(New York) Douze mètres. Telle est la distance qui a séparé Mike Pence d’un groupe d’émeutiers, le 6 janvier 2021.

Douze mètres. Si ces émeutiers avaient mis le grappin sur l’ancien vice-président, celui-ci y aurait peut-être laissé sa peau, a estimé jeudi la commission du 6-Janvier lors de sa troisième audition publique.

Durant une deuxième heure d’audition à glacer le sang, la Commission a cité le témoignage d’un informateur du FBI à propos des Proud Boys, ce groupe extrémiste présent parmi les émeutiers.

« Les Proud Boys auraient tué Mike Pence si on leur en avait donné l’occasion », a déclaré l’informateur, ajoutant que Nancy Pelosi figurait également parmi leurs cibles.

Or, ce jour-là, Donald Trump n’a rien fait pour protéger son vice-président. Bien au contraire.

« La situation était déjà mauvaise. C’était comme s’il jetait de l’huile sur le feu en tweetant ça », a déclaré Sarah Matthews, alors adjointe de la porte-parole de la Maison-Blanche, lors d’une déposition entendue jeudi.

« Ça », c’est un gazouillis de Donald Trump publié à 14 h 24 le 6 janvier 2021 accusant Mike Pence de n’avoir « pas eu le courage de faire ce qui était nécessaire ».

L’ex-président savait alors que les émeutiers avaient pris d’assaut le Capitole, où Mike Pence devait présider à la certification des résultats de l’élection présidentielle de 2020.

« Pendez Mike Pence ! Pendez Mike Pence ! », scandaient certains des émeutiers.

Mais Donald Trump se foutait de la sécurité de son vice-président, s’il faut en croire son tweet.

Pressions sur Mike Pence

Donald Trump se balançait aussi de la loi et de la Constitution, à entendre le président de la commission du 6-Janvier, Bennie Thompson.

« Donald Trump voulait que Mike Pence fasse quelque chose qu’aucun autre vice-président n’a jamais fait. L’ancien président voulait que Pence rejette les votes et déclare Trump vainqueur ou renvoie les votes aux États pour qu’ils soient recomptés. »

Mike Pence a dit non. Il a résisté à la pression. Il savait que c’était illégal. Il savait que c’était mal.

Bennie Thompson, président de la commission d’enquête du Congrès sur les évènements du 6 janvier 2021

Donald Trump aurait également dû le savoir. Selon des témoignages présentés jeudi, tous ses conseillers, ou presque, lui ont expliqué que le vice-président n’avait pas le pouvoir de mettre à exécution le plan concocté par l’avocat conservateur John Eastman.

Ce même Eastman a même admis devant Trump que son stratagème était illégal, selon un témoignage.

Qui plus est, Mike Pence a refusé à plusieurs reprises d’y participer lors de conversations avec Donald Trump.

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Greg Jacob, ex-conseiller juridique de Mike Pence

« Il n’y a pas d’idée plus antiaméricaine que l’idée qu’une personne puisse [à elle seule] choisir le président américain », a déclaré Greg Jacob, ex-conseiller juridique de Mike Pence, qui a témoigné en personne devant la Commission.

Donald Trump aura néanmoins fait pression sur Mike Pence une dernière fois, le matin du 6 janvier 2021, lors d’une conversation téléphonique qui est devenue « très animée », selon le témoignage d’Ivanka Trump.

Voyant qu’il ne parvenait pas à convaincre son vice-président de changer d’avis, le président l’a dénigré en utilisant « le mot commençant par un p » (pussy), selon un autre témoignage.

Après ce coup de téléphone, Donald Trump a inclus plusieurs allusions spontanées à son vice-président lors de son discours devant ses partisans rassemblés devant la Maison-Blanche.

« Mike Pence, j’espère que tu vas te tenir debout pour le bien de notre Constitution et pour le bien de notre pays, et si tu ne le fais pas, je serai très déçu de toi », a-t-il notamment déclaré avant d’encourager ses partisans à « marcher » vers le Capitole.

Menace qui plane

Si l’ancien vice-président avait déclaré Donald Trump vainqueur ce jour-là, cela « aurait plongé l’Amérique dans ce qui, à mon avis, aurait été l’équivalent d’une révolution au sein d’une crise constitutionnelle », a déclaré l’ancien juge fédéral Michael Luttig, qui a également témoigné en personne.

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L’ancien juge fédéral Michael Luttig

Vers la fin de l’audition, la Commission a révélé que John Eastman avait contacté par courriel Rudolph Giuliani, alors avocat personnel de Donald Trump, pour lui demander d’ajouter son nom à la liste des candidats à une grâce présidentielle.

C’est donc dire qu’il craignait d’être inculpé pour son rôle dans la campagne de pression dont Mike Pence a fait l’objet. Donald Trump devrait normalement partager la même crainte.

Mais ce sont les Américains qui doivent aujourd’hui faire face à la plus grande menace, selon Michael Luttig. Figure conservatrice respectée, le juriste a soutenu que Donald Trump et ses alliés, dont les Proud Boys, continuaient de représenter un « danger clair et présent » pour la démocratie américaine, car ils disent selon lui avoir l’intention d’invalider les résultats de l’élection de 2024 si l’ex-président – ou tout autre républicain qu’il soutient – perd.

« Je ne prononce pas ces mots à la légère », a ajouté Luttig. « Je n’aurais jamais prononcé ces mots de ma vie, sauf que c’est ce que l’ancien président et ses alliés nous disent. »