit comme un ami proche, sans les déclarer.

PHOTO EVELYN HOCKSTEIN, ARCHIVESREUTERS

Le juge à la Cour suprême Clarence Thomas

M. Crow a acheté par ailleurs une maison où résidait la mère du magistrat et a procédé à d’importantes rénovations, là encore sans que la transaction figure dans la déclaration annuelle du magistrat.

Selon l’organisation Project on Government Oversight, Clarence Thomas avait de bonnes raisons de vouloir passer la situation sous silence puisque les cadeaux reçus ont permis à l’homme d’affaires d’obtenir un « accès extraordinaire ».

L’affaire a fait grand bruit et amené la commission judiciaire du Sénat à demander au juge en chef de la Cour suprême, John Roberts, de venir témoigner.

Il a refusé l’invitation en arguant qu’une telle intervention risquerait de porter atteinte à la séparation des pouvoirs entre les branches législative et judiciaire prévue par la Constitution.

Le juge en chef a indiqué du même coup que la Cour suprême s’inspirait des dispositions du code de conduite développé pour les juges fédéraux même si ses membres ne sont pas tenus formellement de le suivre.

Une enquête réclamée

Gabe Roth, qui dirige Fix the Court, un organisme cherchant à rendre les tribunaux fédéraux plus transparents et responsables à l’égard de la population, pense que les révélations concernant Samuel Alito vont nuire à l’image des juges de l’influent tribunal et renforcer l’impression qu’ils se pensent « paradoxalement » au-dessus des lois.

On peut difficilement aimer le fait que des juges de la Cour suprême se déplacent dans le pays à bord de jets privés de milliardaires, encore moins quand on sait que ceux-ci ont des causes à faire valoir devant le tribunal.

Gabe Roth, dirigeant de Fix the Court

Des juges d’instances inférieures ayant commis des fautes similaires auraient des comptes à rendre et risqueraient d’être soumis à de sévères sanctions, dit-il.

Dans le cas des juges de la Cour suprême, plusieurs organisations pressent le procureur général, Merrick Garland, d’ouvrir une enquête pour déterminer si des amendes substantielles peuvent leur être imposées.

Le fait que M. Garland avait été proposé par l’administration de Barack Obama comme juge à la Cour suprême avant de se voir bloqué par les sénateurs républicains pourrait cependant donner l’impression, dans un contexte politiquement chargé, qu’il cherche à régler ses comptes.

M. Roth convient que sa position « n’est pas facile ». Il n’en demeure pas moins crucial, note le militant, que les juges mis en cause rendent des comptes pour leur comportement.

Le Congrès, qui est intervenu l’année dernière pour réviser certaines dispositions encadrant les obligations éthiques des juges fédéraux, devrait intervenir pour donner un nouveau tour de vis ciblant la Cour suprême, relève le représentant de Fix the Court.

« Il me semble que les juges de la Cour suprême qui vont de l’avant avec un programme conservateur contesté devraient être très soucieux d’écarter au plus vite toute allégation touchant leur sens éthique », conclut M. Roth.