À 15 mois des élections générales en Inde, l’héritier de la dynastie Nehru-Gandhi tente de régénérer son parti en traversant le pays à pied. Remportera-t-il son pari ?

Rahul Gandhi est mort, vive Rahul Gandhi.

C’est du moins ce que prétend le principal intéressé, actuellement en pleine résurrection politique après une série d’échecs électoraux.

Le 7 septembre dernier, le petit-fils d’Indira Gandhi et arrière-petit-fils de Nehru s’est lancé dans un voyage à pied de 150 jours et 3500 km à travers l’Inde afin de se connecter sur le vrai monde. Barbe luxuriante et polo blanc immaculé, il avance avec la constance d’un marathonien, suivi des médias et d’une foule de partisans qui semble grossir de village en village.

Officiellement, cette Bharat Jodo Yatra (marche pour l’union de l’Inde) vise à rassembler le pays contre la politique clivante du premier ministre nationaliste Narendra Modi, accusé de semer la haine et la division entre les hindous et les musulmans. Dans cette optique, l’héritier de la dynastie Nehru-Gandhi n’hésite pas à jouer les gourous, semant sur sa route un message de tolérance, de laïcité et d’inclusion.

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« L’ancienne version de moi n’existe plus », promet Rahul Gandhi.

« J’ai ouvert une boutique d’amour dans le bazar de la haine », a-t-il notamment déclaré le 19 décembre dernier, alors qu’il traversait la ville d’Alwar au Rajasthan.

Mais pour les analystes politiques, il ne fait aucun doute que ce cortège politique vise aussi à régénérer le parti de M. Gandhi, l’historique Congrès national indien (INC, lié à l’indépendance du pays), à 15 mois des élections législatives prévues en Inde en avril 2024.

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Rahul Gandhi, lors de sa visite du Harmandir Sahib – le temple d’or –, à Amritsar, le 10 janvier

Force dominante du pays pendant plus de 50 ans, l’INC (centre gauche) est en baisse constante depuis les années 1990. Il donne l’image d’une formation politique usée et idéologiquement confuse. Ses deux défaites successives face au parti Bharatiya Janata (BJP) de Narendra Modi, avec Rahul Gandhi à sa tête (2014 et 2019), ont confirmé cet inexorable déclin. Le parti ne détient plus que 52 sièges sur 543 au Lok Sabha (Parlement indien) et seulement 3 États sur les 28 que compte l’Inde.

En ce sens, la marche de Rahul Gandhi peut assurément être vue comme « une forme de ralliement électoral pour les forces progressistes » en vue de la bataille à venir, affirme Serge Granger, professeur à l’Université de Sherbrooke et spécialiste des relations sino-indiennes.

En battant le tambour dans plusieurs provinces, il donne l’impression qu’il y a vraiment un parti national.

Serge Granger, professeur à l’Université de Sherbrooke, spécialiste des relations sino-indiennes

Est-ce que ce sera suffisant pour remettre l’INC sur le chemin de la victoire ? Professeur de politique indienne à l’Université McGill, Narendra Subramanian en doute. Le parti part de très loin et se heurtera tôt ou tard à la puissante machine électorale du BJP.

L’expert ne sous-estime pas pour autant les impacts de l’opération : « Il n’y aura pas de changement dramatique. Un an et demi, ce n’est pas beaucoup de temps pour renverser la tendance. Mais ça peut changer un peu les choses dans la bonne direction. Ça peut amener plus de militants dans le parti. Donner un peu plus de vigueur à la prochaine campagne », dit-il.

M. Subramanian rappelle par ailleurs que le parti de Modi n’a récolté que 37,7 % du vote en 2019, ce qui relativise son écrasante majorité de 303 sièges au Parlement. Si l’INC parvient à revenir dans le jeu et à cristalliser l’insatisfaction croissante à l’égard du gouvernement, rien n’exclut que le BJP l’emporte sans majorité.

« Une victoire pour le Congrès serait de rendre le BJP minoritaire », ajoute Serge Granger.

Plus crédible

La culture du cortège politique (yatra) n’est pas nouvelle en Inde.

Le mahatma Gandhi avait frappé les esprits en 1930 avec sa « marche du sel », entamée pour arracher l’indépendance de l’Inde aux Britanniques.

En 1990, un jeune Narendra Modi avait traversé le pays d’est en ouest avec l’objectif d’aller reconstruire le temple du dieu hindou Rama, dans la ville d’Ayodhya.

En 2020, des paysans ont marché vers Delhi pour protester contre une réforme agricole. Avec succès.

L’avenir dira si la Bharat Jodo Yatra de Rahul Gandhi portera ses fruits. Mais selon Narendra Subramanian, elle laisse entrevoir une belle renaissance politique pour la figure de proue du Congrès national indien.

Accusé d’être déconnecté du vrai peuple, décrit comme « un étudiant qui aurait fait ses devoirs pour impressionner le professeur » sans avoir les aptitudes nécessaires pour la chose politique (Barack Obama, Mémoires), caricaturé par Modi comme le « prince » héritier d’une famille corrompue, Gandhi a longtemps suscité le scepticisme.

Or maintenant, on commence à le prendre au sérieux.

« Je crois que cette marche l’aide en partie à se montrer sous un nouveau jour, conclut M. Subramanian. En disant : “l’ancienne version de moi n’existe plus”, il espère sans doute que les gens le trouveront plus crédible comme leader politique. Il y a peut-être une part de marketing. Mais il n’a pas été un grand politicien jusqu’ici. Et pour la première fois, il montre des signes de quelqu’un qui comprend la politique de masse et qui sait ce qui fonctionne pour atteindre le peuple. »

En savoir plus
  • 1885
    Année de fondation de l’Indian National Congress
    1947
    Année de l’indépendance de l’Inde, alors que l’INC est au pouvoir