Lors d’une formation en permaculture, Julien Clot fait la découverte du clavalier d’Amérique, nom encore inconnu au répertoire de ce féru de fermentation et curieux d’épices boréales. « J’y ai goûté et c’est là que j’ai découvert des arômes d’agrumes et de poivre, et cette sensation de bouche engourdie et de glandes salivaires qui flow la rivière… » Une rencontre marquante qu’on comprend scellée par des sensations ardentes. L’homme part à la conquête de l’objet de son coup de foudre.

Le clavalier d’Amérique, aussi connu sous l’identité de frêne épineux ou Zanthoxylum americanum, pour les intimes, n’est pas un nouveau venu sur le territoire. On le retrouve sur la côte est du Canada et des États-Unis, où il est considéré comme une espèce protégée.

Pourquoi le (re)découvre-t-on maintenant, en cuisine ? La même question se pose pour bien des plantes avec lesquelles on a brisé tout lien d’attachement, en ayant peut-être les yeux tournés vers des denrées d’ailleurs.

Le clavalier d’Amérique est pourtant l’une des espèces répertoriées par le frère Marie-Victorin dans sa Flore laurentienne, il y a près d’un siècle. Bien avant lui, les Premières Nations l’utilisaient pour ses propriétés anesthésiantes en mâchant son écorce et ses fruits pour soulager les maux de dents. La dentisterie ayant évolué depuis, c’est plutôt sous un angle gourmand qu’on l’aborde aujourd’hui.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Julien Clot

Dans des conditions qui lui sont idéales – du soleil, un sol calcaire et bien drainé –, le clavalier d’Amérique se déploie avec vigueur, mais il arrive à se frayer un chemin dans un contexte moins familier. « C’est de la mauvaise herbe ! », lance affectueusement Julien Clot, que l’on sait conquis. Après avoir repéré une « talle » dans un vieux verger de l’Outaouais, il y a sept ans, le cueilleur l’a amoureusement entretenue. Plus tard, ses essais en pépinière ont porté leurs fruits. La plante se laisse doucement amadouer, semble-t-il. « Ça prend des années avant d’avoir une récolte intéressante. On commence tout juste à obtenir une bonne quantité de baies. »

À prendre avec des pincettes

PHOTO FOURNIE PAR SYMBIOSE ALIMENTERRE

Les fruits épicés du clavalier d’Amérique

À maturité, cet arbuste épineux peut atteindre sept mètres de hauteur. Il se pare, au printemps, de petites fleurs jaunes qui cèdent leur place à des baies vertes de la taille d’un grain de poivre, qui virent au rouge en fin d’été. C’est alors que les choses se corsent. Résiliente, mais farouche, la plante ne se laisse pas dépouiller docilement de ses rubis poivrés.

« Quand tu entres là-dedans, ça t’écorche ! résume Julien Clot. La cueillette est ardue, ce qui en fait un produit disponible en quantité très limitée. »

L’homme et sa troupe montent leur campement dans le verger au mois d’août. Les baies sont récoltées en égrainant les fruits à même les plants. En plus de son armure d’épines, l’objet de convoitise produit des huiles essentielles qui sensibilisent la peau au soleil et produisent des cloques. C’est donc avec des gants de cuir, un habillement conséquent et du savoir-faire qu’elle sera approchée. De quoi décourager les moins valeureux...

« Mais ces arômes... ! », renchérit le chevalier de la baie, aussitôt transporté dans un univers gustatif.

Le piquant d’ici

« Ces arômes... », donc. Cousin botanique des poivres de Sichuan et de Sancho, qui sont cultivés en Asie du Sud-Ouest et figurent dans de nombreuses recettes de ces pays de l’autre bout du globe, le clavalier d’Amérique fait partie de ces « faux poivres » dont les parfums changent la destinée d’un plat. Il laisse sur la langue une sensation de picotement plus légère que ses compères d’Asie. Il se distingue également du myrique baumier et du poivre des dunes, qui poussent ici, en étant plus zesté. « Il va chercher des notes de citron, de tangerine et de zeste de lime », décrit le connaisseur, qui s’est intéressé aux façons de le transformer dans ses installations de Labelle, dans les Laurentides.

Son entreprise de fermentation alimentaire, SymbiOse AlimenTerre, travaille la choucroute, le tempeh, le kimchi et d’autres aliments atypiques issus de la fermentation. S’y ajoute maintenant le clavalier d’Amérique intégré à une sauce piquante et à d’autres produits qu’on pourra bientôt découvrir, comme une pâte épicée fermentée et un miel de clavalier. L’entrepreneur collabore par ailleurs avec des noms connus de la gastronomie québécoise, dont La Tanière, les Faux Bergers, Légende et le Champlain.

  • La distillerie Comont, de Bedford, intègre le clavalier d’Amérique à son Gin traditionnel, produit sur place à partir de grains de maïs de la Montérégie (49,50 $ pour 750 ml).

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA DISTILLERIE COMONT

    La distillerie Comont, de Bedford, intègre le clavalier d’Amérique à son Gin traditionnel, produit sur place à partir de grains de maïs de la Montérégie (49,50 $ pour 750 ml).

  • La sauce épicée La Clavalière au piment biologique lactofermenté, de SymbiOse AlimenTerre (15 $ pour 150 ml). On peut aussi contacter l’entreprise pour obtenir les baies séchées (1,5 $ le g) ou fraîches (3 $ le g) de clavalier d’Amérique.

    PHOTO FOURNIE PAR SYMBIOSE ALIMENTERRE

    La sauce épicée La Clavalière au piment biologique lactofermenté, de SymbiOse AlimenTerre (15 $ pour 150 ml). On peut aussi contacter l’entreprise pour obtenir les baies séchées (1,5 $ le g) ou fraîches (3 $ le g) de clavalier d’Amérique.

  • Le poivre clavalier d’Amérique figure dans la collection d’Épices du cru (19,75 $ pour 5 g).

    PHOTO TIRÉE DU SITE D’ÉPICES DU CRU

    Le poivre clavalier d’Amérique figure dans la collection d’Épices du cru (19,75 $ pour 5 g).

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À quand l’intégration du clavalier d’Amérique dans notre armoire à épices ? Bientôt, souhaite Julien Clot.

Il a nettement le potentiel pour se faire une place dans nos assiettes, surtout avec l’intérêt pour la cuisine asiatique.

Julien Clot

L’entrepreneur adopte toutefois la philosophie du « lentement, mais sagement » pour la mise en marché de son protégé, qu’il vend à petite dose sur appel, en visant une distribution plus large l’année prochaine.

« Une petite quantité de cette épice goes a long way ! décrète Julien Clot. Elle ajoute une saveur inconnue qui te prend par surprise et qui est juste assez dosée pour te faire voyager sans interrompre l’expérience gustative. Broyée dans une soupe épicée, c’est assez intéressant, merci. Même chose avec les poissons, vinaigrettes, confitures, marinades, curry... Dans un chocolat, des biscuits et sur une crème glacée à la vanille ? Flyé aussi ! », énumère-t-il en nous mettant les papilles en extase. Et on se met soudain à envier ce rare initié, en attendant le jour de notre rencontre avec l’objet d’un récit épicé.

Consultez le site de SymbiOse AlimenTerre