(Ak-Saï) S’affairant dans les décombres de l’école primaire du village d’Ak-Saï au Kirghizstan, à quelques dizaines de mètres du Tadjikistan, l’institutrice Nassipa Nichanbekova récupère des cahiers poussiéreux à l’écriture enfantine encore peu assurée.

Depuis trois mois, la sonnerie ne retentit plus dans cette école en grande partie détruite lors d’affrontements frontaliers à l’arme lourde, en septembre, entre ces deux pays pauvres d’Asie centrale qui peinent à reconstruire et à panser leurs plaies.

« Nous avons fui le 15 septembre au matin et quand nous sommes revenus quelques jours plus tard, notre école était carbonisée », raconte Mme Nichanbekova accompagnée de son fils de onze ans, rencontrés par l’AFP dans ce village de la région de Batken (sud-ouest), la plus reculée du Kirghizstan.

Officiellement, plus d’une centaine de personnes ont perdu la vie en moins d’une semaine lors de ces violences, les pires depuis des décennies entre ces deux ex-républiques soviétiques.

Le Kirghizstan et le Tadjikistan, depuis leur indépendance en 1991, sont empêtrés dans des différends territoriaux qui se sont brusquement aggravés, alors que la Russie est accaparée en Ukraine et peine à jouer son rôle de médiateur traditionnel.

Labyrinthe territorial

Des centaines de kilomètres de frontière sinueuse restent non délimitées entre le Kirghizstan et le Tadjikistan et plusieurs enclaves tadjikes et ouzbèkes, pour ajouter à la difficulté,  qui parsèment le territoire kirghiz.

Ce labyrinthe territorial suscite des tensions incessantes pour l’accès aux routes et aux ressources naturelles, notamment l’eau, dans ces régions agricoles.

Lors des combats de septembre, le Kirghizstan et le Tadjikistan se sont accusés mutuellement d’avoir mené des attaques et des incursions sur des dizaines de localités frontalières, et avaient dû alors décréter un cessez-le-feu en urgence.

Les deux pays assurent mener de nouvelles négociations pour délimiter entièrement leur frontière, sans grande avancée pour l’heure. Dans les villages meurtris, une lente reconstruction a commencé avec la crainte d’une nouvelle flambée.

Dans l’école d’Ak-Saï, une cacophonie de coups de marteau, de bruits de meuleuses et de perceuses a remplacé les cris d’écoliers. Au milieu des gravats, où viennent toujours jouer quelques enfants, on retrouve pêle-mêle des chaises, un vase cassé et un livre d’histoire sur l’Union soviétique.

Par les fenêtres brisées, le froid s’infiltre dans les couloirs, alors qu’un hiver rigoureux s’installe dans ce village entouré de montagnes tutoyant les 3000 mètres.

Dans la localité voisine de Kaptchygaï, presque entièrement détruite, la rue centrale débouche sur un champ appartenant au Tadjikistan.  

Abdimitalip Massaliev, qui dit avoir « tout perdu » en septembre,  apporte aux ouvriers qui reconstruisent sa maison du plov, plat traditionnel à base de riz, de légumes et de viande.

PHOTO VYACHESLAV OSELEDKO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Lui aussi dit avoir fui lors des combats. « Quand je suis revenu, (les Tadjiks) avaient tout volé », affirme le sexagénaire, un ancien vétérinaire, debout dans les décombres de sa chambre à coucher réduite à néant.

La couleur orange des briques de sa maison en reconstruction tranche avec le noir des fondations carbonisées de son garage, d’où émane une odeur d’ail. Sur les murs d’une remise, restée debout par miracle, les impacts des balles sont encore visibles.

Solidarité

Si les autorités kirghizes ont reconnu un retard au début des travaux, les ouvriers venus de tout le pays se dépêchent désormais pour terminer au plus vite.

Parmi eux, Kouvatbek Iouldachiev s’active près d’une bétonnière. « Je suis venu par solidarité », dit-il,  la bouche remplie de naswar, un tabac à priser d’Asie centrale.

Selon le ministère des Situations d’urgence de la région de Batken, 140 000 personnes ont été évacuées en septembre. Début décembre, environ 4000 personnes n’avaient pas encore retrouvé leur foyer.

Certains vivent dans des résidences temporaires, comme dans ce collège de Batken, la capitale régionale, où les salles de classe ont été transformées en logements. Dans la cour, des femmes viennent chercher de l’eau dans une citerne aux roues crevées.

Parmi la trentaine de déplacés relogés ici, Kyïmat Kourbanova, 77 ans, originaire de Kaptchygaï, « aimerait revenir et vivre comme avant », mais se sent pour le moment plus en sécurité à Batken.  

« J’étais chez moi quand des gens ont crié “fuyez, fuyez”, puis la fusillade a commencé, j’ai vu les maisons voisines brûler », se remémore-t-elle, les larmes aux yeux. Elle craint une reprise des violences et « espère que les jeunes auront une vie paisible ».