(Vougeot) Dans le Clos de Vougeot, prestigieuse appellation des vins français de Bourgogne, les vendangeurs manient avec une infinie précaution les grappes noir-bleu de pinot : une bouteille se vend ici plusieurs centaines d’euros. Au point d’alarmer les viticulteurs qui espèrent une année généreuse afin de calmer la fièvre inflationniste.

Dans le Bordelais, on arrache les vignes, surproduction oblige ; en Bourgogne, on s’arrache le vin, plaisante-t-on entre les rangs de ceps de la Côte d’Or.

« Le problème numéro un en Bourgogne, c’est le manque de vin », résume François Labet, président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), alors que résonnent les coups de sécateurs dans les coteaux baignés de soleil.

« Pour refaire les stocks, on espère que ces vendanges seront abondantes, peut-être même au-delà de 2018 », année record en Bourgogne, ajoute l’exploitant du Château de la Tour, aux vignes centenaires plantées dans le Clos de Vougeot.

En juillet 2022, moins d’un million d’hectolitres était offert dans les domaines de Bourgogne, soit 14 mois de vente seulement, contre au moins deux ans auparavant.  

En cause, la répétition de maigres vendanges, en particulier en 2021 : un gel tardif avait cette année-là fait perdre l’équivalent de 70 millions de bouteilles.

Le très abondant millésime 2022 « a permis d’augmenter les stocks de trois mois, mais il faudrait gagner encore deux à trois mois. Une récolte 2023 abondante suffirait », explique Albéric Bichot, président de la Maison Albert Bichot, un des plus grands négociants et producteurs de Bourgogne.

Car l’appétit des consommateurs, lui, ne cesse de croître. Donc les prix aussi.

« L’envolée est très flagrante », résume pour l’AFP Angélique de Lencquesaing, cofondatrice d’iDealwine, leader des enchères en ligne de vin. De 2017 à 2022, le prix moyen des bourgognes sur iDealwine a bondi de 145 % (de 157 à 384 euros). C’est un bourgogne qui s’est adjugé le plus cher, à 34 100 euros (un musigny 2006 du domaine Leroy). Un an auparavant, le même vin était également le plus cher, mais à « seulement » 28 244 euros.

« Même cher, ça part »

La flambée ne concerne cependant pas seulement les vins spéculatifs, mais également les vins normalement abordables, s’étonne Mme de Lencquesaing.

Ainsi, en 2022, le prix moyen d’un bourgogne a pris un euro par rapport à 2021, à 9,46 euros, selon le BIVB.

« Avant, ça augmentait de 5-10 %. Ces deux, trois dernières années, ce sont des “20, 30 voire parfois 40 % », se désole Andrea Minardi, responsable des ventes au Marché aux vins, grand caviste de Beaune.

La raison est simple, selon lui : « c’est un produit rare ».

La Bourgogne ne produit que 214 millions de bouteilles, trois fois moins que le Bordelais. Il ne sort ainsi chaque année que quelques centaines de flacons du musigny de Leroy à plus de 33 000 euros.  

Mais, « même cher, ça part », s’étonne Andrea Minardi.  

En particulier à l’étranger : en 2022, l’export a rapporté 1,5 milliard d’euros (+12,9 %), selon le BIVB. Un record, mais en valeur seulement : le volume vendu, lui, a chuté de 12,3 %. Traduction : ce sont les prix qui ont augmenté.

« L’inflation devient délirante », juge Romain Iltis, directeur des vins pour les restaurants du groupe de luxe suisse Lalique et auteur dans la Revue du vin de France d’une tribune intitulée « On ne peut plus suivre ! ».  

« Les cartes de bourgognes diminuent dans les restaurants », dit-il, craignant le même sort que les bordeaux : « il y a 20 ans, les gens ont dit ” le bordeaux, c’est trop cher “ et se sont détournés. Maintenant, on arrache des vignes ».

Après le « bordeaux-bashing », le « bourgogne-bashing » ? « Oui, ça peut nous arriver », concède Albéric Bichot. « Dans les douze derniers mois, la Bourgogne a perdu 20 % de ses volumes à la vente : par manque de vin, mais aussi à cause du prix. Soyons vigilants », avertit-il.