(New York) Aux yeux de ses critiques démocrates, Joe Biden faisait preuve de naïveté, en dépit de ses 76 ans bien sonnés.

À l’amorce de sa troisième campagne présidentielle, l’ancien bras droit de Barack Obama se vantait d’être un négociateur aguerri, capable de pactiser avec l’opposition. Ne l’avait-il pas prouvé en 2009 en persuadant des sénateurs républicains d’appuyer le plan de sauvetage économique du 44e président ?

Dix ans plus tard, ses contempteurs progressistes lui reprochaient de vivre dans le passé, d’ignorer la polarisation de la politique à l’ère de Donald Trump. Polarisation qui allait pousser la démocratie américaine au bord du gouffre le 6 janvier 2021.

Mais Joe Biden n’a jamais abandonné l’espoir que les deux grands partis américains puissent encore s’entendre.

« L’histoire, la foi et la raison montrent la voie, la voie de l’unité », a-t-il déclaré lors de son investiture à titre de 46e président. « Nous pouvons nous considérer non pas comme des adversaires, mais comme des voisins. Nous pouvons nous traiter mutuellement avec dignité et respect. Nous pouvons unir nos forces, cesser de crier et faire baisser la température. »

PHOTO ALEX BRANDON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, et le président américain, Joe Biden

Deux semaines après l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump, ces paroles pouvaient apparaître comme de simples vœux pieux. Mais elles se traduisent aujourd’hui dans l’action de Joe Biden, qui a salué la semaine dernière l’une de ses réalisations bipartisanes les plus importantes : l’adoption par les deux chambres du Congrès d’un projet de loi permettant aux États-Unis d’éviter un défaut de paiement, scénario qui aurait pu provoquer une catastrophe économique.

« Je tiens à féliciter le président [de la Chambre des représentants, Kevin] McCarthy », a dit le chef de la Maison-Blanche lors d’une brève adresse à la nation, vendredi soir, en parlant de son principal interlocuteur républicain dans les négociations sur le plafond de la dette et les dépenses publiques.

« Vous savez, lui et moi, nous et nos équipes, nous avons été capables de nous entendre et de faire avancer les choses. Nous avons été directs l’un envers l’autre, totalement honnêtes l’un envers l’autre et respectueux l’un envers l’autre. Les deux parties ont agi de bonne foi. Les deux parties ont tenu parole. »

Réalisations bipartisanes

Il y avait très longtemps qu’un politicien américain avait parlé ainsi d’un de ses adversaires. Mais l’entente que célébrait Joe Biden n’était pas un fait isolé. Sa présidence est jalonnée de réalisations bipartisanes majeures. Parmi celles-ci : un plan colossal d’investissements dans les infrastructures ; un projet pour stimuler la fabrication de microprocesseurs aux États-Unis et concurrencer la Chine ; une loi pour réguler les armes à feu, la plus ambitieuse en plus de 30 ans ; un soutien militaire à l’Ukraine.

À cela s’ajoutent les réalisations revendiquées par Joe Biden grâce au seul appui des démocrates du Congrès, dont le plus important investissement de l’histoire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et promouvoir les technologies énergétiques propres.

Est-ce là le bilan d’un homme à moitié sénile ? Kevin McCarthy, lui, ne semble pas croire à cette description de Joe Biden populaire chez les républicains. À un journaliste qui lui demandait de décrire ses interactions avec le président octogénaire pendant les négociations des dernières semaines, il a répondu : « Très professionnel, très intelligent. Très dur en même temps. »

La force de Joe Biden comme négociateur peut se mesurer d’une autre façon : après avoir examiné les détails de l’entente négociée par le président démocrate et son interlocuteur républicain, les démocrates de la Chambre des représentants et du Sénat ont été plus nombreux que les républicains à voter pour le projet de loi qui en a découlé.

Et les plus conservateurs parmi les républicains de la Chambre ont pesté contre Kevin McCarthy, étant convaincus qu’il s’était fait déculotter par Joe Biden.

Impopulaire Biden

Mais cette force ne peut cacher la faiblesse de Joe Biden. Ce dernier est l’un des présidents les plus impopulaires de l’histoire à ce stade-ci de son mandat, sinon le plus impopulaire, un fait qui met en péril sa réélection. Selon les sondages, les électeurs se montrent particulièrement insatisfaits de sa gestion de l’économie et de l’inflation, et ce, malgré des créations d’emplois qui continuent à dépasser les attentes et une inflation en baisse.

D’autres sondages font état d’un malaise concernant l’âge de Joe Biden, autre question qui pourrait nuire à ses chances en 2024 et qui pèse peut-être aussi sur sa cote de popularité.

En avril dernier, 70 % des adultes américains estimaient que le président démocrate devait renoncer à un second mandat, selon un baromètre de NBC News. À la question de savoir si l’âge était un facteur, 69 % ont répondu par l’affirmative.

Cette opinion n’est sans doute pas étrangère à l’image que projette Joe Biden. Il fait son âge. Et sa chute sur une scène, jeudi dernier, a permis à certains médias de relancer cette question, n’en déplaise à la Maison-Blanche et aux partisans du président.

Lugubre, l’ancien stratège républicain Karl Rove a déclaré, sur Fox News : « Il se présente contre un adversaire républicain et la table de mortalité. Il est déjà plus âgé que tous les présidents, à l’exception de cinq, au moment de leur mort, et ces présidents avaient en général une retraite moyenne de plus de 20 ans au moment où ils ont quitté la Terre. »

Il y a quatre ans, Joe Biden était trop naïf, aux yeux de ses critiques. Aujourd’hui, il est trop vieux. Il est habitué à être sous-estimé. C’est peut-être aussi une force.