(Washington) Un torrent de publications sur les réseaux sociaux, des télévisions en boucle sur le sujet : l’homicide de la jeune voyageuse Gabby Petito aux États-Unis a suscité un intérêt immense, ainsi qu’une polémique sur l’attention disproportionnée accordée aux disparitions des femmes blanches.

L’annonce récente de la découverte du corps de la femme de 22 ans dans le Wyoming, et le classement mardi de sa mort comme homicide, ont été très largement relayés, dépassant les frontières américaines.

Avec son petit ami Brian Laundrie, Gabby Petito était partie vivre une aventure en fourgonnette aménagée dans les paysages grandioses de l’Ouest. Il en était revenu seul, dix jours avant que la famille de la jeune femme ne signale sa disparition, et reste aujourd’hui introuvable.  

Un mandat d’arrêt a été lancé jeudi par la police fédérale américaine contre le jeune homme de 23 ans, inculpé pour utilisation frauduleuse d’une carte de débit et qui reste pour l’heure introuvable.

L’histoire tragique de cette jeune Américaine blonde est aussi tristement banale dans un pays où des centaines de milliers de personnes disparaissent chaque année. Elle a pourtant cristallisé l’attention.

« Au début, je m’y suis intéressée simplement parce que c’était une histoire vraiment captivante, je me demandais “pourquoi est-il revenu ? Pourquoi n’est-elle pas revenue ? ” », explique Paris Campbell, 28 ans. Sous le pseudo « stopitparis », elle a publié une trentaine de vidéos sur le sujet pour ses 263 000 abonnés sur TikTok.

« C’est vraiment une situation à laquelle on s’identifie », dit-elle à l’AFP.

« Millions d’yeux à l’affût »

Sur les nombreux clichés de leur voyage partagés par le couple sur les réseaux sociaux, ils s’affichaient tout sourire, pieds nus dans un canyon ou arpentant les roches ocres de décors de westerns. Selon Paris Campbell, le décalage entre cette image « idéalisée » et la « tragédie » qui s’est produite a nourri l’intérêt.

Elle dit avoir gagné plus de 100 000 abonnés depuis qu’elle a commencé à évoquer l’affaire, la semaine dernière. Le hashtag #GabbyPetito cumulait plus de 900 millions de vues sur TikTok jeudi.

Paris Campbell consacre chaque jour plusieurs heures à la production de ses vidéos, et affirme que c’est un commentaire posté par un cousin de la jeune femme sur une de ses publications, l’encourageant à continuer, qui l’a motivée. « J’ai eu l’impression de faire ce qu’il fallait ».

De fait, au milieu d’un déluge de vidéos parfois fantaisistes, certains utilisateurs semblent avoir fait avancer l’enquête. Un couple a notamment signalé dans une vidéo YouTube avoir vu la fourgonnette de Gabby Petito et Brian Laundrie dans le parc national de Grand Teton.

Ces youtubeurs, selon les médias américains, ont été entendus par la police, et le corps de la victime a été retrouvé à proximité du lieu qu’ils avaient signalé.

« Les réseaux sociaux sont comme une alerte-enlèvement, mais en plus efficace », se félicite Michael Alcazar, inspecteur retraité de la police de New York et professeur au John Jay College of Criminal Justice.

« Vous avez des millions d’yeux à l’affût », ce qui accroît les chances que l’affaire soit résolue, dit-il.

Syndrome de la femme blanche disparue

Ce niveau de vigilance est rarement atteint quand un Afro-Américain ou un Amérindien disparaît.

Les disparitions de jeunes femmes blanches, surtout celles « relativement aisées » et qui « correspondent aux critères de beauté » sont davantage couvertes par les médias que celles de personnes issues des minorités ethniques, selon l’avocat et criminologue Zach Sommers, qui a mené des recherches sur le « syndrome de la femme blanche disparue ».

50 % des articles qu’il a étudiés concernaient une femme blanche, catégorie qui ne représente qu’environ 30 % des personnes portées disparues, selon ses estimations.

Gabby Petito, vue comme jeune et « fragile », correspond à l’idée de la « demoiselle en détresse » qui a « besoin d’être sauvée », une image « très présente dans la culture américaine », dit-il.

Selon Zach Sommers, d’autres facteurs expliquent l’attention portée à Gabby Petito, notamment l’abondance de contenus accessibles aux curieux via ses comptes sur les réseaux sociaux, et la vidéo d’une intervention policière datée d’août, sur laquelle on voit le couple se disputer.

Le rôle trouble joué par son petit ami a aussi donné « un suspect naturel » au public, avance-t-il.

Reste que la société américaine « associe davantage les personnes de couleur à la criminalité et ce n’est peut-être pas vu comme digne d’autant d’intérêt quand un individu noir disparaît », explique Zach Sommers.

« Parmi les personnes qui décident ce qui devient une information, il n’y a pas assez de diversité », avance par ailleurs Martin Reynolds, du Maynard Institute for Journalism Education, pour expliquer cette disparité.

Conscients de ce biais, Paris Campbell et d’autres relaient désormais des messages pour retrouver d’autres personnes disparues, comme la jeune Asiatique Lauren Cho ou l’Afro-Américain Jelani Day.

Hasard du calendrier - ou non - le corps de ce dernier a été identifié, ont annoncé jeudi après-midi les autorités de LaSalle, dans l’Illinois, mais les causes de sa mort restent pour l’instant inconnues.  

Que les internautes mettent en avant ces affaires moins connues, « c’est très bien », salue M. Reynolds. Mais la vraie responsabilité revient selon lui aux journalistes, qui « devraient s’assurer d’être équitables dans leur traitement ».