Son gouvernement entend faire en sorte que le programme de lutte contre les idéologies violentes ne cible que l'extrémisme islamiste.

« Les États-Unis sont devenus un dépotoir pour les problèmes de tout le monde », avait déclaré le futur président des États-Unis dans l'atrium de la Trump Tower en dénonçant l'immigration en provenance non seulement du Mexique, mais également du Moyen-Orient.

« Dès lors, j'ai approfondi mes recherches et découvert [...] que les mêmes choses se produisaient en France et en Angleterre, et dans tous les pays de l'Europe de l'Ouest », avait écrit Roof dans son manifeste en faisant référence à des crimes commis par des groupes issus de l'immigration aux dépens de Blancs. « Les Hispaniques sont évidemment un énorme problème pour les Américains », ajoutait-il plus loin.

UN SILENCE ÉLOQUENT

Plus de 19 mois se sont écoulés depuis que Roof a tué neuf membres d'une église afro-américaine de Charleston, en Caroline du Sud. Prolifique sur Twitter, Donald Trump n'a jamais publié un seul gazouillis sur ce crime haineux qui a secoué les États-Unis et conduit récemment un jury à condamner le suprémaciste blanc à la peine capitale.

Donald Trump ne connaissait pas Alexandre Bissonnette. En signant son décret anti-immigration musulmane, le 27 janvier, il ne se doutait pas que l'auteur présumé de l'attentat de Québec serait ce jeune Québécois ayant, dit-on, manifesté un intérêt pour sa campagne et une hostilité envers les musulmans.

Toujours prompt à s'indigner des attaques commises par des musulmans aux États-Unis ou en Europe, le président a également observé un silence remarqué sur Twitter à propos de cette tuerie qui a retenu l'attention des grands médias américains.

De toute évidence, il y a des crimes que Donald Trump ne semble pas pouvoir ou vouloir voir. Et il y a lieu de penser que son administration sera frappée de la même cécité. La semaine dernière, l'agence Reuters a révélé que le ministère de la Sécurité intérieure entendait réorganiser et renommer un programme de lutte contre les idéologies violentes, « de manière à cibler exclusivement l'extrémisme islamiste ».

Seraient désormais exclus de cette initiative de « lutte contre l'extrémisme » des militants suprémacistes blancs et d'autres groupes d'extrême droite, responsables comme le groupe État islamique (EI) d'attentats aux États-Unis.

LA RÉALITÉ TRONQUÉE

Un tel changement consterne Heidi Beirich, directrice du programme de recherche au Southern Poverty Law Center, qui traque les activités de groupes extrémistes aux États-Unis. La spécialiste craint que la nouvelle initiative de « lutte contre l'extrémisme islamique » stigmatise les musulmans, fragilise leurs liens avec les forces de l'ordre et contribue à la propagande de l'EI et d'Al-Qaïda.

Sans compter que cette approche traduit, selon elle, une vision tronquée de la réalité.

« La menace des terroristes qui se réclament faussement de l'islam n'est pas la seule à laquelle nous faisons face, affirme Beirich. Au cours des dernières années, nous avons vu une série d'attaques meurtrières d'extrémistes locaux inspirés par des idéologies suprémaciste ou antigouvernentale. »

« Mais il semble que le président Trump veut maintenant que le gouvernement cesse ses efforts pour prévenir le terrorisme des militants d'extrême droite. » - Heidi Beirich, directrice du programme de recherche au Southern Poverty Law Center

« C'est dangereux et inacceptable, ajoute-t-elle. L'attaque de dimanche dernier à la mosquée de Québec devrait nous rappeler, une fois de plus, que notre gouvernement ne doit pas baisser sa garde contre la menace représentée par les extrémistes non islamistes endoctrinés par l'idéologie de la haine. »

Les données du groupe de recherche New America lui donnent raison. Après les attentats du 11-Septembre, les militants violents d'extrême droite ont tué plus de personnes sur le sol américain que les djihadistes, et ce, jusqu'à l'attentat d'Orlando, qui a fait 49 morts en juin dernier.

Mais Donald Trump et les membres de son entourage, dont son principal conseiller, Steve Bannon, semblent être obnubilés par le péril islamiste. Lors de sa période hollywoodienne, Bannon a d'ailleurs pondu le synopsis d'un documentaire explorant la menace représentée par les musulmans et leurs « facilitateurs parmi nous », dont le New York Times, les universités, la communauté juive, le FBI, le département d'État et la CIA.

« La route vers l'établissement d'une République islamique aux États-Unis commence doucement et subtilement avec la perte de la volonté de gagner », écrivait Bannon en 2007 dans le synopsis, selon le Washington Post.

Le documentaire, qui devait s'intituler Destroying the Great Satan, n'a jamais vu le jour. Et Bannon, après avoir orienté le site Breitbart vers l'extrême droite, est devenu à la Maison-Blanche l'un des principaux architectes de la politique de Trump en matière d'immigration. Il a peut-être aussi joué un rôle dans le tournant envisagé par le ministère de la Sécurité intérieure en matière de lutte contre l'extrémisme.

Tournant qui réjouit plusieurs tenants de l'extrême droite, dont Andrew Anglin, fondateur et rédacteur en chef du site néo-nazi The Daily Stormer. « Donald Trump est en train de nous libérer », a-t-il écrit la semaine dernière.

Anglin exagère sans doute. Mais lui et ses semblables semblent bel et bien se trouver dans l'angle mort de Trump.