Démographie, croissance, géostratégie. Le rayonnement mondial de l’Inde se confirmera plus que jamais en 2023. Voici pourquoi…

Le pays le plus peuplé

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Pour la première fois en 2000 ans, ce ne seront plus les Chinois qui seront les plus nombreux sur Terre, mais bien les Indiens.

La Chine ne sera bientôt plus le pays le plus populeux de la planète. Si les prédictions de l’ONU s’avèrent justes, l’Inde devrait lui ravir cette première place au début de juillet en atteignant le chiffre de 1,428 milliard d’habitants. Cette tendance devrait se maintenir jusqu’à la fin du siècle, les projections démographiques annonçant 1,7 milliard d’habitants en Inde en 2060 et 1,5 milliard en 2100, soit deux fois plus que la Chine, dont la population décline graduellement.

« C’est un phénomène extraordinaire, parce que depuis 2000 ans, la Chine a toujours été numéro un pour ce qui est de la population », résume Serge Granger, professeur de sciences politiques et spécialiste des relations sino-indiennes à l’Université de Sherbrooke.

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Le premier ministre indien, Narendra Modi

Cet exploit n’a pas de valeur en soi, souligne l’expert. Mais il a valeur de symbole pour le pouvoir indien et devrait conforter la politique du premier ministre Narendra Modi avant les élections générales de 2024.

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Arrivés au terminus, les passagers descendent d’un train de banlieue et quittent la gare, à Bombay, le 4 novembre denier.

« Ça va renforcer l’idée qu’il faut tenir tête à la Chine [politiquement, économiquement]. Il faut donc s’attendre à une rhétorique qui va favoriser le gouvernement en place. Ça va rajouter un élément au nationalisme de Modi », résume M. Granger, en évoquant entre autres le conflit frontalier sino-indien dans l’Himalaya.

La cinquième économie mondiale

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Des travailleurs coupent du tissu pour en faire des t-shirts, dans une manufacture d’Hindupur, ville de l’Andhra Pradesh, en février dernier.

Selon les données du Fonds monétaire international (FMI), l’Inde a connu en 2022 un taux de croissance de 7,5 %, presque deux fois plus élevé que celui de la Chine, à 4,4 %.

Le pays s’est aussi imposé comme la cinquième puissance économique mondiale, dépassant son ancien colonisateur, le Royaume-Uni. Un autre symbole fort.

Selon les prédictions du FMI, elle pourrait rattraper l’Allemagne dès 2027 et le Japon en 2028, ce qui la placerait éventuellement en troisième position derrière les États-Unis et la Chine.

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Des travailleurs de la construction à l’œuvre à Bombay (Mumbai), le 30 décembre dernier.

Plusieurs facteurs contribuent à ce dynamisme : mesures de relance, renforcement des infrastructures, politique de production locale baptisée « Make in India ». Sans oublier que la population indienne est spectaculairement jeune. En tout, 72 % de la population a moins de 30 ans et on estime qu’en 2050, seulement 15 % des Indiens auront plus de 65 ans (contre 30 % des Chinois). L’Inde est donc en voie de devenir le plus grand réservoir mondial de main-d’œuvre et un nombre grandissant d’entreprises étrangères voudra profiter de ces salaires à bon marché, de ces employés de mieux en mieux formés, éduqués et globalement connectés.

« Structurellement, le taux de croissance de l’Inde va demeurer supérieur pour encore un bon bout de temps, résume Serge Granger. C’est une tendance de fond. »

Un allié « non aligné »

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Le président Joe Biden s’est entretenu avec le premier ministre Modi, dans le cadre du sommet du G20 à Bali, en Indonésie, le 15 novembre dernier.

L’Inde s’impose plus que jamais comme un contrepoids dans les luttes de pouvoir entre les États-Unis, la Chine et la Russie.

Géostratégiquement, la coopération sécuritaire entre l’Inde et les États-Unis s’est intensifiée. Économiquement aussi. « Alors que le friend-shoring [redéfinition des chaînes d’approvisionnement mondiales où les pays alignés ne dépendraient plus des régimes autoritaires] se développe, les États-Unis voient l’Inde comme une solution de rechange à la Chine sur le continent asiatique », précise Carla Norrlöf, experte des hégémonies politiques et économiques à l’Université de Toronto. C’est ainsi qu’Apple produira son iPhone 14 en Inde, pour ne plus dépendre de la Chine.

L’Inde reste malgré tout fidèle à sa politique de non-alignement. Bien que partageant les intérêts américains face à la domination chinoise, elle n’a pas rejoint le concert de sanctions internationales contre la Russie et a même accru ses échanges commerciaux avec le Kremlin, qui est devenu son principal fournisseur de pétrole. Elle plaide en outre pour une plus grande diversification des structures de paiement internationales, qui dépendent toujours essentiellement des devises occidentales.

« En termes de politique étrangère, le choix de l’Inde est de résister à la nouvelle tendance qui est d’aligner les politiques économiques avec les intérêts sécuritaires », résume Mme Norrlöf.

Un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU ?

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Pour les deux prochaines années, l’Inde siégera au Conseil de sécurité de l’ONU en tant que membre non permanent.

L’Inde a pris en décembre la présidence tournante du G20. Au cours de son mandat d’un an, le pays organisera plus de 200 réunions dans une cinquantaine de villes, jusqu’à un sommet majeur qui se tiendra à New Delhi, en septembre prochain. Elle entame aussi un mandat de deux ans en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

En profitera-t-elle pour revendiquer un siège permanent aux côtés de la Chine, de la Russie, des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni ? C’est la prédiction de certains observateurs, mais pas de Romuald Sciora, auteur du livre Qui veut la mort de l’ONU ?.

« Cela n’arrivera pas et j’y mettrais mes deux mains à couper, tranche M. Sciora. Pourquoi ? Parce que si la question était mise sur la table, la Chine s’y opposerait, la Russie s’y opposerait et d’autres membres non permanents feraient tout pour que ça n’ait pas lieu. Le Pakistan, par exemple. Si on ouvre à l’Inde, pourquoi pas le Brésil, l’Égypte, l’Afrique du Sud ? À mon avis, il n’y aura aucune réforme du Conseil de sécurité, à moins d’un choc comme la Première Guerre mondiale, qui génère une telle révolution dans les relations internationales que cela provoquerait une réforme totale du système multilatéral. »

Quelques bémols

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Au milieu de marabouts argala – cousins des cigognes –, un garçon est à la recherche de matériaux recyclables sur une montagne de détritus dans une décharge de Guwahati, ville du nord-est du pays.

Donc : 2023, année de l’Inde ? Oui, mais… malgré son indéniable montée en puissance, le pays est toujours ralenti par les obstacles. Serge Granger rappelle que le tiers de sa population est toujours « extrêmement pauvre », ce qui représente un boulet sur le plan économique. « C’est une masse difficilement intégrable dans le marché international, sauf dans les secteurs à main-d’œuvre intensive », notamment le textile. Le sous-développement des infrastructures, la lourdeur bureaucratique, la faible urbanisation constituent d’autres freins à son développement rapide. Un géant asiatique se lève, mais selon Antoine Bondaz, spécialiste de l’Asie à la Fondation de la recherche stratégique (FRS), la Chine est encore loin d’avoir perdu son trône. « Symboliquement, tout cela met en avance la concurrence sino-indienne, mais ça ne change pas le rapport de force. Sur le plan économique et même sur le plan militaire, la Chine reste encore très loin devant l’Inde. Il faut relativiser l’impact politique concret sur les rapports de force. »

L’Inde en chiffres

PHOTO PRAKASH SINGH, AGENCE FRANCE-PRESSE

La circulation est dense à New Delhi.

  • 1,415 milliard d’habitants (janvier 2023)
  • 17,7 % de la population mondiale
  • 464 personnes/km
  • 35 % de la population vit en ville.
  • 28,4 ans : âge moyen
  • 70,42 ans : espérance de vie
  • 12 691 836 : population de Bombay (Mumbai), la ville la plus populeuse d’Inde

Source : www.worldometers.info