Le président américain Donald Trump a annoncé mercredi que les personnes transgenres ne pourront servir dans «aucune capacité» dans l'armée américaine, donnant une victoire à l'aile conservatrice du parti républicain sur un sujet ultra-sensible qui divise l'Amérique.

«Après consultation de mes généraux et des experts militaires, soyez avisés que le gouvernement des États-Unis n'acceptera pas ou ne permettra pas aux personnes transgenres de servir dans aucune capacité dans l'armée américaine», a tweeté le président.

>> Réagissez sur le blogue de Richard Hétu

Donald Trump met en avant «le fardeau des coûts médicaux énormes» et «les perturbations que des personnes transgenres dans l'armée entraîneraient» pour justifier sa décision.

L'argument du coût des soins médicaux nécessaires pour un changement de sexe des recrues est battu en brèche par une étude du centre de réflexion RAND. Elle l'estime entre 2,4 et 8,4 millions de dollars par an pour un budget total du Pentagone de plus de 500 milliards en 2016.

Cette décision intervient sous la pression des républicains chrétiens conservateurs qui veulent remettre en cause l'héritage de la précédente administration de Barack Obama en faveur des personnes transgenres, un sujet très polémique aux États-Unis, malgré le très petit nombre de personnes concernées.

Expulsions de l'armée ?

Le ministère de la Défense américain semble avoir été pris de court par cette annonce, alors que le ministre de la Défense Jim Mattis est en congés.

«Nous donnerons des instructions rapidement», a simplement commenté le porte-parole du Pentagone, le capitaine Jeff Davis, renvoyant toutes les questions vers la Maison-Blanche.

«Tous les Américains patriotes qualifiés pour servir dans notre armée doivent pouvoir le faire. Point final», a réagi l'ancien vice-président démocrate Joe Biden.

L'administration Obama avait décidé l'année dernière que l'armée devrait commencer à accueillir des recrues transgenres au 1er juillet 2017.

Jim Mattis, avait repoussé cette échéance de 6 mois afin «d'évaluer l'impact» de cette intégration sur les forces armées.

Selon le ministère de la Défense américain, il y aurait de 2500 à 7000 personnes transgenres sur les 1,3 million de militaires en activité. L'organisation de défense des droits Human Rights Campaign estime que le chiffre est plus proche des 15 000.

Il s'agit de militaires qui ont déclaré leur orientation après leur intégration dans l'armée, comme Chelsea Manning, l'informatrice de Wikileaks.

L'ancienne analyste du renseignement, emprisonnée pour des fuites de documents secret-défense et libérée en juin, est toujours légalement une soldate de l'U.S. Army.

«Donc, l'armée la plus grande, la plus forte, la plus chère de la planète se lamente pour quelques trans mais finance les F-35 ? Cela ressemble à de la lâcheté», a réagi Chelsea Manning sur Twitter, comparant le coût de l'intégration des transgenres à celui de l'avion de combat F-35, le programme d'armement le plus cher de l'histoire militaire américaine, avec un coût estimé à près de 400 milliards de dollars.

Le sénateur républicain John McCain a vivement critiqué le président Donald Trump pour avoir annoncé un stupéfiant renversement de politique de l'armée américaine sur Twitter.

«Tout Américain qui répond aux standards en vigueur sur le plan médical et de la préparation doit pouvoir continuer à servir», a-t-il tonné, alors que  l'impact de la décision surprise de Donald Trump sur les militaires transgenres en activité n'a pas été détaillé.

Jusqu'ici le département de la Défense avait adopté une position prudente sur ce dossier très sensible.

Ainsi, les militaires qui dévoilaient leur orientation alors qu'ils étaient déjà sous l'uniforme ne pouvaient pas être expulsés de l'armée.

Toilettes et vestiaires

En février, le gouvernement de Donald Trump avait déjà mis fin à un dispositif de protection des droits des transgenres dans le système public de l'éducation.

Les mesures supprimées, instaurées par la précédente administration, permettaient notamment aux écoliers et étudiants de se rendre dans les toilettes et les vestiaires du genre avec lequel ils s'identifient, et non pas celui qui est sur leur acte de naissance.

Le débat fait rage dans plusieurs États américains. Le Texas est ainsi sur le point d'adopter une législation obligeant les élèves transgenres à utiliser les toilettes correspondant à leur sexe de naissance.

Ce débat se poursuit également devant la justice, où la Cour suprême sera probablement appelée à se prononcer un jour.

L'ancien Navy Seal Kristin Beck, qui s'est déclarée transgenre après 20 ans dans l'unité d'élite des forces spéciales américaines a mis au défi Donald Trump de la rencontrer.

«Voyons-nous en tête-à-tête et dites-moi que je ne suis pas digne» (de servir dans l'armée), a déclaré Kristin Beck, décorée pour bravoure et blessure au combat, à Business Insider.

Une question devenue centrale aux États-Unis

Depuis une dizaine d'années, la société américaine s'est emparée de la question des personnes transgenres, une évolution marquée par le vote de lois de protection et une visibilité nouvelle, même si le sujet divise et suscite encore de fortes oppositions.

Quelque 1,4 million de personnes s'identifient comme transgenre aux États-Unis, soit 0,58% de la population américaine, selon une étude du Williams Institute, think tank de l'université d'UCLA, publiée en juin 2016.

Mercredi le président américain Donald Trump a annoncé que les personnes transgenres ne pouvaient plus s'engager dans l'armée. Il n'a pas précisé de ce qu'il adviendra des 2500 à 7000 qui servent déjà sous les drapeaux.

Où en est la loi ?

Il n'existe pas de loi fédérale protégeant explicitement les droits des citoyens dont l'identité sexuelle ne correspond pas à leur sexe de naissance.

Mais depuis le début des années 2000, plusieurs décisions ont progressivement fait évoluer la jurisprudence, ouvrant aux transgenres les dispositions de la loi fédérale de 1964 de protection des droits civiques.

En 2014, Barack Obama a pris un décret interdisant toute forme de discrimination liée à l'identité de genre dans l'administration et pour les prestataires de l'État fédéral.

Les États plus avancés que le gouvernement

Sur le plan local, le Minnesota a été dès 1993 le premier État à adopter une loi prohibant toute forme de discrimination sur la base de l'orientation sexuelle.

Mais il a fallu attendre le milieu des années 2000 pour qu'un mouvement se dessine, une dizaine d'États en faisant de même. Aujourd'hui 21 États ont modifié leur loi en ce sens.

Les réticences encore nombreuses

De fortes résistances demeurent, au niveau fédéral comme au niveau local, comme l'a montré la décision annoncée mercredi par Donald Trump. Avant cela, le président avait déjà annulé la circulaire fédérale de Barack Obama permettant aux élèves du public d'utiliser toilettes et vestiaires selon leur identité de genre.

Durant plus de vingt ans, un projet de loi anti-discrimination (Employment Non-Discrimination Act) a été présenté au Congrès à de nombreuses reprises, la dernière fois en 2014, mais n'a jamais pu emporter l'adhésion des deux chambres.

Au niveau des collectivités, sous l'influence des républicains ultra-conservateurs et de plusieurs mouvements religieux, réagissant à la légalisation du mariage homosexuel fin juin 2015, des États ont présenté des lois restreignant les libertés des personnes transgenres.

L'opinion a évolué

Mais, signe qu'une partie importante de l'opinion a radicalement évolué sur le sujet, ces initiatives ont rencontré de fortes oppositions. Preuve plus marquante encore du changement des mentalités, de nombreux grands groupes ont menacé de mesures de rétorsion les États qui adopteraient de telles dispositions.

En mars 2016, la Caroline du Nord est devenue le symbole de ce combat, après le vote d'un texte obligeant les personnes transgenres à utiliser les toilettes publiques correspondant à leur sexe de naissance.

Après un an de bataille, les parlementaires de l'État sont finalement revenus en arrière, en mars dernier.

Hollywood s'éveille aux transgenres

Longtemps ignorés ou caricaturés, les personnes transgenres ont également gagné une visibilité nouvelle dans les médias, à l'instar de l'événement majeur qu'a constitué, en 2015, le changement d'identité sexuelle de l'ancien décathlète Bruce Jenner, devenu Caitlyn Jenner.

Les portes de la télévision ou du cinéma se sont également ouvertes, du film «Boys Don't Cry» en 1999 (primé aux Oscars) jusqu'à la série «Transparent», produite par la plateforme Amazon, qui a déjà remporté huit Emmy Awards, les récompenses de la télévision américaine.