(Los Angeles) Le passage à tabac d’un automobiliste noir, Rodney King, par quatre policiers blancs et l’acquittement de ces derniers furent à l’origine des émeutes de 1992 à Los Angeles, mais ces violences meurtrières avaient aussi révélé les tensions qui couvaient depuis longtemps entre les différentes minorités ethniques de la mégalopole.

À l’époque, les migrants d’origine coréenne et leurs nombreux commerces avaient été la principale cible des émeutiers, issus pour beaucoup des quartiers noirs défavorisés du sud de Los Angeles.

Alors que la pandémie de COVID-19 s’est accompagnée d’une recrudescence d’actes de violence contre les personnes asiatiques, les représentants des communautés noires et coréennes de Los Angeles vont se réunir cette semaine pour commémorer les victimes de ces émeutes, plus de 60 morts (en grande majorité noirs et latinos) et environ 2000 blessés.

Ils profiteront aussi du 30e anniversaire de ce triste évènement pour réfléchir ensemble à la manière d’éviter que cela ne se reproduise.

« Il n’y a rien de romantique, rien de séduisant, rien de beau dans la commémoration ce qui s’est passé pendant ces six jours » de violences, souligne J. Edgar Boyd, pasteur de First AME, la plus ancienne église afro-américaine de la ville.

« Mais ce que nous avons convenu de faire, c’est de prendre cette laideur et les erreurs commises à l’époque et de les assumer comme étant bien réelles », dit-il à l’AFP.

Pillards

Los Angeles a beau s’enorgueillir d’être l’une des villes les plus cosmopolites qui soient, les diverses communautés ethniques et culturelles restent souvent cantonnées dans des îlots qui se côtoient sans jamais vraiment se mélanger alors qu’ils sont distants de seulement quelques kilomètres.  

En 1992, après l’acquittement des quatre policiers ayant roué de coups Rodney King, les violences urbaines avaient d’abord éclaté dans le quartier de South Los Angeles, à l’époque très majoritairement habité par des populations noires très pauvres et où de nombreuses épiceries et petits commerces appartenaient à des immigrés coréens.

Des bandes de pillards avaient rapidement porté leurs actes de vandalisme et incendies criminels plus au nord, dans le quartier de Koreatown. Là, ils s’étaient heurtés à des Coréens en armes, qui ouvraient le feu sur les émeutiers depuis le toit de leurs boutiques, des images qui avaient fait le tour du monde.

Le coût des destructions avait atteint environ un milliard de dollars, dont près de la moitié aux dépens d’Américains d’origine coréenne.

Pour Edward Chang, enseignant à l’Université de Californie à Riverside, il s’agissait des « premières émeutes multi-ethniques » aux États-Unis.

« Des pauvres combattent les pauvres »

En 1992, les tensions ethniques couvaient dans le quartier de South Los Angeles après la mort de deux clients noirs, tués par des boutiquiers d’origine coréenne dans les mois précédant les émeutes.

Ni le meurtrier de Lee Arthur Mitchell ni celui de Latasha Harlins, morte à 15 ans seulement, n’avaient passé un seul jour en prison. Le sentiment d’impunité s’était ajouté à un ressentiment alimenté par des différences économiques et culturelles très marquées entre les deux groupes.

« Il ne s’agissait pas nécessairement de s’en prendre délibérément aux commerces des Américains d’origine coréenne… Il y avait une volonté de réagir au déni de justice qui était perpétuellement imposé à la communauté noire », estime le pasteur Boyd.

De nombreux manifestants et émeutiers avaient toutefois l’impression, justifiée ou non, que les Coréens profitaient économiquement d’un quartier où ils ne résidaient pas et où ils n’avaient pas le souci de réinvestir leurs gains, poursuit-il.

D’après David Ryu, adolescent à l’époque des émeutes et devenu depuis lors le premier élu d’origine coréenne à siéger au conseil municipal, ces violences n’étaient pas tant l’expression d’un « conflit entre Coréens et Noirs » qu’« un problème lié à la pauvreté, où des pauvres combattent des pauvres. »

Les parents de David Ryu venaient de vendre leur magasin de jouets peu avant qu’il ne disparaisse en fumée durant les pillages.

« Comme (les émeutiers) ne pouvaient pas s’en prendre à l’Amérique blanche ou les puissants de l’époque, ils ont tourné leur colère contre ceux qu’ils avaient en face », c’est-à-dire les Américains d’origine coréenne, dit David Ryu.  

« Leur rêve américain »

Selon le Pr Chang, l’Amérique a tendance à voir les relations ethniques dans le pays à travers le prisme « Blancs contre Noirs » mais c’est un « biais » lié à la Côte est qui ne tient pas compte de la mosaïque culturelle complexe d’une ville comme Los Angeles.

En 1992, les policiers de la ville, en grande majorité blancs, « ont décidé de ne pas protéger une communauté comme ils auraient dû le faire, Koreatown a été abandonnée », tranche ce spécialiste des études ethniques.

« Les immigrés coréens n’ont pas eu d’autre choix que de défendre leurs boutiques. C’était leur gagne-pain, leur rêve américain », explique-t-il.

Vendredi à Los Angeles, les deux communautés se retrouveront pour célébrer les liens tissés ces trente dernières années, notamment lors d’une cérémonie religieuse dans une église de la First AME dont la construction a été financée par une banque coréenne.

« C’est une étape marquante. Ils l’ont fait alors qu’aucune banque, noire ou autre, ne le voulait », souligne le pasteur Boyd.