Si Moscou a salué samedi la mémoire de George Herbert Walker Bush, voyant en l'ex-président américain un artisan du réchauffement des relations russo-américaines, son rôle dans la chute de l'URSS et la perte par la Russie de son statut de superpuissance qui avait suivi restent pour beaucoup des sujets de ressentiment.

Dans le monde occidental, beaucoup se souviennent avec émotion du sommet historique entre le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev et Georges H. W. Bush à Malte les 2 et 3 décembre 1989, au cours duquel ils annoncèrent la fin de la Guerre froide.

C'était quelques semaines après la chute du mur de Berlin, après plusieurs décennies de confrontation et de course à l'armement. À Malte, Georges Bush salua avec chaleur les réformes, la « perestroïka » engagée par Mikhaïl Gorbatchev.

Il fit « comprendre à Gorbatchev qu'ils avaient perdu la Guerre froide » et salua la réunification allemande, explique à l'AFP Stefan Bollinger, historien et politologue de l'université libre de Berlin, qui voit dans ce sommet un « tournant décisif dans l'Histoire », le lieu où « l'unité allemande a pu s'établir ».

En Allemagne, cet héritage laissé par Georges Bush Senior est loin d'être oublié, en témoigne de l'hommage rendu samedi par Angela Merkel. « Ce fut un coup de chance dans l'histoire allemande qu'il se tint à la tête des États-Unis d'Amérique lorsque la guerre froide s'enlisa et que la réunification de l'Allemagne devint possible », a-t-elle souligné.

Deux ans après le sommet de Malte, l'Union soviétique avait disparu et la nouvelle Fédération de Russie sombrait dans le chaos. Deux ans encore s'écoulaient avant que George H. W. Bush ne déclare que « nous sommes le seul superpouvoir qui reste », une phrase restée en travers de la gorge de beaucoup en Russie.

Samedi, le président russe Vladimir Poutine a salué en l'ancien président américain un « homme exceptionnel », mais évité d'évoquer la Guerre froide ou la chute de l'URSS, lui qui avait un jour qualifié cet évènement de « plus grande tragédie géopolitique » du XXe siècle.

« Georges Bush Senior a fait énormément pour renforcer la coopération russo-américaine sur les problèmes de sécurité internationale », a déclaré le président russe dans un télégramme.

Impardonnable

« Beaucoup de Russes ne peuvent pas lui pardonner la chute de l'Union soviétique », explique à l'AFP l'analyste politique Konstantin Kalatchev, rappelant que l'administration Bush avait promis aux dirigeants soviétiques que l'OTAN ne s'étendrait pas en Europe orientale après la disparition de l'URSS.

Or cette promesse brisée « est devenue la principale raison de la crise actuelle entre la Russie et l'Occident », estime Konstantin Kossatchev, le président de la commission des Affaires étrangères de la chambre haute du Parlement russe.

À l'époque, le nom de Georges H. W. Bush était associé au « pic de confiance » entre Moscou et Washington, rappelle M. Kossatchev sur sa page Facebook, se disant persuadé que « Bush était vraiment sincère dans son désir d'établir de bonnes relations avec l'URSS, puis avec la Russie ».

Mikhaïl Gorbatchev, lui-même très critiqué en Russie pour sa contribution à la disparition de l'URSS, a appelé samedi l'ancien président, mort à 94 ans, un « véritable partenaire ».

« Nous avons eu la chance de travailler ensemble à une époque d'énormes changements », a expliqué l'ancien dirigeant soviétique, cité par l'agence de presse russe Interfax.

« C'était une période dramatique qui faisait peser d'énormes responsabilités à tout le monde. Cela a débouché sur la fin de la Guerre froide et de la course aux armements », a-t-il ajouté, rendant hommage à la contribution de George H. W. Bush « à cette réalisation historique ».

Les deux dirigeants avaient signé en 1991 le traité Start I sur la réduction du nombre des armes stratégiques qui prévoyait une forte diminution du nombre des ogives nucléaires américaines et soviétiques, le premier accord du genre destiné à réduire les arsenaux nucléaires des deux pays.

« Loin de l'ère Bush »

Avant cela, l'opération « Tempête du désert » déclenchée en janvier 1991 par une coalition menée par Washington pour mettre fin à l'occupation du Koweït par l'Irak est toutefois considérée comme le début de la fin de la lune de miel entre Moscou et Washington.

Presque trois décennies plus tard, les motifs de mésentente entre Moscou et Washington se multiplient, de l'Ukraine au conflit syrien, et font craindre le retour d'une nouvelle Guerre froide.

La course aux armements semble sur le point de repartir alors que l'actuel président américain, Donald Trump, a annoncé que les États-Unis allaient se retirer d'un traité sur les armes nucléaires en accusant Moscou de le violer « depuis de nombreuses années ».

Les tensions ont atteint un nouveau sommet avec l'annulation de dernière minute, jeudi par Donald Trump, d'une rencontre avec Vladimir Poutine prévue au sommet du G20 à Buenos Aires.

« Il est facile de constater à quel point nous sommes loin aujourd'hui de "l'ère Bush" », constate, fataliste, Konstantin Kossatchev.