Le président américain Donald Trump, qui a suscité de vives critiques cette semaine en réclamant publiquement une peine plus clémente pour un ex-consultant politique controversé, se défend d’outrepasser ses pouvoirs.

Dans un message paru vendredi matin sur son compte Twitter, il a affirmé qu’il avait le « droit légal » de demander au procureur général, William Barr, d’intervenir conformément à ses directives dans une affaire criminelle en cours.

« Je l’ai [ce droit], mais j’ai décidé de ne pas l’utiliser jusqu’à maintenant », a précisé le chef d’État.

L’intervention se voulait une réponse à une action inusitée du procureur général lui-même, qui s’était plaint jeudi dans une entrevue à la chaîne ABC du fait que les commentaires publics du président sur certains dossiers judiciaires rendaient son travail « impossible ».

William Barr a affirmé que ces commentaires pouvaient donner l’impression qu’il n’était pas véritablement indépendant du président.

Il a assuré qu’il n’avait jamais reçu de directives de la part de Donald Trump relativement à des procédures criminelles et qu’il ne se laissait « intimider » par personne dans les dossiers dont il a la charge.

La peine de Roger Stone

La mise au point est survenue après que le département de la Justice eut décidé mardi de réviser à la baisse la peine requise par les procureurs pour un ex-consultant du président, Roger Stone, qui a été trouvé coupable d’avoir voulu entraver l’enquête sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016.

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Roger Stone, ex-consultant de Donald Trump

Alors que les procureurs au dossier réclamaient initialement une peine de prison de sept à neuf ans, une suggestion de trois à quatre ans a finalement été avancée.

La révision a été formalisée peu de temps après que le président Trump eut décrit en ligne la peine plus sévère comme une demande « horrible » et « injuste » et critiqué la neutralité des procureurs, qui se sont retirés du dossier après avoir vu leur demande initiale désavouée par leurs supérieurs.

William Barr a assuré à ABC que la révision, à laquelle il a participé, avait été décidée avant que le chef d’État n’intervienne à ce sujet et n’avait en conséquence rien à voir avec ses demandes, même si ses écrits pouvaient donner l’impression contraire.

Mercredi, le chef d’État avait ouvertement félicité le procureur général d’avoir « pris en charge une cause qui était hors de contrôle et qui n’aurait probablement jamais dû être autorisée », alimentant les soupçons d’ingérence.

Le camp démocrate avait réagi avec colère à la révision de la suggestion de peine, arguant qu’il s’agissait d’une décision « scandaleuse » de l’administration Trump qui « affecte l’État de droit ».

Mises en garde

L’entrevue subséquente de William Barr a suscité beaucoup de scepticisme de la part des élus démocrates, mais aussi des mises en garde de la part d’élus proches du président.

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William Barr et Donald Trump

Le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, a notamment prévenu Donald Trump qu’il « devrait peut-être écouter » si le procureur général affirme que les tweets du président l’empêchent de faire correctement son travail.

Richard Painter, professeur de droit de l’Université du Minnesota critique à l’endroit du président, estime que le ton de son tweet de vendredi matin suggère qu’il ne « comprend rien ou ne veut rien comprendre » à la séparation des pouvoirs prévue par la Constitution.

Le chef d’État a le pouvoir d’accorder le pardon à un individu condamné, mais pas celui d’intervenir pour influer sur une cause criminelle en cours, dit-il.

M. Painter estime que l’irritation affichée par William Barr face aux interventions du président paraît peu crédible puisque le procureur général est intervenu à plusieurs reprises pour favoriser les intérêts du chef d’État depuis sa nomination.

Il a notamment, dit-il, fait une lecture très partielle du rapport d’enquête sur l’ingérence russe et approuvé l’ouverture d’enquêtes ciblant des opposants du président.

« Son rôle est de protéger Donald Trump et d’abuser du département de la Justice pour y parvenir […]. Il ne veut pas que le président en fasse état publiquement en tweetant », accuse le juriste.

Russell Wheeler, constitutionnaliste rattaché à la Brookings Institution, note qu’il est bien établi qu’un président en exercice ne doit pas chercher à peser sur une cause criminelle.

« On ne veut pas que le pouvoir de poursuite du département de la Justice devienne une arme présidentielle », relève M. Wheeler, qui s’interroge sur les intentions de William Barr à la suite de sa sortie critique ciblant le président.

« Je pense qu’il aimerait se faire congédier. Sa réputation a été tellement entachée depuis qu’il a été nommé qu’il cherche peut-être une façon honorable de partir en conservant un semblant d’intégrité », dit-il.