Les médecins affectés aux prisons militaires américaines ont-ils violé le serment d'Hippocrate? C'est la conclusion à laquelle en arrive un rapport indépendant qui réclame une enquête de la Commission du renseignement du Sénat des États-Unis. Ses auteurs mettent notamment en lumière la complicité du personnel médical dans le gavage forcé des prisonniers étrangers à la prison de Guantánamo.

Éthique

Une vingtaine d'experts, en majorité des médecins, ont contribué au rapport intitulé L'éthique abandonnée: professionnalisme médical et abus sur les détenus dans la guerre contre le terrorisme. «Le ministère de la Défense et la CIA ont exigé de façon abusive, des membres de leur personnel médical, qu'ils collaborent à des opérations d'extorsion d'informations et de sécurité de telle manière qu'ils ont infligé des souffrances graves aux détenus», souligne le rapport. «Au nom de la sécurité nationale, les militaires ont détourné le serment d'Hippocrate et les médecins ont été transformés en agents du renseignement», écrit le Dr Gerald Thomson, professeur de médecine à l'Université Columbia.

Gavage

L'étude menée pendant deux ans cite notamment les cas de gavage forcé à la prison militaire de Guantánamo. «En tant que médecin qui s'est rendu à Guantánamo, où j'ai pu examiner certains détenus, je suis consterné d'avoir pu constater que les soins médicaux sont dictés par des prérogatives militaires. Il est plus que temps que le gouvernement mette fin à la pratique inhumaine et dégradante du gavage forcé», affirme Vincent Iacopino, qui est également l'un des fondateurs de l'organisation américaine Médecins pour les droits humains. La CIA assure de son côté que le rapport de 269 pages contient des «inexactitudes graves et des conclusions erronées».

PHOTO JOE SKIPPER, ARCHIVES REUTERS

Un officier médical de la prison militaire de Guantánamo ayant requis l'anonymat exhibe un tube servant au gavage des détenus en grève de la faim. 

Grève

En février dernier, une fouille menée dans la prison de Guantánamo aboutit à une grève de la faim, des détenus jugeant «blasphématoire» la façon dont des exemplaires du Coran ont été manipulés. Rapidement, le mouvement prend de l'ampleur, à tel point que plus d'une centaine de détenus refusent de s'alimenter pour protester contre leur détention sans qu'aucune accusation soit portée contre eux. L'affaire a fait grand bruit, relançant les pressions sur le président Barack Obama afin de fermer la prison cubaine. Une promesse que le président américain n'a toujours pas concrétisée.

Uniforme

En avril dernier, une quarantaine de personnes se sont ajoutées à l'équipe médicale de la prison de Guantánamo. Près de la moitié des prisonniers qui faisaient la grève de la faim ont été nourris de force grâce à un tube passant par le nez jusqu'à l'estomac. Dans leur rapport, les experts indépendants signalent qu'on a alors exigé des médecins et infirmières de faire fi de leur indépendance médicale, ce qui est proscrit par l'Association médicale américaine. «Le fait de porter un uniforme ne devrait pas faire en sorte qu'un médecin ne place plus l'intérêt de son patient à l'avant-plan», précise David Rothman, président de l'Institut américain de médecine. Selon le Pentagone, qui tend à minimiser les chiffres dans ce domaine, il ne resterait plus qu'une dizaine de prisonniers toujours en grève de la faim.

PHOTO ARCHIVES AP

Un détenu du camp Delta à Guantánamo, en décembre 2006.