Ce n'est certes pas par simple calcul politique que Joe Biden a décidé de villégiaturer en Caroline-du-Sud la semaine dernière. Depuis plusieurs années, le vice-président américain passe ses vacances estivales dans l'île Kiawah, un des joyaux naturels de cet État de la côte Est. Après la mort de son fils Beau, emporté fin mai par une tumeur au cerveau, il ne pouvait guère se retrouver dans un cadre plus agréable et familier pour continuer son travail de deuil.

Mais Joe Biden n'aurait également pas pu choisir un meilleur État pour jeter les bases d'une candidature à la présidence. Après l'Iowa et le New Hampshire, la Caroline-du-Sud tiendra le troisième scrutin des primaires démocrates pour la Maison-Blanche.

Et le vice-président y compte plusieurs alliés qui l'ont encouragé la semaine dernière à se lancer dans la course en lui faisant miroiter ses chances de victoire dans leur État. L'un d'entre eux a même prédit publiquement une défection des appuis d'Hillary Clinton en Caroline-du-Sud si l'ancien sénateur du Delaware décide de briguer la présidence.

«J'ai toujours aimé Bill [Clinton]», a déclaré cet allié, Dick Harpootlian, ancien président du Parti démocrate de Caroline-du-Sud, au magazine The Atlantic. «J'aime encore Bill. Il a le talent, il sait s'en servir. Je ne pense pas que ce soit le cas pour [Hillary]», a enchaîné cet influent démocrate qui a récemment donné 10 000$ à un nouveau comité d'action politique appelé Draft Biden.

Une troisième campagne?

Mais pourquoi Joe Biden cèderait-il à la tentation d'une troisième campagne présidentielle à 72 ans (il fêtera son 73e anniversaire en novembre)?

La chroniqueuse vedette du New York Times, Maureen Dowd, a déjà fourni une partie de la réponse en révélant que Beau Biden, au seuil de la mort, avait tenté d'arracher à son père la promesse qu'il se lancerait dans la course à la présidence. Selon les médias américains, le vice-président se donne jusqu'à la fin de l'été pour prendre une décision à ce sujet. D'ici là, il cherche notamment à déterminer la faisabilité d'une campagne à ce stade tardif.

Les obstacles à une telle campagne ne manquent pas. Outre le retard de Joe Biden sur les candidats déjà en lice sur le plan de l'organisation et des finances, son expérience passée en tant que candidat présidentiel est désastreuse. Il a dû abandonner sa première campagne à la Maison-Blanche, en 1988, après avoir été accusé de plagiat (il avait emprunté sans le dire un discours de Neil Kinnock, alors chef du Parti travailliste britannique). Vingt ans plus tard, il s'est retiré de sa deuxième course à la présidence après avoir récolté un maigre 1% des voix démocrates lors des caucus d'Iowa remportés par Barack Obama.

Rebondissements

Mais les plus récents rebondissements de la course à la présidence sont sans doute de nature à encourager Joe Biden. En dépit des avantages financiers et organisationnels dont elle jouit, Hillary Clinton suscite encore chez les démocrates une certaine nervosité, attribuable en partie à la controverse autour de son utilisation d'un compte courriel personnel en tant que secrétaire d'État. Selon les sondages, une majorité d'Américains estime que la candidate n'est pas honnête ou digne de confiance.

Elle a en outre du mal à soulever l'enthousiasme, contrairement au sénateur indépendant du Vermont, Bernie Sanders, qui l'a devancée pour la première fois la semaine dernière dans un sondage mené auprès des démocrates du New Hampshire.

Joe Biden doit sans doute se dire que les électeurs sont, plus que jamais, à la recherche de candidats authentiques dont toutes les paroles et positions n'ont pas été testées au préalable devant des groupes témoins. En assistant à la montée de Donald Trump chez les républicains, il peut même croire que les démocrates lui pardonneraient les gaffes verbales qu'il ne manquerait pas de commettre.

Mais une candidature de Joe Biden ne plairait pas outre mesure à son patron actuel, qui pourrait être forcé à se prononcer sur les déclarations contradictoires de son vice-président et de son ancienne secrétaire d'État. On soupçonne par ailleurs le président Barack Obama de ne pas croire aux chances de son bras droit, et ce, en dépit de toute l'affection qu'il lui porte.

Quant à Hillary Clinton, elle a exprimé récemment le plus grand respect pour Joe Biden et son droit de se lancer dans la course. «Nous devrions laisser le vice-président et sa famille faire le choix qui leur semble le plus approprié pour eux», a-t-elle déclaré aux journalistes qui la pressaient de questions à ce sujet.

Elle est cependant bien placée pour savoir que l'attrait de la présidence est grand, voire irrésistible.