(San Francisco) Comment innover dans le chocolat sans ajouter toutes sortes d’arômes ou d’ingrédients ? En utilisant le fruit du cacaoyer, et rien d’autre. Le leader mondial du cacao Barry Callebaut a présenté vendredi une nouvelle façon de fabriquer du chocolat pour répondre aux défis d’une industrie qui cherche à se renouveler.

« Le chocolat est fait à partir des fèves de cacao, qui sont les pépins d’un fruit. Mais pourquoi n’utiliser que les pépins et jeter le reste du fruit ? Ça ne fait aucun sens d’un point de vue écologique ou économique », explique Antoine de Saint-Affrique, patron du groupe suisse.

Actuellement, la plupart des fabricants de chocolat, industriels ou artisanaux, n’achètent aux plantations que les fèves de cacao, et tout le reste – 70 % du fruit – est jeté. Comme si on ne consommait que les pépins d’une orange.

Pour son nouveau chocolat, et d’autres produits alimentaires (y compris des boissons), Barry Callebaut va se servir de quasiment toute la cabosse, y compris la pulpe, selon un processus de transformation qui intervient dans les deux heures après la récolte. Pas de sucre ajouté, la douceur vient du jus naturellement sucré.

Le résultat : un chocolat au fruit entier (« WholeFruit chocolate ») qui a bien le goût de chocolat, avec 90 % de fibres et 25 % de protéines en plus que les produits standard, et 40 % de sucre en moins.

Palais français

Barry Callebaut fournit du cacao et des préparations à base de chocolat aux grands groupes alimentaires tels que Nestlé, Hershey’s, Mondelez ou Unilever, mais aussi aux professionnels de la pâtisserie.

Avec cette innovation, l’entreprise plus que centenaire espère s’adresser aux jeunes adultes, qui, selon elle, recherchent des « plaisirs sains et honnêtes », bons en termes de goût, mais aussi respectueux de l’environnement.

« Le marché français aime les chocolats de caractère, riches en cacao, avec des notes de fruits, donc c’est un chocolat qui correspond très bien au palais français », analyse Martin Diez, chef chez Barry Callebaut, tout déposant délicatement de la poudre de pitaya (fruit du dragon) sur des étoiles croquantes en chocolat au fruit entier.

Il estime que cette nouvelle variété a toute autant de chances de plaire aux Américains, au palais pourtant réputé plus sucré, notamment car « ils aiment les produits enrichis en protéines et en nutriments ».

Les Californiens seront d’ailleurs les premiers à goûter au chocolat « entier », sous forme de collations commercialisées par le groupe américain Mondelez.

« Il nous semblait naturel de lancer une innovation fondamentale, à San Francisco, la ville de l’innovation », commente Antoine de Saint-Affrique.

Le groupe helvétique, qui réalise près de 7 milliards de francs suisses de chiffre d’affaires annuel, a pris le parti de se renforcer sur les produits à plus forte valeur ajoutée, alors que la consommation de chocolat stagne dans les marchés développés (Europe et Amérique du Nord).

Jus de cabosse

La nouvelle gamme présentée vendredi comportera deux catégories, un chocolat noir baptisé « Bold » (« audacieux »), fabriqué 100 % à partir du fruit du cacaoyer, très riche, et le « Velvety » (« velouté »), un chocolat au lait, plus léger en bouche.

Ils seront vendus aux artisans dans le monde à partir de mai 2020, mais d’ici là 30 chefs vont pouvoir les découvrir et créer de nouvelles confections.

L’année dernière, Barry Callebaut avait déjà innové avec un chocolat rose, fabriqué à partir de la fève dite « rubis », censé devenir la quatrième catégorie de chocolat (noir, lait, blanc et rose).

Son client Nestlé en avait recouvert des KitKat, sa marque phare de gaufrettes chocolatées, d’abord pour les consommateurs japonais et sud-coréens.

« Avec “Ruby”, ils posaient la question : “Pourquoi le chocolat devrait-il toujours être brun ?” Cette fois-ci ils demandent : “pourquoi n’utiliser que la fève de cacao ? Pourquoi ignorer la pulpe ?” », commente Clay Gordon, consultant et expert de l’industrie du chocolat, entre deux gorgées de cocktails à base de jus de cabosse.

Une question fondamentale quand l’industrie doit se préoccuper aussi bien de protection de l’environnement que d’épidémie d’obésité.

Signe qu’il n’y a pas de temps à perdre, le géant agroalimentaire Nestlé a lui-même sorti en juillet un chocolat noir 70 % entièrement fabriqué à partir du fruit du cacaoyer.

Mais le chocolat « entier » n’est pas prêt de remplacer le chocolat issu uniquement des fèves, dont Barry Callebaut vend 2 millions de tonnes par an.

« Ce nouveau produit est plus onéreux, parce que vous devez capturer les divers éléments du fruit quand il est frais, à la récolte », raconte Antoine de Saint-Affrique. « Cela demande une logistique très différente et une transformation beaucoup plus compliquée. C’est pour cela qu’on le lance d’abord avec les artisans ».