Elle s’appelle Fatima Yousoufi. Elle a 21 ans et a remporté cinq trophées pour ses prouesses comme gardienne au sein de l’équipe nationale féminine de soccer d’Afghanistan, dont elle est aussi la capitaine. Son rêve ? Gagner pour son pays. Gagner au nom de ses 20 millions de concitoyennes prises en otages par les talibans. Ou, au moins, essayer.

Mais pour ça, il faudrait la laisser jouer !

Malheureusement, l’organisation qui détient la clé pour lui ouvrir les portes de la compétition internationale, la FIFA, a décidé de garder Mme Yousoufi et son équipe sur les lignes de côté. Et toute l’ironie de l’affaire est en train d’éclater au grand jour depuis le début de la Coupe du monde féminine de soccer qui se tient en Australie et en Nouvelle-Zélande.

PHOTO HEIDI WENTWORTH-PING, FOURNIE PAR LE HAUT-COMMISSARIAT POUR LES RÉFUGIÉS DES NATIONS UNIES

Fatima Yousoufi (au centre) reçoit de l’aide de ses coéquipières avant une partie disputée en banlieue de Melbourne

Voyez-vous, Fatima Yousoufi et 37 de ses coéquipières sont justement réfugiées en Australie depuis que les rigoristes islamistes ont repris le pouvoir à Kaboul en août 2021. Elles ont été adoptées par l’équipe de Melbourne, les Victory. Grâce à ce magnifique partenariat, les athlètes en exil se gardent en forme en jouant dans la ligue de l’État de Victoria, dans le sud du pays. On leur a même permis de garder les couleurs de l’équipe nationale afghane, le rouge et le blanc.

Tout ça est un miracle ! Au péril de leur vie, les joueuses ont dû fuir l’Afghanistan dans les heures qui ont suivi la chute de Kaboul.

Fatima Yousoufi a enterré ses jerseys et ses trophées dans la cour de la maison familiale avant de prendre le chemin de l’aéroport avec son frère, ses sœurs et ses parents. Elle ne peut toujours pas oublier le chaos qui régnait à l’aéroport alors que des dizaines de milliers de personnes tentaient d’atteindre les avions qui quittaient le pays. Les coups de fusil. La panique.

Dans ce terrible brouhaha, elle a été séparée de ses parents et de sa sœur cadette, restés derrière. Elle n’a même pas pu leur dire au revoir, a-t-elle raconté récemment au Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies, qui lui a consacré un profil sur son site web.

Heureusement, ses proches ont trouvé leur chemin jusqu’au Pakistan. La seule présence d’une joueuse de soccer dans leur famille les mettait en danger. Ajoutez à cela qu’ils appartiennent à la minorité hazara, cible de choix de la violence des talibans.

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Fatima Yousufi et sa sœur dans leur demeure de Melbourne

En Australie, Fatima Yousoufi a repris pied. Quand elle n’est pas sur un terrain de soccer, elle travaille comme assistante en technologie de l’information dans une université.

Pour comprendre l’ampleur du miracle, donc, multipliez l’histoire de la gardienne de but par 38.

Derrière ces évacuations et transplantations réussies, il y a eu beaucoup de monde, de pays d’impliqués, mais il y a un nom qui se détache du lot : Khalida Popal. Tout juste âgée de 36 ans, elle est la mère de l’équipe féminine de soccer afghane, créée en 2007. Sa première capitaine.

Elle est aussi l’une des principales défenderesses du sport pour les filles dans son pays d’origine. Et elle l’a payé cher parce que même dans l’Afghanistan « démocratique », soutenu par les États-Unis et leurs alliés de 2001 à 2021, il n’allait pas de soi que des femmes jouent au soccer. Menacée, la pionnière a dû s’exiler au Danemark en 2011, mais n’a jamais lâché les « lionnes », le surnom des membres de l’équipe.

Depuis le retour des talibans, depuis que le sport au féminin est complètement à l’index, tout comme l’éducation des femmes et des filles, la plupart de leurs emplois, leur présence dans les parcs et leurs salons de coiffure, Khalida Popal estime que l’équipe en exil devrait continuer à représenter l’Afghanistan. Officiellement.

En janvier dernier, elle a signé une lettre ouverte avec Malala Yousafzai, lauréate du prix Nobel de la paix, demandant à la FIFA de donner de l’espoir aux joueuses, mais aussi aux femmes d’Afghanistan, en accédant à sa demande.

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Arborant les couleurs de leur équipe nationale, les joueuses afghanes se gardent en forme en jouant dans la ligue de l’État de Victoria, dans le sud de l’Australie.

Elle a eu droit à une réponse plate. « La sélection des joueuses et des équipes représentant une association membre est considérée comme une affaire interne de l’association membre », ont écrit les responsables de la FIFA aux journalistes qui les ont interpellés sur la question. En gros, le ballon est dans les mains des talibans.

Cette réponse est aussi étrange que lâche. La même FIFA a banni l’équipe de soccer sud-africaine pendant 16 ans à cause du régime d’apartheid. À cause des politiques discriminatoires à l’égard des populations noires et dites « colorées ». À cause de l’exclusion d’une grande partie de la population.

En quoi la pratique des talibans aujourd’hui diffère-t-elle de celle du Parti national sud-africain ? Les victimes des règles discriminatoires du régime islamiste sont toutes les femmes du pays, soit 50 % de la population. Et aucune athlète n’est épargnée.

Malgré cela, l’équipe nationale masculine de soccer afghane continue de jouer dans les matchs internationaux avec la bénédiction de la FIFA. C’est tout simplement scandaleux.

La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas trop tard pour bien faire. La Coupe du monde féminine de soccer est l’occasion rêvée de dire à la FIFA de laisser jouer Fatima Yousoufi et ses lionnes dans les grandes compétitions internationales ou bien de couper toute l’herbe sous les pieds de l’équipe masculine afghane. De les renvoyer au vestiaire.

Ne pas choisir une de ces options équivaut à donner une bonne tape dans le dos aux talibans et à tous les régimes obscurantistes qui refusent de laisser leurs femmes monter au but pour marquer des points.