Succédant à Nancy Pelosi, le nouveau chef des démocrates à la Chambre des représentants, Hakeem Jeffries, est la première personne d’origine afro-américaine à diriger un parti au Congrès.

(New York) Avant même qu’il ne fasse parler de lui à l’extérieur de New York, Hakeem Jeffries avait un surnom qui en disait long sur ce que l’on voyait en lui : le « Barack de Brooklyn ». C’était il y a un peu plus de 10 ans, à l’époque où le nom du jeune politicien était mentionné parmi les candidats potentiels à de nombreux postes, dont celui de maire de New York.

Mercredi dernier, Hakeem Jeffries, 52 ans, s’est montré à la hauteur de ce surnom en écrivant à son tour une page d’histoire. Élu à l’unanimité par ses pairs pour succéder à Nancy Pelosi à la tête des démocrates de la Chambre des représentants, il est devenu le premier Noir à diriger un parti au Congrès. Avec un peu de chance, il pourrait même devenir, en janvier 2025, le premier descendant d’esclaves américains à tenir le marteau du président de la Chambre dans un Capitole construit par des esclaves.

Mais la comparaison entre Hakeem Jeffries et Barack Obama ne tenait pas seulement à la couleur de leur peau. Comme l’ancien président, le New-Yorkais revendique un parcours scolaire marqué au coin de l’excellence. Après avoir décroché une maîtrise en politique publique à l’Université Georgetown, il a fait ses études de droit à l’Université de New York, où il a reçu une mention « magna cum laude ».

Et les deux hommes sont réputés pour leur charisme. « Ils ont tous les deux de merveilleux sourires », confiait au Washington Post l’ancien maire de New York Ed Koch en 2012, pendant la campagne qui allait permettre à Hakeem Jeffries de remporter un premier mandat à la Chambre après avoir siégé pendant six ans à l’Assemblée de New York.

Des origines modestes

Mais Hakeem Jeffries est issu d’un milieu aux antipodes de celui de Barack Obama, qui a vu le jour à Honolulu, ville de rêve, et fréquenté des écoles privées.

Fils de travailleurs sociaux, il a grandi à Crown Heights, quartier ouvrier de Brooklyn, et fréquenté l’école publique, « en pleine épidémie de crack dans les années 1980 et au début des années 1990 », a-t-il rappelé aux journalistes d’une voix émue après son élection historique.

Hakeem Jeffries a également divergé de Barack Obama sur le plan professionnel après ses études. Alors que le futur président a travaillé comme organisateur communautaire à Chicago, le second a accepté un poste d’avocat plaidant au sein d’un des cabinets juridiques les plus prestigieux de New York. Il a cependant préféré sauter dans l’arène politique plutôt que de devenir un des associés du cabinet. À l’Assemblée de New York, il a axé son action sur la réforme de la police.

Sa promotion marque l’arrivée d’une nouvelle génération à la tête des démocrates de la Chambre. Après la décision de Nancy Pelosi de passer le flambeau, deux autres dirigeants octogénaires, Steny Hoyer et James Clyburn, ont renoncé à leur tour à leur poste respectif au sommet de la hiérarchie démocrate.

Une bataille fratricide aurait pu alors éclater pour l’obtention de ces postes d’influence. Mais les démocrates ont démontré une rare unité en élisant à l’unanimité non seulement Hakeem Jeffries, mais également ses deux collaborateurs, la représentante du Massachusetts Katherine Clark, 59 ans, et le représentant de Californie Pete Aguilar, 43 ans.

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La nouvelle garde des têtes dirigeantes du Parti démocrate : dans l’ordre, les représentants Katherine Clark (Massachusetts), Hakeem Jeffries (État de New York) et Pete Aguilar (Californie)

Cette unanimité illustre l’ascendant et l’habileté de Jeffries, qui occupait depuis quatre ans le cinquième échelon de la hiérarchie démocrate à titre de président du groupe. Mais elle ne sera pas éternelle. Le représentant new-yorkais, qui se définit comme un « progressiste pragmatique », a déjà promis de ne jamais « plier le genou devant le socialisme démocratique de la gauche dure ». Il a notamment refusé d’appuyer le Green New Deal, projet ambitieux, voire radical, défendu par sa collègue new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez.

Des collisions frontales pressenties avec ses vis-à-vis républicains

Ses relations avec les républicains devraient être houleuses. Mercredi dernier, Hakeem Jeffries a tendu la main aux élus qui formeront la prochaine majorité, tout en promettant de s’opposer « à l’extrémisme chaque fois que nécessaire ».

Les républicains, eux, ont accueilli son élection en le traitant de « négationniste électoral ».

« Hakeem Jeffries a qualifié l’élection présidentielle de 2016 d’illégitime. Pourquoi les démocrates élisent-ils un négationniste électoral pour diriger leur parti ? », a tweeté le représentant républicain du Texas Ronny Jackson.

Le Comité national républicain a tapé sur le même clou en ressortant des tweets où Hakeem Jeffries laissait notamment entendre que l’élection de 2016 avait été volée par des républicains dévoyés avec l’aide de la Russie.

Mesuré dans ses propos la plupart du temps, Hakeem Jeffries a tendance à se laisser emporter en parlant de Donald Trump. Lors d’une activité à Harlem pour célébrer la journée de Martin Luther King en 2019, il a associé l’ancien président au Ku Klux Klan en le qualifiant de « grand sorcier du 1600 Pennsylvania Avenue ». Malgré le tollé, il a refusé de s’excuser.

Il est aussi enclin à citer son idole musicale, le regretté rappeur Biggie Smalls. Ainsi, lors du premier procès en destitution de Donald Trump, il a offert à l’un des avocats du président qui s’interrogeait sur le bien-fondé de la procédure une réponse dont la dernière phrase était tirée de la chanson Juicy du rappeur de Brooklyn :

« Nous sommes ici, Monsieur, pour suivre les faits, appliquer la loi, être guidés par la Constitution et présenter la vérité au peuple américain. C’est pour cela que nous sommes ici, Monsieur Sekulow. Et si vous ne le saviez pas, maintenant, vous le savez. »