Exécuter un détenu, le «tuer», c'est une expérience «qui ne vous quitte jamais», confie Ron McAndrew. Cet ancien directeur d'une prison de Floride en sait quelque chose, lui qui commençait à en souffrir quand il a quitté son poste en 1998, après huit exécutions.

Il combat désormais la peine de mort et il s'inquiétait particulièrement pour la santé mentale des bourreaux qui devaient exécuter sept prisonniers dans l'Arkansas du 17 au 27 avril. Un rythme inédit pour un État américain depuis que la Cour suprême a rétabli la peine de mort en 1976.

Rebondissement samedi matin: une juge fédérale américaine a suspendu ces mises à mort, mais l'État du sud devrait rapidement faire appel.

C'est pour devancer la date de péremption, à la fin du mois, d'une substance utilisée dans les injections létales que le gouverneur républicain Asa Hutchinson a accéléré le calendrier des exécutions.

«Nous voulons que le gouverneur comprenne que pendant que lui sera assis bien confortablement dans son bureau, ces hommes participeront à l'assassinat d'un autre être humain», expliquait Ron McAndrew à l'AFP, avant le répit de samedi. Il refuse de prononcer le mot «exécution» qui, pour lui, n'est qu'un euphémisme.

«Ces agents pénitentiaires apprennent à connaître les détenus», a-t-il relevé. «Ils travaillent 24 heures par jour avec ces détenus, ils leur apportent à manger, les emmènent se laver, faire du sport, ils discutent avec eux, devant leur cellule, quand ils se sentent seuls. Et tout à coup, ce sont les mêmes qui doivent emmener les prisonniers dans une autre pièce pour les tuer.»

«Dommages collatéraux»

«C'est une expérience qui ne vous quitte pas avant longtemps, je crois même que ça ne vous quitte jamais», a-t-il répété.

Ron McAndrew a participé à la mise à mort de huit condamnés, trois en Floride et cinq au Texas. Les exécutions sont menées par un petit groupe d'environ cinq personnes, et «on ne peut pas changer l'équipe», explique-t-il.

«Les gardiens qui se chargent des exécutions ont répété plusieurs centaines de fois», souligne l'ex-fonctionnaire, âgé de 78 ans. «Un agent volontaire joue le rôle du détenu. Ils vont le chercher dans sa cellule, le mettent sur la table d'exécution et lui mettent l'intraveineuse...»

Les autorités ont refusé d'indiquer si les mêmes bourreaux devaient s'occuper de cette série d'exécutions, désireux de ne pas révéler leurs identités.

«Je vous assure qu'ils sont bien formés et qualifiés pour mettre en pratique leurs responsabilités respectives», a simplement indiqué à l'AFP le porte-parole de l'administration pénitentiaire de l'Arkansas, Solomon Graves.

Pour les militants contre la peine de mort, toutes les personnes impliquées dans le processus finissent par souffrir.

«Nous nous préoccupons du bien-être des détenus, nous nous inquiétons pour les proches des victimes, et pour les employés de la prison qui sont chargés de faire ça», confiait Abraham Bonowitz, directeur d'une organisation basée à New York qui lutte en faveur de l'abolition de la peine capitale, «Death Penalty Action»

«Les dommages collatéraux vont bien au-delà du prisonnier et de la victime», soulignait-il.

43 minutes de convulsions

Même s'ils sont formés, les agents de l'Arkansas n'ont pu observer de «cas pratique» depuis 2005, date de la dernière exécution dans cet État.

«Ce calendrier serré va faire peser un poids extraordinaire sur les hommes et femmes qui sont chargés par l'État de réaliser un acte aussi solennel», affirmait récemment Allen Ault, ancien responsable des services pénitentiaires de l'État de Géorgie, qui a dirigé l'exécution de cinq prisonniers.

«Cela risque de les poursuivre pour le restant de leurs jours», écrivait-il dans une tribune publiée par le magazine Time le 28 mars.

Ce même jour, un groupe d'anciens responsables pénitentiaires de tous les États-Unis avait envoyé une lettre à M. Hutchinson, lui demandant de ne pas faire peser ce poids sur la conscience des agents pénitenciers.

«Même dans des circonstances moins difficiles, mener une exécution peut avoir de graves conséquences pour la santé des gardiens», soulignaient les signataires, parmi lesquels figuraient Ron McAndrew et Allen Ault.

Personne n'a oublié aux États-Unis les récits poignants de récentes exécutions «ratées», comme celle de Clayton Lockett, qui avait succombé en 2014 dans l'Oklahoma après 43 minutes de râles et convulsions.